Les deux propriétaires Théophile Deyeux (1799 - 1870)

Dans ce fameux pays de Quinpercorantin,
Où Von reste le soir en partant le matin,
Un pauvre agriculteur perdait ses équipages,
Des chevaux à tous les voyages ;
C’était vraiment un Océan nouveau;
Des trous profonds, toujours plein d’eau,
Trompaient le monde ;
On n’y marchait qu’avec la sonde.
On essayait de l’un et l’autre côte,
Mais on n’était ni plus ni moins crotté.
Alors le laboureur, tout prés de sa ruine,
Dit:0 n’est qu’un moyen d’éviter la famine ;
Employons quelques jours
A tenter ce dernier secours.
C'est d’égoutter les eaux et de paver la voie;
Si ma bourse y suffit, j’en aurai grande joie.
Alors tout ira mieux,’
Les temps seront peut-étre plus heureux.
C’est dit, c’est fait ; mais plus rien dans la bourse,
Voila notre homme sans ressource,
Forcé de vendre son manoir.
Chacun est étonné de voir
Le successeur y fixer, la fortune ;
C'est cependant chose commune :
Le premier ne fait rien que boucher tous les trous,
Son vœu se borne à joindre les deux bouts ;
Puis il arrive un imbécile,
Comme en voit neuf cents sur mille,
Qui, trouvant sur le sol tous les arbres greffés,
Les deux pieds bien chauffés,
Se couche sans soucis, content de ses affaires,
Qui, malgré lui, sont toutes claires ;
Tl passe encor pour un homme d'esprit.
L'autre est un songe-creux qui tomba de son lit ;
On lui jette encor plus de pierres
Qu'on ne dit pour lui de prières.

« Qui ne réussit pas à tous les yeux, à tort ;
Mais il aura raison une heure après sa mort. »

Fable 14




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