Les fables en quatrain de Henri Dottin - Livre II
60 fables réparties en 4 livres.
LIVRE II
I. LES DEUX LIVRES
UN livre à tranches d'or, vêtu de maroquin,
Rougissait de se voir près d'un sale bouquin
Qu'était notre élégant? un roman éphémère ;
Et son voisin poudreux? l'Iliade d'Homère!
II. L'ARAIGNÉE ET LE VER A SOIE
Au ver, dame Arachné dit : « Je ne te vaux pas;
Dans notre art de filer, je ne suis qu'une élève. »
— « Oh! non, répond le ver, je te cède le pas. »
Tel s'abaisse souvent, pour qu'un autre l'élève.
III. L'ESQUIF
SUR le dos de la vague un esquif jusqu'aux cieux
S'élance avec orgueil, mais bientôt il retombe ;
Sous lui la mer s'entr'ouvre, et la mer est sa tombe.
Le flot est la faveur, l'esquif l'ambitieux.
IV. LA ROSE ARTIFICIELLE
LA rose, enfant de l'art, dit d'un air de grandeur :
v. Vraiment on me croirait la rose naturelle. »
— ((Oh ! non, n'espère pas qu'on te prenne pour elle,
Lui répondit quelqu'un, tu n'as pas son odeur. »
V. LA SOTTISE
DANS une académie un jour se présenta
La sottise : tu crois qu'elle y fut importune;
Détrompe-toi, lecteur, pour membre on l'adopta
Sur un certificat signé par la fortune.
VI. LE MENDIANT, L'ENFANT ET SON PÈRE
Au pauvre qui lui dit : « C'est en vous que j'«spère; »
Un jeune enfantrépond : «Vous reviendrez plus tard.»
— « Non, non, donne à l'instant, réplique alors son père
C'est obliger deux fois qu'obliger sans Têtard. »
VII. LE SECRET ET L'ÉCHO
L'ÉCHO fut d'un Secret rendu dépositaire,
Et bientôt le bavard l'ébruita sur la terre.
Désires-tu qu'un autre observe ton secret,
Il faut savoir d'abord toi-même être discret.
VIII. LE TYRAN ET LES DEUX ASSASSINS
SUR un tyran un homme avait levé son glaive,
On le pend. Ce tyran plus tard tombe abattu
Par Un autre assassin qu'aux honneurs on élève.
Le succès bien souvent change un crime en vertu.
IX. L'APPÉTIT, LA SOBRIÉTÉ, L'ESTOMAC ET LA SANTÉ
L'appétit, las enfin de vivre solitaire,
Pour femme prit un jour dame sobriété ;
L'estomac fit, dit-on, l'office de notaire :
Ce fut de cet hymen que naquit la santé.
X. LA ROSE ET LE SOLEIL
A l'ombre d'un berceau la rose à peine née,
Voulut enfin du ciel contempler la clarté ;
Soudain elle tomba, par le soleil fanée.
Heureux qui vit content de son obscurité.
XI. L'IVROGNE ET LA BOUTEILLE VIDE
Un ivrogne à l'oeil terne, à la face livide,
Sur le pavé brisait une bouteille vide.
« Mon crime, quel est-il ? » demandait-elle en vain.
Son crime, hélas! c'était de n'avoir plus de vin.
XII. LA ROBE ET LE SOLEIL
Une robe était rouge : au soleil on l'étalé,
Et sur elle s'étend une douce pâleur.
Aux rayons bienfaisans de la faveur royale,
Combien d'hommes d'état ont changé de couleur.
XIII. L'OISELEUR ET LE BOUVREUIL
Un perfide oiseleur, dans un bois se cachant,
Imite du bouvreuil la voix ; par son doux chant
L'oiselet attiré, dans les filets s'engage.
Le méchant, pour tromper, des bons prend le langage.
XIV. LES DEUX VOLEURS ET LE CHEVAL
« Moi, je Veux le cheval.» - « Non, j'enfais mon affaire. »
S'écriaient deux voleurs : soudain comme lèvent
Part le fougueux coursier ; c'est ainsi que souvent
L'occasion s'enfuit tandis qu'on délibère.
XV. LE SINGE ET L'OURS
Le singe dit a l'ours : « Le destin à ta race
D'un petit bout de queue à peine a-t-il fait grâce. »
— « Ma queue est, répond l'ours, pktSilongue qu'il ne faut.
Nous ne voulons jamais convenir d'un défaut.
XVI. LA VOITURE À VAPEUR ET LA CHARRETTE
La voiture à vapeur prompte comme l'éclair,
Riait du pas ;pesant>d'une lente charrette;
Mais la folle plus loin se brise, éclate.en:l'air.
, Préfère aller moins vite et que rien ne t'arrête.
XVII. LE RENARD ET LE CHIEN
« Ah ! monseigneur, voyez-les. pleurs de l'innocence !
Dit le renard au chien qui, du titre enchanté,..
Laisse fuir le renard plein de reconnaissance.
Que de gens généreux par pure vanité.
XVIII.
LA FEMME BAVARDE ET SON MARI
Un mari s'écriait : « Qu'enfin ton caquetage
Cesse , femme, ou sinon je saurai me fâcher. »
Sa femme, nuit et jour, babilla davantage:
Souffre en paix ce qu'en vain tu voudrais empêcher.
XIX. LES FLEUVES ET L'OCÉAN
A l'immense Océan les fleuves de la terre
Se plaignaient de porter leur onde tributaire.
Hélas ! de notre sort leur sort nous avertit :
La mort est l'Océan où l'homme s'engloutit.
XX. LE CHIEN DU CHARBONNIER
Par hasard j'admirai la blancheur d'un caniche
Qui, chez un charbonnier, dormait dans une niche ;
Plus tard je le revis tout sale et noir : ainsi
Au contact des médians l'innocent est noirci.