L'art de dire les fables, monologue comique
Monologue comique écrit par André Lénéka et E. Matrat et dit par M. Matrat de L’Odéon :
Parfaitement! Je viens vous donner quelques conseils. Chacun a sa méthode ici-bas. Pourquoi n’aurais-je pas la mienne ? D’autant plus que la mienne, c’est la meilleure! Vous allez en juger : Aujourd’hui tout le monde dit des monologues. Vous mômes qui m’écoutez vous en dites... Hein ?... Mais si vous en dites; je le sais!... Eh bien! parmi tant de petits chefs-d’œuvre modernes que je ne veux pas nommer... les plus charmants sont encore les plus anciens : nos fables!... Pour bien dire ces premiers monologues de nos pères, il faut certaines qualités. Ces qualités... je ne vous les indiquerai pas, pour une raison toute simple : c’est que si vous les avez mes conseils sont inutiles... et si vous ne les possédez pas,- personne, pas même moi, ne pourrait vous les donner! Mais le but que se propose ma méthode surprenante, c’est de vous indiquer les défauts qu’il faut éviter pour dire convenablement la fable.
Premièrement et avant tout, ne récitez pas comme les enfants qui imitent à s’y tromper la serinette!
(Imitant l’enfant.)
LA CIGALE ET LA FOURMI
La cigale ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Elle alla crier famine
Chez la fourmi... sa voisine... sa voisine (ânonnant)
La fourmi n’est pas prêteuse.
Que... faisiez-vous au temps chaud?
Je... chantais ne vous déplaise!...
Vous chantiez!... j’en suis fort aise,
Eh bien! dansez maintenant !
Cette récitation, intéressante jusqu’à six ans, devient monotone passé cet âge... Ceci n’est rien auprès de mon porteur d’eau qui, tout en remplissant la fontaine... le travaille furieusement. Il me l’a prouvé l’autre jour en choisissant un exemple... dans Florian. Mais le brave homme n’y regarde pas de si près. Pour lui toutes les fables sont de La Fontaine.
(Accent auvergnat)
LA GUENON, LE SINGE ET LA NOIX
Une jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte.
Elle y porte la dent : — Oh ! bougri de bougra !
Qu’elle dit comme ça, pouah!...
Elle jeta la noix.
Un singe arriva,
La ramassa,
La cassa,
L’éplucha
Et la mangea,
Fouchtra ! !
Et il lui dit ceci :
— Oh! c’est exquis
Ma mie
Mais faut les ouvrir !
Souvenez-vous que dans la vie,
Sans un peu de souci,
On n’a pas de plaisir,
Bougri de la couqui! !
On croirait que l’on vous danse la bourrée dans les oreilles! C’est pittoresque, mais ça manque de musette. Il faut bien se garder également d’apprendre les fables d’après les traductions qu’en font les étrangers amateurs. Exemple un Belge :
(Accent belge)
LE LOUP ET L’AGNEAU
Un agneau prenait un verre de faro, cinq, six, dans une taverne, non, dans un ruisseau, savez. Un loup qui n’avait rien mangé arrive : — Qu’est-ce que c’est donc pour une fois, que dit le loup, tu viens troubler mon faro? — Ne vous fâchez pas, sais-tu, monsieur, dit le mouton, je suis au-dessous de toi, pour une fois! — Godverdom, que dit le loup, ton frère m’a appelé espèce de Wallon, sais-tu? Et ton berger et votre chien m’a refusé un verre de lambic, trois, quatre, pour une fois, savez;... et je veux me venger!... Là-dessus il emporte l’agneau, oui, oui, il l’emporte, savez, pour s’en faire un gigot de mouton ! !
Ce n’est pas mal, savez-vous, pour une fois... mais que ce soit la dernière.
Autre exemple, un Anglais :
(Accent anglais)
MASTER LE SINGE QUI FAISAIT VOIR LE LANTERNE MAGIQUE !
Un barnum faisait voir le lanterne magique. Il avait une joli petite singe amiousant beautiful qui dansait le gigue sur le corde tendue. A cause de cela, il l’appelait d’un nom tout à fait extraordinaire pour une singe, il l’appelait... Jacquot... yés, Jacquot... Un jour que le barnum était allé boire du gin dans un public-house, Jacquot s’en va dans la ville rassembler toutes les bêtes... il en trouve beaucoup. — Venez voir, venez voir, gentlemen, criait la singe, c’est gratis, pour rien, sans argent... Voici la soleil, le lune, les étoiles, le planètes, la déluge!... C’est joli, joli, très joli!!... Les spectateurs ils voyaient rien du tout.
C’était tout noir. Un bête... une... comment vous appelez?... puss! puss! puss!... miaou! miaou! une chat, yés, une chat disait: — Je vois rien du tout. — Moi non plus, disait une... ouà! ouâ! ouâ! une king-charles. — Je distingue pas perfect ly well, disait un... glou! glou! glou! un dinde, yés, un dinde truffé!... Jacquot il avait oublié d’allumer le jablockoff de sonlanterne.
C’est very-well beautiful, je ne dis pas; mais si la traduction est libre... vous êtes également libres de préférer l’original. Il faut éviter aussi l’accent du Midi. Le Marseillais a du bon, certes ! mais outre qu’il vous ferait croire que La Fontaine, té ! ce bon La Fontaine, est de Marseille, qu’il l’a beaucoup connu, il pourrait dénaturer un peu, pour l’honneur du Midi, cette fable :
(Accent marseillais)
LE RENARD ET LES RAISINS
Certain renard gascon, d’autres disent de Marseille,
Et ces derniers ont bien raison !
Vit au haut d’une treille,
Tout proche des Martigues,
Des raisins superbes ! des raisins du Midi,
Té!... Il eut bien voulu, le petit,
En faire un bon repas ;
Mais comme il ne pouvait les atteindre,
Quoique Marseillais,
Té ! ils sont trop verts, dit-il, et bons pour les Parisiens !
Pour réciter convenablement, du reste, un accent quelconque est toujours fort regret table. Evitez-les dpnc avec soin. Ne bégayez pas non plus, c’est de première nécessité : (bégayant) car... la...laa... fa...faable la pli... uus... court...e papa...raîtrait aussi longue qu’un roman du Petit Journal. Ne point zé zayer est également recommandé : (bégayant) car si les cheveux ne gênent pas sur la tête, c’est excessivement gênant dans la bouche. Ne parlez pas du nez, on croirait que vous avez oublié votre bouchoir. Ne prononcez pas de la gorge, on vous prendrait pour un crieur de journaux : Faut voir les dernières nouvelles : le crime de la rue du Canard, cinq centimes!... Enfin! avec une diction irréprochable, de la mémoire, un geste sobre, une voix d’or, et en évitant tous les défauts que je viens de vous signaler, vous pourrez sans crainte vous aventurer, un soir, cà dire un monologue ou une fable... devant votre armoire à glace !!