Les fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut - Livre IV

Le quatrième livre des fables en quatrain de Charles-Louis Mollevaut. Je ne saurais trop applaudir l'auteur pour avoir réussi l'exploit de dire beaucoup en aussi peu de mots. Je me suis adonné à cet exercice par le passé et je dois bien avouer qu'il est tout à fait redoutable. Il est vain de vouloir, en un quatrain, présenter des personnages, faire intervenir une action (même courte) et terminer par une morale. Il faut être succint et partir du principe que les personnages ne méritent aucune introduction. Je trouve les quatrains de Mollevaut très clairs et très réussis.
I. La Fable
« Vous me faites courir la poste,
Et me brûlez sur le charbon, »
Dit la Fable. Je lui riposte :
« Moi, ma devise est court et bon. »
II. Le Mari Vieillard
Un jeune galantin narguait le mariage ;
Vieux, il prit une femme, en dépit de son age ;
Mais son front se chargea de soucis éclatants.
Ne faites rien à contre-temps.
III. Le Fruit
Un Enfant touche un fruit, le velouté s'envole :
Bien qu'il conserve encor son parfum enchanteur,
Le fruit est rejeté pour ce défaut frivole.
Nous jugeons à l'écorce, et rarement au cœur.
IV. Le Bouc
Pour plaire davantage à l'objet de ses flammes,
Un Bouc galant se fait raser,
Et tous les Bouquetins l'accablent d'épigrammes.
Ne faut se singulariser.
V. L'Indifférence du génie
Un Poète comptait d'illustres protecteurs ;
L'orage de l'envie à ses côtés s'amasse :
« Disgrace ! il est tombé! » c'est le cri des auteurs.
« Eh quoi, dit-il, j'étais en grace ! »
VI. Les deux Peintres
Du Peintre Corilli l'art vrai ne flattait point ;
Son coffre et sa figure étaient tous deux étiques ;
Mais un pinceau flatteur comptait mille pratiques.
Veux-tu nombreux amis ? Fais de même en tout point.
VII. Le Cerf
Un jeune Cerf vantait sa corne d'un haut prix;
Un Arbre dans ses bras et l'arrête et l'embrasse :
On l'attaque, il est pris.
Dans ses filets l'orgueil bien souvent s'embarrasse.
VIII. La Rose et le Frelon
La Rose reçoit un Frelon ;
Mais soudain l'animal félon
Lui darde sa vive piqûre.
Si recevez l'Amour, redoutez sa blessure.
IX. Le Paon
Ô bon Dieu, quel caquet !
Oisons, Poulets, Dindons, tout d'un Paon se moquait,
Mais son superbe éclat répond à leurs outrages.
Le génie aux Dindons répond par ses ouvrages.
X. Le Bateau sans rame
Sans rame, se hasarde un mauvais garnement ;
Soudain la mer l'emporte au gré de son envie.
Ainsi quand nous suivons le fleuve de la vie,
Sans la sagesse, adieu le fréle bâtiment.
XI. L'Aigle et le Hibou
Un Aigle fièrement regardait le soleil ;
Un vieux Hibou disait : « cet astre- là me blesse. »
Telle on voit la vertu porter les yeux au ciel,
Le crime l'aperçoit, et son regard s'abaisse.
XII. Le Navire
Un Navire est battu de l'onde soulevée ;
Ses ancres se rompant entraînent le tillac ;
Un câble un peu plus fort, la nef était sauvée.
Le mieux est de n'avoir qu'un bon tour dans son sac.
XIII. L'Oiseleur et le Perdreau
Surpris par les filets, un lache et vil Perdreau,
Offrit humblement à son maître,
Dans ses avides rets, d'attirer maint oiseau :
L'Oiseleur étrangla le traître.
XIV. Le Voleur
Un Voleur attend sa victime,
Le fer brille, il fuit sans combat.
Opposez le courage au crime,
Il poignarde, mais ne se bat.
XV. La Grâce
Laure, qui méconnaît la simplesse ingénue,
Voit une Grace et simple et nue :
« Dites, pour plaire tant, ce qu'un dieu vous a fait ?
- La Grâce en don reçut un- naturel parfait. »
XVI. La Vengeance
Un cruel Florentin, dans une nuit perfide,
Pour se venger, cachait un poignard homicide :
Il tombe, et son poignard le perce tout entier.
La vengeance est toujours un mauvais conseiller.
XVII. Contre les Parfums
Respire, chère Églé, cette divine essence ;
Quoi ! de t'en parfumer n'as - tu donc le moyen ? »
De la Dame, un Rieur prend ainsi la défense :
Une femme sent bon quand elle ne sent rien. »
XVIII. Le jeune Arbre
De mauvais fruits naissaient sur un arbre novice ;
Du verger il fallait soudain le retrancher ;
La racine s'alonge ; on ne peut l'arracher.
C'est l'histoire du vice.
XIX. L'Ambitieux
Sysiphe roule un roc qui sans cesse retombe,
Et toujours mécontent, toujours suit ses travaux :
Ainsi l'ambitieux, jusqu'au bord de la tombe,
Roule ses vains projets et ses ennuis nouveaux.
XX. Le Fantôme
La nuit, unjeune Enfant croit voir marcher une Ombre,
S'élance, domptant sa terreur,
Et saisit un rideau, brillant dans la nuit sombre.
S'il fût demeuré coi, l'Enfant mourait de peur.
XXI. La Poudre
La Poudre veut un jour faire un fracas horrible :
Par le roc comprimée, elle s'allume et part,
Et brise le front d'un rempart.
Le courroux comprimé s'élance plus terrible.
XXII. La Ligne et le Poisson
La Ligne d'un pêcheur amorçait le Poisson ;
Le Poisson prend l'amorce, et laisse l'hameçon.
O quel art dans la vie humaine
De prendre le plaisir, et de laisser la peine !
XXIII. L'Illusion de l'Amour
Florville idolatrait la jeune et douce Arthure,
Chef-d'œuvre, disait-il, de toute la nature :
"Quel port ! quels yeux ! quels traits ! et quel espritheureux ! »
Elle n'étaiť point belle, il était amoureux.
XXIV. Le Paysan et la Rivière
Un Paysan disait, au bord d'une rivière :
« Laissons-la s'écouler, et je passe à mon tour. »
Pour soigner ta conduite, et régler ta carrière,
N'attends point que tes ans s'écoulent sans retour.
XXV. La Critique et l'Auteur
« Quand pour faire ta fable étique
Tu quittes le sentier battu,
Tremble d'y trouver la critique !
- Tant mieux, je serai lu. »