Les fables en quatrain de Henri Dottin - Livre IV
60 fables réparties en 4 livres.
LIVRE IV
I. LE DOGUE
« Si j'étais chat, disait un dogue à l'air sinistre,
Je ne serais jamais voleur assurément. »
Devenu chat, il fut et voleur et gourmand.
J'entends crier partout ; Oh ! si j'étais ministre !
II. LE CHAT
Certain chat, bon enfant trouvant un frais laitage,
Se dit : — « Le happer, seul, serait d'un vrai glouton ; »
Et, joyeux, au régal il invite raton.
Il n'est de doux plaisirs que ceux que l'on partage.
III. L'ÉTINCELLE ET LE BARIL DE POUDRE
Une étincelle tombe en un baril de poudre
Qui, prenant feu soudain, tonne comme la foudre,
Eclate ; autour de lui, dieu ! quel ravage il fait !
Souvent petite cause a produit grand effet.
IV. LE MARIN
Sur le bord de la mer jeté par un orage,
Un mari ne se plaisait à contempler la rage
Des flots, en mugissant, vers le ciel élancés;
Doux est le souvenir des maux qui sont passés.
V. L'EPAGNEUL
UN épagneul chassé par sa riche maîtresse,
Ne trouvait nul ami sensible à sa détresse ;
Pourquoi ? C'est qu'il avait, dans le malheur, compté
Sur ceux qu'il dédaigna dans sa prospérité.
VI. LE PROSPECTUS
« Cent pour cent à gagner ! quelle excellente affaire ! »
Criait un prospectus. Or, chaque actionnaire
Perdit son capital. Bien des gens, de nos jours,
Sans espoir de tenir, nous promettent toujours.
VII. LE CHAT ET LA SOURIS
Par hasard dans un piège un chat est pris : soudain
Gente souris de lui s'approche, et d'un air grave :
« En champ clos je t'attends, viens donc, viens donc, gredin ! »
N'est-il point de danger ? Le poltron fait le brave.
VIII. LA ROSE ET L'ARROSOIR
Souvent de l'arrosoir parlait mal une rose :
Je l'entends, certain jour, avec étonnement,
Le louer. — Jardinier, pourquoi ce changement?
— Pourquoi ? C'est que madame a besoin qu'on l'arrose.
IX. L'ENFANT, SA MERE ET L'ORANGE
UN enfant s'écriait : « Vois donc ce beau fruit d'or,
Maman, quel est son nom ? — « Orange, » dit sa mère.
« Comme lui, mon enfant, ajoute-t-elle encor,
L'étude est un fruit doux sous une écorce amère. »
X. LE SINGE ET LE MIROIR
UN singe se croyant joli, par aventure
Regarde en un miroir, et comme il s'y voit laid,
Il le brise soudain. Notre ami nous déplaît ;
Dès qu'il ose nous dire une vérité dure.
XI. L'ANE ELOQUENT
UN âne allait pour meurtre être décapité,
Quand par un beau discours prouvant son innocence,
Aux juges il apprend que la nécessité
Fut toujours le meilleur des maîtres d'éloquence.
XII. LE POÈTE ET L'HISTORIEN
« J'ai lu tes derniers vers, tudieu, c'est admirable !
A grands pas ton nom marche à l'immortalité, »
— « Moi, j'ai lu ton histoire, oh! sublime ! adorable !»
On ne flatte qu'afin d'être à son tour flatté.
XIII. LE JEUNE RAT
« Selon papa, ce lard est un appât trompeur,
Disait un jeune rat, c'est un sot, il a peur,
Mordons. » Il mord, est pris, pleure et se désespère.
Quel enfant ne se croit plus sage que son père.
XIV. LE JUGE ET L'HUISSIER
Un juge s'endormait quand en criant silence,
L'huissier s'en vient troubler sa douce, somnolence.
Notre juge bourru le chasse, l'huissier sort,
Disant : « Il ne faut pas éveiller chat qui dort. »
XV. LA GOUTTE DE SUCCIN ET LE MOUCHERON
Par hasard de succin une goutte tomba
Sur un vil moucheron, et soudain l'engloba.
Il devint perle : ainsi la fortune inconstante
Fait d'une vie obscure une vie éclatante,
XVI. LES DEUX CHIENS
« Au même rang que moi, disait le beau Médor,
Vil chien de mendiant, oses-tu bien te mettre ? »
— « Comme moi n'es-tu pas sous la verge d'un maître ?
Qu'importe qu'un collier soit fait de cuivre ou d'or. »
XVII. L'ENFANT, SON PÈRE ET LE PIN
En lui montrant un pin dont le feuillage vert
Sans cesse avait bravé les fureurs de l'hiver,
Un père à son fils dit : « Ainsi, dans notre vie,
La vertu sait toujours triompher de l'envie. ».
XVIII. LE COQ D'INDE
Sous un long manteau noir où son rabat glissait,
Un coq d'Inde à pas lents et comptés s'avançait :
D'un professeur de droit il avait l'apparence.
L'air grave sert souvent de masque à l'ignorance.
XIX. LE ROI
« À quoi bon me forger des craintes éternelles,
Dit un roi, n'ai-je pas de bonnes sentinelles? »
De craindre encor pourtant il aurait eu raison :
C'est dans les coupes d'or que se boit le poison.
XX. LE SOLEIL ET LE NUAGE
Un nuage criait : « Dans quelle obscurité
Je te plonge, ô soleil, en te voilant la face ! »
Mais bientôt un rayon le dissipe et l'efface.
L'erreur voudrait en vain ternir la vérité.