Les fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut - Livre III
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Le troisième livre des fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut dans lequel on retrouvera des sujets originaux, jamais traités par d'autres fabulistes, comme
Le Creuset ou
Le bon cœur, qui ne manquent pas d'intérêt.
I. La Digue et le Torrent
La Digue un jour disait : « Arrête ton ravage,
Sois soumis, fier Torrent ! je viens bannir l'effroi,
Et je peux, seule, offrir la paix à ton rivage. »
Le Torrent c'est le peuple, et la Digue un bon roi.
II. La Calomnie
Damis tombe, frappé d'un poignard délateur ;
Il guérit cependant du coup le plus funeste :
Son assassin s'écrie : « Au moins la marque reste. »
Dis, te reconnais-tu, vil calomniateur !
III. Le Lion et l'Âne
Des honneurs un Lion eut la satiété ;
Il accueille un Baudet, chargé de le distraire ;
Mais, au lieu de rugir, le Lion vint à braire.
Prends garde à ta société.
IV. Le Loup
Pour un quidam un Loup eut des attraits ;
l'abrite, le fête, et de bons mots le gorge ;
e Loup voit un agneau, le saisit et l'égorge.
Un méchant cœur ne se guérit jamais.
V. La Grappe
Dans une belle Grappe un mauvais grain se cache;
De gâter un raisin aurait-il la noirceur ?
Qui : bientôt la gangrène à ses frères s'attache.
Un seul vice suffit pour gangrener le cœur,
VI. Boileau et Racine
Mille sots rimailleurs, tout bardés de travers,
Poursuivaient et Racine et ses sublimes vers :
Boileau seul défendait sa muse poursuivie.
La marque d'un grand cœur, c'est d'être sans envie.
VII. Le Baudet
Un vieux et lourd Baudet veut singer la jeunesse,
Trotte, braie, et se rue, et poursuit jeune ânesse ;
On se rit ; lui criait : «' Peste ! des envieux ! »
C'est un art malaisé de savoir être vieux.
VIII. Le Rayon de Miel
Un enfant voit du miel ! ô quel doux aliment !...
Tandis qu'avec plaisir sa lèvre s'y promène,
L'aiguillon d'une abeille arrête mon gourmand.
Le miel, c'est le plaisir, l'aiguillon, c'est la peine.
IX. Le Traducteur
Un singe qui servait un homme de génie
Devint, le copiant, parfait imitateur ;
Il voulut composer, on siffla sa manie.
Avis au Traducteur.
X. La Fausse Amitié
Un Crapaud dit un jour « Commère la Grenouille,
Soyons amis ! » A peine marché fait,
Le traître la dénonce, et l'insulte, et la souille.
L'Amitié fausse est le plus vil forfait.
XI. Le Creuset
« Quelle Occasion opportune !
De l'or!... Vite un Creuset ! éprouvons sa valeur !
Il est bon, dit Alcandre, et je tiens ma fortune ! »
Éprouvez vos amis au creuset du malheur.
XII. Le Danger du Mensonge
Un Enfant, entraîné par un cœur inhumain,
Dit un jour un honteux mensonge ;
Grand, il mentit l'amour, et l'honneur, et l'hymen :
Ce vice affreux conduit plus loin que l'on ne songe.
XIII. Le Frein et le Coursier
Un Frein serrait trop fort:: le fier Coursier se rue.
Maître Frein s'adoucit : dom Coursier marcha bien.
Voulez-vous conserver une puissance ardue,
Princes? ne lâchez trop, ne serrez trop le frein.
XIV. Le bon Cœur
Aglaure s'écriait : « O Temps ! je te déteste !
Tout vieillit : grâce, esprit, attraits.
Sa mère lui répond : « Un seul charme nous reste :
Le bon cœur ne vieillit jamais. »
XV. Le Riche et le Poète
« UN Poète, si fier ! » disait le fier Mondor.
Mais le fils d'Apollon, resplendissant de gloire :
« J'abaisse ma fierté devant l'orgueil de l'or,
Si l'or peut t'acheter l'immortelle mémoire. »
XVI. L'Or
« En quoi ! donc, disait l'Or, ingrate médisance,
Toujours tomber sur moi !
Mais je taris les pleurs ; je sers la bienfaisance :
Tout dépend de l'emploi. »
XVII. Le Lévrier et l'Âne
Le front bas, à pas lents, marchait un lourd Ânon ;
Un léger Lévrier ricane :
« Je vole, et le devance : oh ! pour moi quel renom ! »
Est-il donc quelque gloire à devancer un âne ?
XVIII. Le Sage et le Sot
« En quoi donc! tant chérir ta maussade retraite, »
Disait au Sage un Sot surpris.
Il répond au faquin, dont l'aigreur le maltraite :
Tu m'en fais connaître le prix. »
XIX. L'Avare
Un Avare, enchaînant son prodigue appétit,
De faim près de son or succombe;
On grava sur sa maigre tombe :
Gripard enfin mourut, c'est le seul bien qu'il fit.
XX. Le Perce-Neige
« Qu'importe des hivers la longue tyrannie !
Disait un Perce-Neige, éclatant de blancheur;
Je brave l'aquilon, les nuits et leur fraîcheur. »
Qui peut arrêter le génie?
XXI. Avis aux Conquérants
D'un riche Laboureur l'avidité traîtresse
Surchargeait ses greniers d'une immense richesse,
Tant que grains et planchers, tout s'écroule à la fois.
Un trop vaste pouvoir s'écroule sous son poids.
XXII. Le Proscrit
Sun un proscrit planait le danger le plus grand ;
Un étranger reçoit sa vertu poursuivie ;
Un parent le dénonce, et l'arrache à la vie.
La plus terrible haine est celle d'un parent.
XXIII. Le Miracle
Un impie insultait notre culte adorable :
« Faites, et j'y croirai, des miracles nouveaux. »
Soudain le bronze apprend d'une voix formidable
Que le Ciel aux Français donne un Duc de Bordeaux.
XXIV. L'Enrichi
« Chassez ces intrigants dont l'aspect m'importune,
Gens de rien, sans honneurs, sans aïeux, sans fortune. »
Quel grand seigneur parlait ainsi ?
Un Enrichi.
XXV. Éloge de la Religion chrétienne
Une Secte criait : « Vengeons mon abandon !
Semons et la terreur et le sang et les larmes !
Eh bien ! soldats du Christ, qu'opposer à ces armes ? »
- Le pardon.