Les fables en quatrain de Henri Dottin - Livre III
60 fables réparties en 4 livres.
LIVRE III
L LE MENTON ET LE RASOIR
Le menton au rasoir : — « Tu m'écorches, mon cher. »
— « C'est pour couper le poil. » Lecteur, que vous en semble
Maint avoué,: je crois, à ce rasoir ressemble ;
Pour enlever un poil il enlève la chair.
II. LE PAON ET LE ROSSIGNOL
Tandis que seul un paon admirait son plumage
Du rossignol la foule avec avidité,
Dans un bois écoutait l'harmonieux ramage
Les talens valent mieux centfois que la beauté.
III. LE LION ET LE RENARD
Un renard voit un boeuf qu'un lion étranglait
« En vérité, dit-il, c'est par pure bêtise,
Que j'ai scrupule, moi, de croquer ce poulet. »
Des actions des grands le petit s'autorise.
IV. LES CHEVEUX ET LE PEIGNE
Au peigne les cheveux; criaient : « Pour quel forfait,
Cruel, nous poursuis-tu de ta dent importune ? »
— « De votre peu de soin ce malheur est l'effet. »
Bien souvent le désordre amène l'infortune.
V. L'ENFANT ET LE BALLON
Un enfant qui lançait son ballon dans la plaine,
Voulut savoir de quoi la vessie était pleine
Il la crève aussitôt : qu'y trouve-t-il ? Du vent.
Ce ballon gonflé d'air ressemble au faux savant.
VI. LA PLUME DE FER ET LA PLUME D'OIE
Plume de fer, un jour, disait à plume d'oie : :
« Comment donc se fait-il que l'homme me rudoie,
Tandis qu'avec douceur je le vois.te choyer ? ».
— « En voici la raison : Tu ne sais pas ployer. »
VII. LE LOUP ET L'AGNEAU MALADE
Un jeune agneau souffrait : « Bois cette eau salutaire,»
Lui, dit un loup, Alors l'agneau se désaltère .
Et du poison soudain il ressent les effets,
Sache qu'un ennemi redouter les bienfaits,.
VIII. LE RAT SANS QUEUE
Un rat coupa sa queue, à son dire, incommode,
Et bientôt chaque rat se la fit arracher,
L'on verrait nos dandys sur un seul pied marcher,
Si marcher sur un pied devenait à la mode.
IX. LE VIEILLARD ET LA MORT
Un vieillard s'écrirait : « Viens, je t'appelle, ô mort !
Pour guide j'eus l'honeur, je mourai sans remord. »
Mais la mort lui répond : « Réprime cette vie :
Qui m'implore, vieillard, fait accuser la vie. »
X. LES DEUX GRAPPES DE RAISIN
Côté à côte logeaient deux grappes de raisin
L'une aux grains frais et verts, l'autre tout gâtée :
La grappe aux grains si beaux fut bientôt infectée.
Rien n'est à redouter comme un méchant voisin.
XI. LES DEUX PERROQUETS
Un jeune perroquet et nuit et jour jasait,
Riant de son voisin qui jamais ne causait.
Or, son muet voisin savait que, sur la terre,
Aux leçons du malheur on apprend à se taire.
XII. LE MALADE ET SON MÉDECIN
« De mes biens, cher docteur, vous serez légataire,
Aussi de vous j'exige un dévouement entier. »
Le donateur dormait trois jours après sous terre,
Jamais d'un médecin ne fait ton héritier.
XIII L'ENFANT ET LE POMMIER
Un enfant rencontra sur le bord du chemin,
Un supeerbe pommier ; pour lui quel jour de fêtes !
Plus tard il y revint, la récolte était faite.
Le bonheur promet-il d'avoir un lendemain.
XIV. LE CHIEN
UN chien, en gémissant sut son dur esclavage,
Se disait : « Que ne puis-je, hélas ! courir les champs,
Comme ce loup cruel qui porte le ravage. »
Les bons souffrent de voir l'heureux sort des méchants.
XV. LE PHILANTHROPE.
« Tout pauvre à notre aumône est en droit de s'attendre, »
Criait un philanthrope. Un pauvre vient lui tendre
La main, plein d'espérance en son brillant renom.
Notre homme généreux le secourut-il ? - Non.
XVI. LE BLANC, LE BLEU ET LE ROUGE
Le blanc disait : « Mon dieu ! que le bleu me déplaît. »
Le bleu de son côté trouvait le blanc fort laid ;
Le rouge se moquait de tous les deux ensemble.
Jamais nous n'admirons que ce qui nous ressemble.
XVII. L'AUTEUR ÈT LE CRITIQUE
« Mon drame vous plaît-il ? Je crois devoir attendre
De vous un avis franc. » - « Je l'ai fort peu goûté. »
Notre auteur mécontent s'enfuit. La vérité !
Chacun veut la savoir et tremble de l'entendre.
XVIII. LE CHAT ET LE CHIEN
Un chat du fond d'un puits appelait au secours :
Passe un chien qui d'abord entame un long discours,
Tandis que notre chat criait : « Miséricorde !
Qu'ai-je besoin de mots, vite, vite, une corde ! »
XIX. LA PERRUCHE ET LE ROSSIGNOL
La perruche disait du rossignol : « Vraiment,
S'il chante mal, du moins son plumage est charmant. »
D'elle le rossignol disait : « Que son ramage
Est donc délicieux , mais quel affreux plumage ! »
XX. L'OURS ET LE LOUP
DEPUIS long-tems le loup et l'ours sans cesse en guerre,
Se rencontrent un jour. « Va, je ne t'en veux guère,
Embrassons-nous, » dit l'ours , d'un ton attendrissant.
Qr notre ours étouffa le loup en l'embrassant.