O que le luxe est un cruel tyran,
Ennemi du plaisir, du repos, de l’aisance
On voit par lui plus d’un riche indigent
En public faire envie, en secret abstinence,
Et, dupe de sa vanité,
Unir aux embarras que donne l’opulence
Les soucis de la pauvreté.
Si je les nommais tous, ma liste serait ample;
Mais j’aime mieux, sans blâmer tel ou tel,
Qu’une fable serve d’exemple
A tous ces fous. Un jour, devant certain hôtel,
Côte à côte rangés, attendaient deux carrosses;
L’un où quatre chevaux trépignaient à-la-fois ;
L’autre un fiacre avec ses deux rosses,
Ses traits de corde et ses glaces de bois.
Les coursiers du bel équipage,
Faute de mieux, se mettent à berner
Du fiacre leur voisin le modeste attelage ;
Surtout en ridicule ils aiment à tourner
. Des berlingots l’antique privilège,
L’usage consacré de porter sous le siège
Le sac d’avoine et la botte de foin,
Témoignages prudents d’un ignoble besoin.
« Amis, leur disaient-ils, pourriez-vous nous apprendre
« Si dans Pise autrefois les coursiers glorieux
« Portaient aussi leur dîner avec eux ? »
Et puis d’autres bons mots que ne pouvaient comprendre
De pauvres journaliers. Mais le temps s’écoulait,
Et de f hôtel nul maître ne sortait.
Du repas l’heure étant venue,
Le fiacre à ses trotteurs donne la ration ;
Et la botte de foin, devant eux suspendue,
Leur fait, en s’allégeant, trouver le temps moins long.
Les moqueurs la lorgnaient avec un œil d’envie.
Nature quelquefois met noblesse en défaut;
Car manger dans la rue est une ignominie
Pour des bêtes comme il faut. Ce n’est le pis.
Au lieu de leur donner à paître,
Le cocher de son fouet leur caressait les reins,
En leur criant : « Caracolez, coquins,
« Faites honneur à votre maître.
Voilà donc, me disais-je, en passant auprès d’eux,
Les soins qu’on prend pour être malheureux.
Les pauvres diables dans la rue
Sans honte, sans souci, dînent paisiblement;
Et les faquins, que la faim exténue,
Sous le fouet de l’orgueil sautent en enrageant.