Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)Toutes les fables

On parlait de l'abbé Louis-Maximilien Duru, à son époque ; il était poète en plus de ses fonctions d'ecclésiastique. On lui doit l'ouvrage Fables nouvelles ou leçons d'un maître à ses élèves, daté de 1855.

Le Prologue, qui précède la première fable :

La Fable est une glace pure
Où, par de fidèles tableaux,
Les fraîches fleurs, les animaux,
Tous les êtres de la nature,
Sans amertume et sans injure,
Nous instruisent de nos défauts.
Mirons-nous-y sans défiance ;
Reconnaissons la vérité,
Et qu'une sotte vanité
Ne craigne ici nulle imprudence.
Chacun, dans ce discret miroir,
En reconnaissant son image,
Ne laisse rien apercevoir
De la laideur de son visage.
Ma glace est faite pour le coeur,
Et, pour t'y mieux peindre, Lecteur,
J'ai souvent, sans art et sans feinte,
En dépit de ma vanité,
Ici laissé ma propre empreinte,
En traits pleins de sévérité.

LIVRE I

1. Le Manant et le Diamant

2. La Poule

3. Le Jardinier pauvre

4. Le Pélican

5. L'Ictérique et le Jaloux

6. Colas

7. La Serpe et le Serpent

8. L'Enfant et l'Abeille

9. Le Paon, la Colombe et le Rossignol

10. Le Chat et l'Écureuil

11. L'Églantier et la Rose

12. L'Homme, la Sensitive et le Puceron

13. La Chouette et la Colombe

14. La Fourmi et la Marmotte

15. Le Singe orateur


LIVRE II

1. La Sarigue, son petit et le Chasseur

2. Le hibou, le Bouvreuil et la Colombe

3. Le Chêne et la Pervenche

4. L'Homme et la Punaise

5. Le Dogue et le Carlin

6. Le Chêne et le bouton de Rose

7. Le Passant et l'Eider

8. Le Fourmilion et le Moucheron

9. Le Naufrage et la Providence

10. L'Oiseau de passage

11. Le Renard, l'Hirondelle et le jeune Chien

12. Le Chat, la Caille et le Cailleteau

13. Le Tourtereau et la Glace

14. La Rose et le Papillon

15. Le Châtaignier et le Paysan

16. La Poule et les deux Poulets

17. Le Lis et la Limace



L'ouvrage débute par un épitre en vers, tellement interminable, qu'on semble s'éloigner par là même de toute démarche pédagogique. On est plus proche ici d'un exercice de style.

Je crains fort d'être téméraire,
En permettant que Perriquet
Si promptement mette en lumière
Ce petit recueil indiscret.
Et pourtant, pourquoi l'ai-je fait?
Pour instruire, comme un bon père,
Tantôt doux et tantôt sévère,
Des disciples que je chéris.
Cette besogne était utile,
Et je n'en serai pas repris ;
Car ce n'est pas un soin futile
Que de réformer les esprits,
Et de rendre le cœur docile
A de salutaires avis.
Bienheureux le maître fidèle
Qui, connaissant le prix du cœur,
Dépense, à le rendre meilleur,
Son temps, ses talents et son zèle !
Là ne sont donc pas mes soucis
Mais ma plume est par trop facile
Dans tous les sujets que j'écris ;
C'est ce qui me rend moins tranquille.
Mes vers sont-ils assez polis,
Mes sons assez pleins d'harmonie,
Mon expression bien choisie,
Mon style pur, mes tours fleuris,
Ma matière assez méditée ?
Voilà ma crainte, ami Lecteur.
Je vais trouver plus d'un censeur
Dont la sentence méritée
Me fera rougir d'être auteur.
Eh bien, sans tarder, je m'empresse-
De souscrire à leur jugement.
J'ai tort de mettre sous la presse
Un livre écrit avec paresse,
Par caprice et sans ornement ;
Je confesse qu'en l'imprimant
Je pèche contre la sagesse.
Mais, toi qui m'aimes, un moment,
Je réclame ton indulgence.
Prête l'oreille à ma défense.
Je n'ai pas voulu, crois-le bien,
Ivre d'une espérance vaine,
Auprès du nom de La Fontaine,
Inscrire un nom comme le mien.
Le bonhomme est inimitable,
Jamais personne dans la fable
Ne pourra réussir si bien.
Et moi, je ne suis propre à rien.
On me l'a dit, il faut le croire, .
Sous peine d'être un orgueilleux,
Un aveugle, un présomptueux.
— Eh! puisque ce n'est pas la gloire
Qui t'a mis la plume à la main,
A quoi bon montrer ton grimoire?
— J'ai voulu faire un peu de bien,
Et j'en voyais là le moyen.
Pour mieux graver dans la mémoire
Les préceptes que je donnais,
Sur le champ je les écrivais.
— En vers? —Ce n'est pas là l'affaire.
Dieu, comme il veut, répand ses dons ;
Ce genre ne me coûte guère,
Tu le dois voir à ma manière.
Or, dis-moi, quand nous écrivons,
Quelle est celle que l'on préfère?
— Eh ! celle par quoi nous plaisons t
— Justement, la forme légère
Que je donnais à ces leçons
Séduisait mes jeunes garçons.
Mais ni les rimes, ni la prose
Ne devenaient pas le secret
Par quoi surtout on les touchait.
Ils ne voyaient là qu'une chose,
Les conseils qu'on leur adressait
Avec un cœur plein de tendresse.
Tous ils en goûtaient la sagesse.
La forme pourtant leur plaisait,
Et ce tact en eux m'enchantait;
Car l'apologue, d'âge en âge,
A su charmer les bons esprits,
Et nous le trouvons en usage,
Non seulement dans les écrits
Des légers nourrissons du Pinde,
Ou des sages qu'a produits l'Inde;
Mais, Lecteur, nous en admirons
La forme et les douces- leçons
Jusque dans le livre "où Dieu même
Dicte aux hommes .sa loi suprême.
Depuis, quel habile écrivain,
Quel moraliste, au moins quel sage
N'a pas laissé, dans une page,
Un mot instructif ou malin
Qu'on puisse appeler une fable?
Partout prévaut ce genre aimable.
Et n'ai-je pas, plus d'une fois,
Entendu la fidèle voix
De ces pieux enfants que j'aime,
M'exaltant beaucoup trop moi-même,
S'écrier, après ma leçon ,
Qu'ils y retrouvaient la sagesse
Et le style de Fénélon?
J'en rougissais avec raison.
Mais c'est ainsi qu'est la jeunesse :
Elle porte un sensible coeur.
Quand on la sert, et quand on l'aime,
Elle en est touchée. Elle-même,
A son tour, aime avec ardeur.
Mes disciples en sont la preuve.
Je ne dis rien, je ne fais rien,
Qui ne les touche et les émeuve ;
Pour eux, de ma part tout est bien.
Aussi que doux est le lien
Par lequel, ô mon Dieu, s'unissent
Leurs coeurs et mon coeur dans le tien !
Je les chéris, ils me chérissent,
Je les bénis, ils me bénissent;
Eux et moi, nous sommes heureux.
Mes écrits sont beaux à leurs yeux,
Et, jusqu'à ces malignes fables,
Où je les drape de mon mieux,
Ils les estiment admirables.
Ce n'est pas tout. Ils ont voulu,
(Voyez jusqu'où va la tendresse !)
Que, malgré toute sa faiblesse,
Ce livre qu'ils n'avaient pas lu,
Fût sans retard mis sous la presse.
— Mais il fallait leur résister,
Et doucement leur objecter
Que le public est fort sévère,
Et qu'un auteur est téméraire
De trop aisément l'affronter,
— Ah ! c'est vrai, j'aurais dû le faire.
Mais, réponds-moi sans hésiter,
Toi, mon cher Lecteur, es-tu père?
Et, quand tes aimables enfants,
Par la plus ardente prière,
Et par les voeux les plus touchants,
Sachant combien tu veux leur plaire,
Ont sollicité tes bienfaits,
Eh bien, qu'as-tu fait?... Tu te tais.
Or ton histoire est mon histoire.
Sans se soucier de ma gloire,
Ni du public, ni des censeurs,
Ils m'ont dit : « Père, à vos faveurs
Joignez un dernier témoignage
De votre amour pour vos enfants.
Accordez-leur ce badinage
Où, par mille contes charmants,
Vous avez su, comme un vrai père,
Rendre meilleur leur caractère,
Et leur faire aimer la vertu. »
Et, comme toi, je me suis tu,
Ou plutôt, j'ai pris mon grimoire,
Puis, en classant chaque feuillet,
En dépit d'une vaine gloire,
J'en ai fait un léger paquet
Qui s'est changé, chez Perriquet,
En deux jolis petits volumes.
Mais, après tout, je risquais peu,
Et, je dois t'en faire l'aveu,
J'aurais eu des oeuvres posthumes,
A moins d'avoir recours au feu ;
Car j'ai là-bas plus d'un neveu
Qui brûlait de la même envie
Que mes jeunes instituteurs.
Je le sais bien, hors de la vie,
J'aurais peu craint de mes censeurs.
Mais, après tout, que dois-je en craindre ?
Je vis ici comme un reclus:
Leurs traits ne viendront point m'atteindre,
Et leurs efforts seront perdus.
Je n'espère rien sur la terre :
J'ai la paix, que faut-il de plus?
Quand j'ai fait ce que je dois faire, '
Le reste touche peu mon coeur.
Mais cette paix que je possède,
Est, sache-le, mon cher Lecteur,
Un des motifs pour quoi je cède
A ces enfants pleins de candeur.
Ce qu'on reçoit, faut-il le rendre?
Eh bien, ces enfants au coeur tendre,
Ne leur dois-je pas mon bonheur?
Ce que je désire, ils le donnent,
Et tout entiers ils s'abandonnent....
— Eh! n'est-ce pas leur intérêt?
— Écoute-moi, Lecteur discret :
Le bonheur n'est pas sur la terre ;
Tous nos jours y sont nébuleux,
Et le besoin qui nous altère
Ne sera satisfait qu'aux cieux;
Mais on peut embellir la vie,
Et lui prêter quelque douceur.
C'est quand, loin de la triste envie,
Et loin de ce monde menteur,
Où l'on ne voit de jouissance
Que dans les coupables plaisirs
Qui trompent toujours l'espérance
En aiguillonnant les désirs,
On vit, loin de l'inquiétude,
Entouré d'amis pleins de coeur,
Dans la prière et dans l'étude.
Eh bien, j'ai trouvé ce bonheur.
Ma vie est heureuse et tranquille,
Et rien n'altère sa douceur.
C'est une eau toujours immobile
Dont rien ne corrompt la blancheur.
Nul n'est plus content qu'un bon père
Qu'entourent des enfants nombreux
Dont le coeur est sage et pieux:
Les miens semblent toujours se plaire
A prévenir mes moindres voeux.
Qui m'a préparé cet ombrage
Où, quand le ciel darde ses feux,
Sans sortir de mon ermitage,
Je médite au frais? Ce sont eux.
Qui visite ma solitude?
Qui m'y délasse après l'étude?
Qui me rend mille soins touchants
Qui sont les besoins des savants?
Qui vient m'offrir des secrétaires,
Des dessinateurs, des notaires.
Pour les travaux que j'entreprends ?
Je trouve tout dans mes enfants.
Aussi, dans ce cher ermitage,
Où, ravivé par la fraîcheur,
Couvert de verdure et d'ombrage,
Je trouve ces doux soins du coeur,
Je jouis d'une paix suprême,
Parmi ces disciples pieux ;
Je les aime autant que moi-même,
Et je ne puis me passer d'eux.
Et ce n'est rien ! Non, la verdure,
Les fleurs, ni les soins généreux
Ne sont rien devant l'âme pure
D'un enfant sage et vertueux!
Et tous le sont, ou voudraient l'être.
Or nous serions trop exigeants,
Nous qui devons nous y connaître,
De demander plus à vingt ans.
Cet âge est dangereux... Le vice
Peut-être séduisait leurs coeurs;
Mais ils ont fait le sacrifice
De ses criminelles faveurs.
Ils ont compris que l'innocence
Seule a de réelles douceurs,
Et, dans la vie, à nos douleurs
Mêle une solide espérance.
Dieu qui contemple leurs combats,
Et donne à tout sa récompense,
Sans doute affermira leurs pas ;
Il couronnera leur courage ;
Ils recueilleront le partage
Que leur existenee au matin
Se prépare pour son déclin,
Et les vertus de leur jeunesse
Viendront embellir leur vieillesse.
Mais, qu'il est touchant, qu'il est beau,
& mon pher Lecteur, le tableau
De l'homme, au printemps de son âge,
Luttant contre les passions,
Et résistant, comme un vrai sage,
A toutes leurs séductions!
Quelle consolante promesse
Ne fait pas à notre pays
Cette courageuse jeunesse
Qui m'a si noblement compris!
Ici, comme, après un orage,
Le ciel retrouve son azur,
Le coeur redevient calme et pur,
Et l'esprit est soumis sans peine.
Ici tous les coeurs sont unis,
Comme les anneaux d'une chaîne.
Et, comme, au milieu d'une plaine,
Tous les champs seront embellis
Par l'eau d'une même fontaine,
Une heureuse éducation,
Pleine de force et de sagesse,
Portera, de cette maison
Dans le coeur de notre jeunesse,
L'amour de toutes les vertus.
Quand j'y pense, je n'y tiens plus,
Cette espérance me transporte,
Et, je te l'avoue, ô Lecteur,
En se conduisant de la sorte,
Mes disciples font mon bonheur.
Ils sont ma fortune et ma gloire,
Et, quant au Temple de Mémoire,
Je n'en veux d'autre' que leur coeur.
C'est là ce que j'avais à dire.
Maintenant, bienveillant Lecteur,
Si tu crois que j'ai tort d'écrire,
Et d'enrichir mon imprimeur,
Eh bien, je suis prêt à souscrire
A l'ordre de ton jugement,
Je tâcherai dorénavant,
Ou de me taire, ou de détruire
Tous les contes qu'imprudemment
Mon esprit oserait produire.
Mais accepte ici cependant,
Pour avoir bien voulu me lire,
Un petit mot de compliment :
Va, crois-le, ma reconnaissance
Egalera ta complaisance.

Auxerre, le 14 mai 1855.