Les fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut - Livre II
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Le deuxième livre des fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut dans lequel on retrouvera quelques sujets bien connus des fabulistes comme
Les Bulles de savon ou
Le Papillon et la Chenille.
I. Le Navire
Au gré des plus fougueux autans,
Un Navire roulait, emporté sur l'abîme :
Sa dernière ancre enfin sauve ses mâts flottants.
Peuple, l'ancre sauveur, c'est top roi légitime.
II. Le Chant du Cygne
Un Cygne de sa voix flattait l'ame ravie :
« Cher Amphion, disais-je, est-ce un chant de plaisir ? »
- « Oui, répond-il, je vais mourir. »
La vertu quitte en paix le chemin de la vie.
III. Le Voyageur au Torrent
« Torrent, au loin roulant le courroux de ton onde,
Rentre dans ta couche profonde.
C'est trop: lève tes flots, et caresse ton bord :
Les deux excès ont tous deux tort. »
IV. Le Torrent au Voyageur
« Non, non, ta colère enflammée
Ne m'enchaînera point, comme ces vils ruisseaux :
Je viens, reviens, détruis, et pour ma renommée
Je fais scandale avec mes eaux. »
V. Le Poète parvenu
À de brillants honneurs un poëte eut accès :
Fier d'un aussi beau rêve,
Il foule aux pieds la lyre, auteur de son succès.
Le sot méprise seul le talent qui l'élève.
VI. Les Métamorphoses
Un Papillon disait : « J'ai trois métamorphoses ! »
-« Je t'aime, lui répond la plus fraîche des Roses,
Mais Ver et Chrysalide à mes yeux ne sont rien :
Ce n'est pas de changer, c'est d'être toujours bien. »
VII. La Vertu et le Crime
Le Crime s'écriait : « Je règne sur la terre. »
Mais, d'une voix austère,
La Vertu lui répond : « Je règne dans le ciel. »
Choisis, homme immortel.
VIII. Le Renard
Un vieux Renard, sentant l'approche du trépas,
Fait le saint, met à jeun tout son corps qu'il macère :
Mais nul poulet ne croit son changement sincère.
Mauvais renom ne se rachète pas.
IX. Le Wigh et le Tory
Un
Tory s'écriait : « Tous ces vers sont parfaits ! »
Un
Wigh criait plus fort : « Ils sont tous détestables ! »
Ils n'étaient ni bons ni mauvais :
Ces messieurs étaient tous passables.
X. Le Chien et le Loup
« Trêve aux pauvres agneaux ! » disait un chienauloup.
« Harangue ainsi ton maître, ô gardien imbécille !
J'en mange à peine un sur lui mille. »
Pauvre on poursuit, riche on absout.
XI. Le Taureau et le Chien
Un Matin querelleur sur un Taureau s'élance ;
Mais l'Hercule, allumant le feu de son courroux,
Abaisse un front nerveux, et l'abat sous sa lance.
Ne vous attaquez pas à plus puissant que vous.
XII. L'Occasion
Vois cet enfant mutin qui combat tous nos vœux;
Comment donc le saisir? Son front ras qui se pèle
N'a qu'un léger toupet de blonds et fins cheveux :
L'Occasion, c'est ainsi qu'il s'appelle.
XIII. L'Aigle et le Vautour
Jupin dit au Vautour :
« L'Aigle est disgracié, sois ministre à ton tour. »
Soudain haines, fureurs, et discordes sinistres.
Choisissez vos ministres.
XIV. Le Pinson et le Dindon
Un Pinson étourdi tombe dans une mare :
« Voyez-vous ce roseau ? prenez donc cette amarre ! »
Lui criait un Dindon, sot, à l'air doctoral.
C'est sur-tout de conseils que l'homme est libéral.
XV. La Bulle de savon
La Bulle de savon, qu'un trait du jour colore,
S'enflait, resplendissait de tous les feux d'Iris ;
Le vent souffle, elle s'évapore :
C'est le destin des favoris.
XVI. Le Mari et sa Femme
« Par ce temps, douce amie, aller à la campagne !
Eh quoi ! vous refusez votre tendre compagne !
Ah! partons, c'est mon plus cher vœu :
Mon refus cherchait votre aveu. »
XVII. La Rose Blanche et la Rose vermeille
À la Rose d'albatre une Rose vermeille
Disait : « Je sers l'Amour, j'enflamme son ardeur :
Peux- tu t'enorgueillir d'une faveur pareille ? »
-Non; mais je plais à la pudeur. »
XVIII. Le Clou
Un pauvre clou tyrannisé
D'un lourd marteau reçoit les grands coups sur sa téte ;
Elle résiste, il est brisé.
Il faut savoir céder aux coups de la tempête.
XIX. La Douleur
La Douleur relevait son front languissamment ;
D'un rayon de bonheur y brillait la présence :
« D'où vient, dit la Gaieté, ce soudain changement ?
J'ai versé sur le pauvre un peu de bienfaisance. »
XX. Le Fruit
Un fruit ne mûrissait dans l'ombre :
« Mets mon front au grand jour, je deviendrai vermeil »,
Dit- il au jardinier qui s'en plaint d'un air sombre.
Pour mûrir le talent, il lui faut le soleil.
XXI. La Feuille de Poirier et celle de Fraisier
Au sein des airs tremblait la feuille d'un poirier :
« Ma sœur, tu crains, lui dit la feuille de fraisier.
-Oui ; mais je craindrais moins si je touchais la terre. »
La grandeur parfois donne un effroi salutaire.
XXII. La Belle de Nuit
La fleur ouvrant son sein lorsque l'ombre commence,
Orgueilleuse, étalait sa légère semence ;
Un enfant souffle, et tout fuit emporté.
Rien ne reste en soufflant sur sotte vanité.
XXIII. Le Voleur volé
Lubin voyant de loin un voleur qui s'avance,
S'écrie : « Ah ! dans ce puits est tombé tout mon or ! »
L'autre se déshabille, et regarde, et s'élance :
Lubin prend sa dépouille, et fuit, et court encor.
XXIV. Le Rocher et la Goutte d'eau
« Toi, molle goutte d'cau, percer ma dure roche! "
Sans répondre, la goutte, en cherchant un accès,
Tombe, tombe, etparvient, tombantde proche enproche.
L'invincible constance est l'ame des succès.
XXV. La Dispute des Roses
Les Roses disputaient le prix de la beauté;
De Flore un prompt arrêt les mit toutes à l'aise :
« Rose aux quatre saisons, régnez avec fierté,
Car vous plaisez toujours : c'est l'art de la Française. »