Les fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut - Livre I

2025-01-25
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Charles-Louis Mollevaut était un professeur aux écoles centrales à Nancy, il enseigna également les langues anciennes dans cette ville. On lui doit de nombreuses traductions d'auteurs classiques et un ouvrage de cent fables en quatrain, divisées en quatre livres tous retranscrits ici en quatre articles.

I. Le Ver luisant


Un Ver luisant errait sous nos vertes charmilles ;
La flèche d'un Serpent lui déchire le sein :
« Que t'ai-je fait , dit- il , misérable assassin ? »
Tu brilles.

II. La Rose et le Zéphir


Un matin, sur l'herbe fleurie,
Une Rose étalait un coloris charmant :
Zéphyr passe, l'effleure, et la voilà flétrie.
Un rien flétrit ainsi la fleur du sentiment.

III. Le Désir et la Crainte


Le vif Désir naquit enfant impétueux,
Et sans réserve et sans contrainte :
Jupin voulut régler son vol tumultueux,
Et dit : « Que le Désir voyage avec la Crainte. »

IV. L'Ivrogne


Un buveur, chargé de son vin,
Gravissait une côte, avec fatigue extrême ,
Jurait, frappait du pied , et grondait le chemin :
Mon drôle aurait mieux fait de se gronder lui-même.

V. L'Autel et la Justice


Un Autel généreux recelait un coupable:
« Quoi, criait la Justice, eh quoi ! cet homme ici ! »
L'Autel répond à la dame implacable :
« Je suis sacré, le malheur l'est aussi . »

VI. Plainte d'une balle de joueur


« Mon malheur n'est que trop certain :
On me pousse et repousse, haut et bas on m'envoie,
Et la Raquette en rit de joie. »
Pauvres solliciteurs, voilà votre destin.

VII. Le Voyageur et le Voleur


Us Voyageur chantait, un Voleur suit ses pas :
« De l'attaquer, dit-il, ne prenons point la peine,
S'il portait de l'argent, il ne chanterait pas. »
Tu crois, maraud, sa bourse est pleine.

VIII. La Dot


Damis semblait brûler d'une invincible flamme ;
« Tant aimer ! pauvre idiot !
Dis-moi quel trait vainqueur a donc percé ton ame ? »
- La dot.

IX. Le Singe


Un Singe, sans cervelle, en habit de docteur,
Se montre, et son air grave , affublé de hauteur,
Impose à la foule surprise.
Parfois la gravité fait passer la sottise.

X. L'Amour et l'Amitié


Lise à l'Amour fermait sa porte ;
Le Dieu mutin pleure et s'emporte ;
Mais l'Amitié lui dit : « Tiens, prends mon vêtement,
Frappe, l'on t'ouvrira, mais entre doucement. »

XI. Le Temps


Une Rose vécut une entière journée :
Quel prodige, ma sœur, vous vivez bien longtemps ! »
Lui dit Flore étonnée.
Ainsi nous mesurons le temps.

XII. Le Renard


Un Renard prend l'allure et la peau d'un mouton,
Et, sous un air niais, parmi la sotte espèce
Se glisse, et satisfait son appétit glouton.
Adroit, qui cache son adresse.

XIII. L'Épingle


Une fidèle Épingle, en son emploi flatteur,
Maintenait et jupon, et ruban et cornette :
L'Épingle se plie, on la jette.
On te rejette ainsi, pauvre vieux serviteur !

XIV. Le Papillon et la Chenille


Un léger papillon, un des plus étourneaux,
Disait : « Sale Chenille, ah ! qu'un Dieu t'extermine ! »
Son frère, redressant l'orgueil de ses anneaux:
« C'est trop vite oublier ta première origine. »

XV. Le Lion et le Loup


Un Loup, voleur de nuit que le carnage enivre,
Jetait sur un Chevreuil ses transports écumants ;
Un lion passe et le délivre.
Les lâches sont cruels, les braves sont cléments.

XVI. Les Fruits


Sur une table, à plusieurs mets
Succédèrent vingt fruits de riches pépinières,
Qu'au seul parfum nomma le plus fin des gourmets.
L'esprit fin nous devine à nos seules manières.

XVII. Le Passant et l'Abeille


« NE vole point sur la fleur vénéneuse
Fille du ciel, l'honneur de la saison.
- Va, ne crains rien : ma course matineuse
Prend le nectar, et laisse le poison. »

XVIII. Le Chien et la Perdrix


UN Basset, pour surprendre une vive Perdrix,
Rampait; elle se rit de la ruse frivole,
S'élance dans les airs, et lui dit à grands cris :
« Traître ! pour arriver tu rampes ; moi, je vole. »

XIX. Le Bossu


On riait aux éclats du bossu Dandinière ;
Lui, cherchait vainement pourquoi ces ris si hauts :
Il portait sa bosse derrière :
Ainsi nous portons nos défauts.

XX. Les deux Médecins


Un Docteur brusquement pansait une blessure ;
Un plus adroit Docteur
Y posait une main et douce, et lente, et sûre.
Il faut ainsi panser les blessures du cœur.

XXI. La Veuve


Lise pleure un mari ; sa sœur dit: « J'ai pour vous
Le plus frais jouvenceau que la France renomme. »
La Veuve fond en pleurs, et se met en courroux ;
Mais un jour elle dit : « Où donc est le jeune homme ? »

XXII. Le Trictrac


« Pourquoi bruyant Trictrac, qui m'étourdis si fort,
D'adresse et de hasard ce bizarre assemblage !
Le tapageur répond : - C'est là le jeu du sage :
Son savoir corrige le sort. »

XXIII. L'Encre, le Papier et la Presse


L'encre dit au Papier : « Je vous sers et vous aime. »
Le Papier lui répond : « Mais je vous sers de même. »
La Presse alors s'écrie : « Eh ! qu'êtes-vous sans moi ? »
Nous sommes dépendants, c'est la commune loi.

XXIV. Le Mérite


La Mort voulut changer son ministre assassin,
Soudain s'offre la Goutte, et la Fièvre, et la Peste.
« Je ne vois, dit la Mort, s'offrir nul médecin :
Le mérite est modeste. »

XXV. L'Art de régner


Rois, voulez-vous régner sur des peuples fidèles,
Trouver des cœurs épanouis,
Et servir de parfaits modèles ?
La fable est sans précepte : imitez donc Louis.

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