Esope (8ème siècle avant J.C.)Toutes les fables

Il y a de nombreux doutes et mystères qui planent sur le Grec autour de plus de 300 fables, qui ont passionné et inspiré des générations de poètes, depuis le Moyen âge jusqu'au XVIIIème siècle. Assez peu connu en France, même si, c'est de lui que viennent presque toutes les histoires reprises par La Fontaine, certains pays (comme l'Angleterre et les États-Unis le font étudier aux plus jeunes de leurs élèves.

L'essentiel à retenir sur les recherches effectuées depuis la fin du XXème siècle, c'est que Esope n'est pas une seule personne. On suppose que l'homme a existé et qu'on lui a attribué la paternité de nombreux écrits, rassemblés en recueil pendant l'Antiquité, puis traduits en latin pendant les siècles suivants. Les spécialistes, en analysant les différentes sources, puis les fables elles-mêmes ainsi que le style, pensent que nous devons les fables que nous attribuons aujourd'hui à Esope à au moins huit personnes.

Voici l'intégralité des 358 fables de Esope sur une même page, dans une traduction connue pour être très fidèle, de Émile Chambry.

Les Maux, profitant de la faiblesse des Biens, les chassèrent. Ceux-ci montèrent au ciel. Là, ils demandèrent à Zeus comment ils devaient se comporter avec les hommes. Le dieu leur dit de se présenter aux hommes, non pas tous ensemble, mais l’un après l’autre. Voilà pourquoi les Maux, habitant près des hommes, les assaillent sans interruption, tandis que les Biens, descendant du ciel, ne viennent à eux qu’à de longs intervalles.

L’apologue fait voir que le bien se fait attendre, mais que chaque jour chacun de nous est atteint par les maux.

Un homme, ayant fabriqué un Hermès de bois, l’apporta au marché et le mit en vente. Aucun acheteur ne se présentant, il se mit en tête d’en attirer en criant qu’il vendait un dieu pourvoyeur de biens et de profits. Un de ceux qui se trouvaient là lui dit : « Hé, l’ami, s’il est si bienfaisant, pourquoi le vends-tu, au lieu de tirer parti de ses secours ? — C’est que moi, répondit-il, j’ai besoin d’un secours immédiat, et que lui n’est jamais pressé de procurer ses bienfaits. »

Cet apologue convient à un homme bassement intéressé et qui ne se soucie même pas des dieux.

Un aigle et un renard, ayant fait amitié ensemble, décidèrent d’habiter l’un près de l’autre, dans la pensée que la cohabitation affermirait leur liaison. Et alors l’aigle prenant son essor s’établit sur un arbre très élevé et y fit sa couvée, tandis que le renard, se glissant dans le buisson qui était au pied de l’arbre, y déposa ses petits. Mais un jour que le renard était sorti pour chercher pâture, l’aigle à court de nourriture fondit sur le buisson, enleva les renardeaux et s’en régala avec ses petits. À son retour, le renard, voyant ce qui s’était passé, fut moins affligé de la mort de ses petits que de l’impossibilité de se venger ; en effet il ne pouvait, lui quadrupède, poursuivre un volatile. Il dut se contenter, seule ressource des impuissants et des faibles, de maudire son ennemi de loin. Or il arriva que l’aigle ne tarda pas à subir la punition de son crime contre l’amitié. Des gens sacrifiaient une chèvre à la campagne ; l’aigle fondit sur l’autel, y ravit un viscère enflammé et l’apporta dans son nid. Or un vent violent s’étant mis à souffler fit flamber un vieux fétu, et par suite les aiglons furent brûlés, car ils étaient encore hors d’état de voler, et ils tombèrent sur le sol. Le renard accourut et sous les yeux de l’aigle les dévora tous.

Cette fable montre que, si vous trahissez l’amitié, vous pourrez peut-être vous soustraire à la vengeance de vos dupes, si elles sont faibles ; mais qu’en tout cas vous n’échapperez pas à la punition du ciel.

Une aigle poursuivait un lièvre. Ce lièvre, se voyant dénué de tout secours, recourut au seul être que le hasard offrit à ses yeux ; c’était un escarbot ; il le supplia de le sauver. L’escarbot le rassura, et, voyant approcher l’aigle, il la conjura de ne pas lui ravir son suppliant. Mais l’aigle, dédaignant sa petitesse, dévora le lièvre sous les yeux de l’escarbot. Dès lors l’escarbot, plein de rancune, ne cessa d’observer les endroits où l’aigle faisait son nid, et, quand elle couvait, il s’élevait en l’air, faisait rouler les œufs et les cassait, tant qu’enfin pourchassée de partout, elle eut recours à Zeus (car c’est à Zeus que cet oiseau est consacré), et elle le pria de lui procurer un asile sûr pour y faire ses petits. Zeus lui permit de pondre dans son giron, mais l’escarbot avait vu la ruse : il fit une boulette de crotte, prit son essor, et, quand il fut au-dessus du giron de Zeus, il l’y laissa tomber. Zeus se leva pour secouer la crotte, et jeta les œufs à terre sans y penser. Depuis ce temps-là, dit-on, pendant la saison où paraissent les escarbots, les aigles ne nichent plus.

Cette fable apprend à ne mépriser personne ; il faut se dire qu’il n’y a pas d’être si faible qui ne soit capable un jour de venger un affront.

Un aigle, fondant d’une roche élevée, enleva un agneau. À cette vue, un choucas, pris d’émulation, voulut l’imiter. Alors, se précipitant à grand bruit, il s’abattit sur un bélier mais ses griffes s’étant enfoncées dans les boucles de laine, il battait des ailes sans pouvoir s’en dépêtrer. Enfin le berger, s’avisant de la chose, accourut et le prit ; puis il lui rogna le bout des ailes, et, quand vint le soir, il l’apporta à ses enfants. Ceux-ci lui demandant quelle espèce d’oiseau c’était, il répondit : « Autant que je sache, moi, c’est un choucas ; mais, à ce qu’il prétend, lui, c’est un aigle. »

C’est ainsi qu’à rivaliser avec les puissants non seulement vous perdez votre peine, mais encore vous faites rire de vos malheurs.

Un jour un aigle fut pris par un homme. Celui-ci lui rogna les ailes et le lâcha dans sa basse-cour pour vivre avec la volaille. Alors l’oiseau baissait la tête et, de chagrin, ne mangeait plus : on l’eût pris pour un roi prisonnier. Mais un autre homme l’ayant acheté, lui arracha les plumes de l’aile, puis les fit repousser en en frottant la place avec de la myrrhe. Alors l’aigle, prenant l’essor, saisit un lièvre dans ses serres et le lui rapporta en présent. Un renard, l’ayant aperçu, lui dit : « Ce n’est pas à celui-ci qu’il faut le donner, mais à ton premier maître ; le deuxième en effet est naturellement bon ; tâche plutôt de te faire bien venir de l’autre, de peur qu’il ne te reprenne et ne t’arrache les ailes. »

Cette fable montre qu’il faut généreusement payer de retour ses bienfaiteurs, et tenir prudemment les méchants à l’écart.

Un aigle s’était perché au faîte d’un rocher à l’affût des lièvres. Un homme le frappa d’une flèche, et le trait s’enfonça dans sa chair, et la coche avec ses plumes se trouva devant ses yeux. À cette vue, il s’écria : « C’est pour moi un surcroît de chagrin de mourir par mes propres plumes. »

L’aiguillon de la douleur est plus poignant, quand nous sommes battus par nos propres armes.

Un rossignol perché sur un chêne élevé chantait à son ordinaire. Un épervier l’aperçut, et, comme il manquait de nourriture, il fondit sur lui et le lia. Se voyant près de mourir, le rossignol le pria de le laisser aller, alléguant qu’il n’était pas capable de remplir à lui seul le ventre d’un épervier, que celui-ci devait, s’il avait besoin de nourriture, s’attaquer à des oiseaux plus gros. L’épervier répliqua : « Mais je serais stupide, si je lâchais la pâture que je tiens pour courir après ce qui n’est pas encore en vue. »

Cette fable montre que chez les hommes aussi, ceux-là sont déraisonnables qui dans l’espérance de plus grands biens laissent échapper ceux qu’ils ont dans la main.

L’hirondelle engageait le rossignol à loger sous le toit des hommes et à vivre avec eux, comme elle-même. Le rossignol répondit : « Je ne veux point raviver le souvenir de mes anciens malheurs : voilà pourquoi j’habite les lieux déserts. »

Cette fable montre que l’homme affligé par quelque coup de la fortune veut éviter jusqu’au lieu où le chagrin l’a frappé.

À Athènes, un débiteur, sommé par son créancier de rembourser sa dette, le pria d’abord de lui accorder un délai, sous prétexte qu’il était gêné. Ne pouvant le persuader, il amena une truie, la seule qu’il possédât, et la mit en vente en présence du créancier. Un acheteur se présenta et demanda si la truie était féconde. « Oui, elle est féconde, répondit-il, elle l’est même extraordinairement : aux Mystères elle enfante des femelles, et aux Panathénées des mâles. » Comme l’acheteur était surpris de ce qu’il entendait, le créancier ajouta : « Cesse de t’étonner ; car cette truie te donnera aussi des chevreaux aux Dionysies. »

Cette fable montre que beaucoup de gens n’hésitent pas, quand leur intérêt personnel est en jeu, à jurer même des choses impossibles.

Un homme avait acheté un nègre, s’imaginant que sa couleur venait de la négligence du précédent propriétaire. L’ayant emmené chez lui, il le soumit à tous les savonnages, il essaya tous les lavages pour le blanchir ; mais il ne put modifier sa couleur, et il le rendit malade à force de soins.

La fable fait voir que le naturel persiste tel qu’il s’est montré d’abord.

Une belette, ayant attrapé un coq, voulut donner une raison plausible pour le dévorer. En conséquence elle l’accusa d’importuner les hommes en chantant la nuit et en les empêchant de dormir. Le coq se défendit en disant qu’il le faisait pour leur être utile ; car s’il les réveillait, c’était pour les rappeler à leurs travaux accoutumés. Alors la belette produisit un autre grief et l’accusa d’outrager la nature par les rapports qu’il avait avec sa mère et ses sœurs. Il répondit qu’en cela aussi il servait l’intérêt de ses maîtres, puisque grâce à cela les poules leur pondaient beaucoup d’œufs. « Eh bien ! s’écria la belette, tu as beau être en fonds de belles justifications, moi je ne resterai pas à jeun pour cela, » et elle le dévora.

Cette fable montre qu’une mauvaise nature, déterminée à mal faire, quand elle ne peut pas se couvrir d’un beau masque, fait le mal à visage découvert.

Une maison était infestée de rats. Un chat, l’ayant su, s’y rendit, et, les attrapant l’un après l’autre, il les mangeait. Or les rats, se voyant toujours pris, s’enfonçaient dans leurs trous. Ne pouvant plus les atteindre, le chat pensa qu’il fallait imaginer quelque ruse pour les en faire sortir. C’est pourquoi il grimpa à une cheville de bois et, s’y étant suspendu, il contrefit le mort. Mais un des rats sortant la tête pour regarder, l’aperçut et dit : « Hé ! l’ami, quand tu serais sac, je ne t’approcherais pas. »Une maison était infestée de rats. Un chat, l’ayant su, s’y rendit, et, les attrapant l’un après l’autre, il les mangeait. Or les rats, se voyant toujours pris, s’enfonçaient dans leurs trous. Ne pouvant plus les atteindre, le chat pensa qu’il fallait imaginer quelque ruse pour les en faire sortir. C’est pourquoi il grimpa à une cheville de bois et, s’y étant suspendu, il contrefit le mort. Mais un des rats sortant la tête pour regarder, l’aperçut et dit : « Hé ! l’ami, quand tu serais sac, je ne t’approcherais pas. »

Cette fable montre que les hommes sensés, quand ils ont éprouvé la méchanceté de certaines gens, ne se laissent plus tromper à leurs grimaces.

Une belette, ayant appris qu’il y avait des poules malades dans une métairie, se déguisa en médecin, et, prenant avec elle les instruments de l’art, elle s’y rendit. Arrivée devant la métairie, elle leur demanda comment elles allaient : « BienUne belette, ayant appris qu’il y avait des poules malades dans une métairie, se déguisa en médecin, et, prenant avec elle les instruments de l’art, elle s’y rendit. Arrivée devant la métairie, elle leur demanda comment elles allaient : « Bien, répondirent-elles, si tu t’en vas d’ici. »

C’est ainsi que les hommes sensés lisent dans le jeu des méchants, malgré toutes leurs affectations d’honnêteté., répondirent-elles, si tu t’en vas d’ici. »

Un chevrier rappelait ses chèvres à l’étable. L’une d’elles s’étant attardée à quelque friande pâture, le chevrier lui lança une pierre, et visa si juste qu’il lui cassa une corne. Alors il se mit à supplier la chèvre de ne pas le dire au maître. La chèvre répondit : « Quand bien même je garderais le silence, comment pourrais-je le cacher ? Il est visible à tous les yeux que ma corne est cassée. »

Quand la faute est évidente, il est impossible de la dissimuler.

Un homme nourrissait une chèvre et un âne. Or la chèvre devint envieuse de l’âne, parce qu’il était trop bien nourri. Et elle lui dit : « Entre la meule à tourner et les fardeaux à porter, ta vie est un tourment sans fin, » et elle lui conseillait de simuler l’épilepsie, et de se laisser tomber dans un trou pour avoir du repos. Il suivit le conseil, se laissa tomber et se froissa tout le corps. Son maître ayant fait venir le vétérinaire, lui demanda un remède pour le blessé. Le vétérinaire lui prescrivit d’infuser le poumon d’une chèvre ; ce remède lui rendrait la santé. En conséquence on immola la chèvre pour guérir l’âne.

Quiconque machine des fourberies contre autrui devient le premier artisan de son malheur.

Un chevrier, ayant mené ses chèvres au pâturage, s’aperçut qu’elles étaient mêlées à des chèvres sauvages, et, quand le soir tomba, il les poussa toutes dans sa grotte. Le lendemain un gros orage éclata. Ne pouvant les mener au pâturage habituel, il les soigna dedans ; mais il ne donna à ses propres chèvres qu’une poignée de fourrage, juste de quoi les empêcher de mourir de faim ; pour les étrangères, au contraire, il grossit la ration, dans le dessein de se les approprier elles aussi. Le mauvais temps ayant pris fin, il les fit toutes sortir dans le pâtis ; mais les chèvres sauvages, gagnant la montagne, s’enfuirent. Comme le berger les accusait d’ingratitude pour l’abandonner ainsi, après les soins particuliers qu’il avait pris d’elles, elles se retournèrent pour répondre : « Raison de plus pour nous d’être en défiance ; car si tu nous as mieux traitées, nous, tes hôtesses d’hier, que tes vieilles ouailles, il est évident que, si d’autres chèvres viennent encore à toi, tu nous négligeras pour elles. »

Cette fable montre qu’il ne faut pas accueillir les protestations d’amitié de ceux qui nous font passer, nous, les amis de fraîche date, avant les vieux amis. Disons-nous que, quand notre amitié aura pris de l’âge, s’ils se lient avec d’autres, c’est ces nouveaux amis qui auront leurs préférences.

Une esclave laide et méchante était aimée de son maître. Avec l’argent qu’elle recevait de lui, elle s’ornait de brillantes parures et rivalisait avec sa propre maîtresse. Elle faisait de continuels sacrifices à Aphrodite et lui rendait grâces de la rendre belle. Mais Aphrodite apparut en songe à l’esclave et lui dit : « Ne me sache pas gré de te faire belle, car je suis fâchée et en colère contre cet homme à qui tu parais belle. »

Il ne faut pas se laisser aveugler par l’orgueil, quand on s’enrichit par des moyens honteux, surtout quand on est sans naissance et sans beauté.

Un jour Ésope le fabuliste étant de loisir entra dans un chantier de construction navale. Les ouvriers le raillèrent et le provoquèrent à la réplique. Alors Esope leur dit : « Autrefois il n’y avait que le chaos et l’eau ; mais Zeus voulant faire apparaître un autre élément, la terre, l’engagea à avaler la mer par trois fois. La terre se mit à l’œuvre une première fois, et elle dégagea les montagnes ; puis elle avala la mer une deuxième fois et mit à nu les plaines ; si elle se décide à absorber l’eau une troisième fois, votre art deviendra sans usage. »

Cette fable montre qu’à railler plus fin que soi, on s’attire imprudemment des répliques d’autant plus cuisantes.

Deux coqs se battaient pour des poules ; l’un mit l’autre en fuite. Alors le vaincu se retira dans un fourré où il se cacha, et le vainqueur s’élevant en l’air se percha sur un mur élevé et se mit à chanter à plein gosier. Aussitôt un aigle fondant sur lui l’enleva ; et le coq caché dans l’ombre couvrit dès lors les poules tout à son aise.

Cette fable montre que le Seigneur se range contre les orgueilleux et donne la grâce aux humbles.

Un homme qui avait des coqs dans sa maison, ayant trouvé une perdrix privée à vendre, l’acheta et la rapporta chez lui pour la nourrir avec les coqs. Mais ceux-ci la frappant et la pourchassant, elle avait le cœur gros, s’imaginant qu’on la rebutait, parce qu’elle était de race étrangère. Mais peu de temps après ayant vu que les coqs se battaient entre eux et ne se séparaient pas qu’ils ne se fussent mis en sang, elle se dit en elle-même : « Je ne me plains plus d’être frappée par ces coqs ; car je vois qu’ils ne s’épargnent pas même entre eux. »

Cette fable montre que les hommes sensés supportent facilement les outrages de leurs voisins, quand ils voient que ceux-ci n’épargnent même pas leurs parents.

Des pêcheurs étant allés à la pêche avaient peiné longtemps sans rien prendre ; assis dans leur barque, ils s’abandonnaient au découragement. Juste à ce moment un thon qui était poursuivi et se sauvait à grand bruit, sauta par mégarde dans leur barque. Ils le prirent et l’emportèrent à la ville, où ils le vendirent.

Ainsi souvent ce que l’art nous refuse, le hasard nous le donne gratuitement.

Des pêcheurs traînaient une seine ; comme elle était lourde, ils se réjouissaient et dansaient, s’imaginant que la pêche était bonne. Mais quand ils eurent tiré la seine sur le rivage, ils y trouvèrent peu de poisson : c’étaient des pierres et autres matières qui la remplissaient. Ils en furent vivement contrariés, moins pour le désagrément qui leur arrivait que pour avoir préjugé le contraire. Mais l’un d’eux, un vieillard, leur dit : « Cessons de nous affliger, mes amis ; car la joie paraît-il, a pour sœur le chagrin ; et il fallait qu’après nous être tant réjouis à l’avance, nous eussions de toute façon quelque contrariété. »

Or donc nous non plus nous ne devons pas, si nous considérons combien la vie est changeante, nous flatter d’obtenir toujours les mêmes succès, mais nous dire qu’il n’y a si beau temps qui ne soit suivi de l’orage.

Un pêcheur, habile à jouer de la flûte, prenant avec lui ses flûtes et ses filets, se rendit à la mer, et, se postant sur un rocher en saillie, il se mit d’abord à jouer, pensant que les poissons, attirés par la douceur de ses accords allaient d’eux-mêmes sauter hors de l’eau pour venir à lui. Mais comme, en dépit de longs efforts, il n’en était pas plus avancé, il mit de côté ses flûtes, prit son épervier, et, le jetant à l’eau, attrapa beaucoup de poissons. Il les sortit du filet et les jeta sur le rivage ; et, comme il les voyait frétiller, il s’écria : « Maudites bêtes, quand je jouais de la flûte, vous ne dansiez pas ; à présent que j’ai fini, vous vous mettez en branle. »

Cette fable s’applique à ceux qui agissent à contretemps.

Un pêcheur, ayant retiré de la mer son filet de pêche, put capturer les gros poissons, qu’il étala sur le sol ; mais les petits se glissant par les mailles, se sauvèrent dans la mer.

Les gens d’une médiocre fortune se sauvent aisément ; mais on voit rarement un homme qui jouit d’une grande renommée échapper aux périls.

Un pêcheur, ayant laissé couler son filet dans la mer, en retira un picarel. Comme il était petit, le picarel supplia le pêcheur de ne point le prendre pour le moment, mais de le relâcher en considération de sa petitesse. « Mais quand j’aurai grandi, continua-t-il, et que je serai un gros poisson, tu pourras me reprendre ; aussi bien je te ferai plus de profit. — Hé mais ! répartit le pêcheur, je serais un sot de lâcher le butin que j’ai dans la main, pour compter sur le butin à venir, si grand qu’il soit. »

Cette fable montre que ce serait folie de lâcher, sans espoir d’un profit plus grand, le profit qu’on a dans la main, sous prétexte qu’il est petit.

Un pêcheur pêchait dans une rivière. Il avait tendu ses filets, et en avait barré le courant d’une rive à l’autre ; puis ayant attaché une pierre au bout d’une corde de lin, il en battait l’eau, pour que les poissons affolés se jetassent en fuyant dans les mailles du filet. Un des habitants du voisinage, le voyant faire, lui reprocha de troubler la rivière et de les forcer à boire de l’eau trouble. Il répondit : « Mais si la rivière n’est pas ainsi troublée, force me sera à moi de mourir de faim. »

Il en est ainsi dans les États : les démagogues y font d’autant mieux leurs affaires qu’ils ont jeté leur pays dans la discorde.

L’alcyon est un oiseau qui aime la solitude et qui vit constamment sur la mer. On dit que, pour se garder contre les hommes qui le chassent, il niche dans les rochers du rivage. Or un jour un alcyon qui allait couver monta sur un promontoire, et, apercevant un rocher qui surplombait la mer, y fit son nid. Mais un jour qu’il était sorti pour aller à la pâture, il arriva que la mer, soulevée par une bourrasque, s’éleva jusqu’au nid, le couvrit d’eau et noya les petits. Quand l’alcyon fut de retour et vit ce qui était arrivé, il s’écria : « Que je suis malheureux, moi qui, me méfiant des embûches de la terre, me suis réfugié sur cette mer, pour y trouver encore plus de perfidie ! »

C’est ainsi que certains hommes, qui se tiennent en garde contre leurs ennemis, tombent, sans qu’ils s’en doutent, sur des amis beaucoup plus dangereux que leurs ennemis.

Un jour des renards se rassemblèrent sur les bords du Méandre, dans l’intention de s’y désaltérer. Mais, comme l’eau coulait en grondant, ils avaient beau s’exciter les uns les autres, ils n’osaient s’y aventurer. Alors l’un d’eux, prenant la parole pour humilier les autres, se moqua de leur couardise. Quant à lui, se vantant d’être plus brave que les autres, il sauta hardiment dans l’eau. Comme le courant l’entraînait vers le milieu, les autres, postés sur la berge, lui crièrent : « Ne nous abandonne pas, reviens, et montre-nous le passage par où nous pourrons boire sans danger. » Et lui, emporté par le courant, répondit : « J’ai un message pour Milet, et je veux l’y porter ; à mon retour je vous ferai voir le passage. »

Ceci s’applique à ceux qui par fanfaronnade se mettent eux-mêmes en danger.

Un renard affamé, ayant aperçu dans le creux d’un chêne des morceaux de pain et de viande que des bergers y avaient laissés, y pénétra et les mangea. Mais son ventre s’étant gonflé, il ne put sortir et se mit à gémir et à se lamenter. Un autre renard, qui passait par là, entendit ses plaintes et s’approchant lui en demanda la cause. Quand il sut ce qui était arrivé : « Eh bien ! dit-il, reste ici jusqu’à ce que tu redeviennes tel que tu étais en y entrant, et alors tu en sortiras facilement. »

Cette fable montre que le temps résout les difficultés.

Un renard, franchissant une clôture, glissa, et se voyant sur le point de tomber, saisit une ronce pour s’aider de son secours. Les épines de la ronce lui ayant mis les pattes en sang, il eut mal et lui dit : « Hélas ! j’ai eu recours à toi pour m’aider, et tu m’as mis plus mal en point. — Eh bien ; tu t’es fourvoyé, l’ami, dit la ronce, en voulant t’accrocher à moi qui ai l’habitude d’accrocher tout le monde. »

Cette fable montre que chez les hommes aussi ceux-là sont des sots qui ont recours à l’aide de ceux que leur instinct porte plutôt à faire du mal.

Un renard affamé, voyant des grappes de raisin pendre à une treille, voulut les attraper ; mais ne pouvant y parvenir, il s’éloigna en se disant à lui-même : « C’est du verjus. »

Pareillement certains hommes, ne pouvant mener à bien leurs affaires, à cause de leur incapacité, en accusent les circonstances.

Il y avait un figuier près d’une route. Un renard, ayant aperçu un dragon endormi, envia sa longueur, et, voulant l’égaler, il se coucha près de lui et essaya de s’allonger, jusqu’à ce que, outrant son effort, l’imprévoyant animal creva.

C’est le cas de ceux qui rivalisent avec de plus forts qu’eux : ils crèvent eux-mêmes, avant de pouvoir les atteindre.

Un renard qui fuyait devant des chasseurs aperçut un bûcheron, et le supplia de lui trouver une cachette. Celui-ci l’engagea à entrer dans sa cabane et à s’y cacher. Quelques instants après les chasseurs arrivèrent et demandèrent au bûcheron s’il n’avait pas vu un renard passer par là. De la voix il répondit qu’il n’en avait pas vu ; mais de la main il fit un geste pour indiquer où il était caché. Les chasseurs ne prirent pas garde au geste, mais s’en rapportèrent aux paroles ; et le renard, les voyant s’éloigner, sortit et s’en alla sans mot dire. Comme le bûcheron lui reprochait que, sauvé par lui, il ne lui témoignait même pas d’un mot sa reconnaissance, le renard répondit : « Je t’aurais dit merci, si tes gestes et tes procédés s’accordaient avec tes discours. »

On pourrait appliquer cette fable aux hommes qui font hautement profession de vertu et en fait se conduisent en coquins.

Le renard et le crocodile contestaient de leur noblesse. Le crocodile s’étendit longuement sur l’illustration de ses aïeux et finit par dire que ses pères avaient été gymnasiarques. « Tu peux t’épargner la peine de le dire, répliqua le renard : ta peau fait assez voir que depuis de longues années tu es rompu aux exercices du gymnase. »

Il en est de même chez les hommes : les menteurs sont confondus par les faits.

Un renard s’étant glissé dans un troupeau de moutons, prit un des agneaux à la mamelle et fit semblant de le caresser. Un chien lui demanda : « Que fais-tu là ? — Je le cajole, dit-il, et je joue avec lui. — Lâche-le tout de suite, s’écria le chien ; sinon, je vais te faire des caresses de chien. »

La fable s’applique au fourbe et au voleur maladroit.

Le renard et la panthère contestaient de leur beauté. La panthère vantait à tous coups la variété de son pelage. Le renard prenant la parole dit : « Combien je suis plus beau que toi, moi qui suis varié, non de corps, mais d’esprit. »

Cette fable montre que les ornements de l’esprit sont préférables à la beauté du corps.

Le singe, ayant dansé dans une assemblée des bêtes et gagné leur faveur, fut élu roi par elles. Le renard en fut jaloux et, ayant vu un morceau de viande dans un lacs, il y mena le singe en lui disant qu’il avait trouvé un trésor, mais qu’au lieu d’en user lui-même, il le lui avait gardé, comme étant un apanage de la royauté, et il l’engagea à le prendre. Le singe s’en approcha étourdiment et fut pris au lacs. Comme il accusait le renard de lui avoir tendu un piège, celui-ci répliqua : « Ô singe, sot comme tu es, tu veux régner sur les bêtes ! »

C’est ainsi que ceux qui se lancent inconsidérément dans une entreprise, non seulement échouent, mais encore prêtent à rire.

Le renard et le singe voyageant de compagnie disputaient de leur noblesse. Tandis que chacun d’eux détaillait ses titres tout au long, ils arrivèrent en un certain endroit. Le singe y tourna ses regards et se mit à soupirer. Le renard lui en demanda la cause. Alors le singe lui montrant les tombeaux répondit : « Comment ne pas pleurer, en voyant les cippes funéraires des affranchis et des esclaves de mes pères ? — Oh ! dit le renard, tu peux mentir à ton aise : aucun d’eux ne se lèvera pour te démentir ».

Il en est ainsi des hommes : les menteurs ne se vantent jamais plus que quand il n’y a personne pour les confondre.

Un renard étant tombé dans un puits se vit forcé d’y rester. Or un bouc pressé par la soif étant venu au même puits, aperçut le renard et lui demanda si l’eau était bonne. Le renard, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, fit un grand éloge de l’eau, affirmant qu’elle était excellente, et il l’engagea à descendre. Le bouc descendit à l’étourdie, n’écoutant que son désir. Quand il eut étanché sa soif, il se consulta avec le renard sur le moyen de remonter. Le renard prit la parole et dit : « J’ai un moyen, pour peu que tu désires notre salut commun. Veuille bien appuyer tes pieds de devant contre le mur et dresser tes cornes en l’air ; je remonterai par là, après quoi je te reguinderai, toi aussi ». Le bouc se prêta avec complaisance à sa proposition, et le renard, grimpant lestement le long des jambes, des épaules et des cornes de son compagnon, se trouva à l’orifice du puits, et aussitôt s’éloigna. Comme le bouc lui reprochait de violer leurs conventions, le renard se retourna et dit : « Hé ! camarade, si tu avais autant d’idées que de poils au menton, tu ne serais pas descendu avant d’avoir examiné le moyen de remonter. »

C’est ainsi que les hommes sensés ne doivent entreprendre aucune action, avant d’en avoir examiné la fin.

Un renard, ayant eu la queue coupée par un piège, en était si honteux qu’il jugeait sa vie impossible ; aussi résolut-il d’engager les autres renards à s’écourter de même, afin de cacher dans la mutilation commune son infirmité personnelle. En conséquence il les assembla tous et les engagea à se couper la queue, disant que c’était non seulement un enlaidissement, mais encore un poids inutile que cet appendice. Mais un des renards prenant la parole dit : « Hé ! camarade, si ce n’était pas ton intérêt, tu ne nous aurais pas donné ce conseil. »

Cette fable convient à ceux qui donnent des conseils à leur prochain, non par bienveillance, mais par intérêt personnel.

Un renard n’avait jamais vu de lion. Or le hasard le mit un jour en face de ce fauve. Comme il le voyait pour la première fois, il eut une telle frayeur qu’il faillit en mourir. L’ayant rencontré une deuxième fois, il eut peur encore, mais pas autant que la première fois. Mais à la troisième fois qu’il le vit, il s’enhardit jusqu’à s’en approcher et à causer avec lui.

Cette fable montre que l’accoutumance adoucit même les choses effrayantes.

Un renard s’étant glissé dans la maison d’un acteur, fouilla successivement toutes ses hardes, et trouva, entre autres objets, une tête de masque artistement travaillée. Il la prit dans ses pattes et dit : « Oh ! quelle tête ! mais elle n’a pas de cervelle. »

Cette fable convient aux hommes magnifiques de corps, mais pauvres de jugement.

Deux hommes disputaient qui des deux dieux, Thésée ou Hercule, était le plus grand. Mais les dieux, s’étant mis en colère contre eux, se vengèrent chacun sur le pays de l’autre.

Les querelles des subordonnés excitent les maîtres à la colère contre leurs sujets.

Un homme qui venait de commettre un assassinat était poursuivi par les parents de sa victime. Étant arrivé au bord du Nil, il rencontra un loup ; il eut peur et monta sur un arbre de la rive, où il se cacha. Mais là il aperçut un dragon qui montait vers lui ; alors il se laissa choir dans le fleuve ; mais dans le fleuve un crocodile le dévora.

La fable montre qu’aucun élément, ni la terre, ni l’air, ni l’eau, n’offre de sûreté aux criminels poursuivis par les dieux.

Un homme pauvre était malade et mal en point. Comme les médecins désespéraient de le sauver, il s’adressa aux dieux, promettant de leur offrir une hécatombe et de leur consacrer des ex-voto, s’il se rétablissait. Sa femme, qui se trouvait justement près de lui, lui demanda : « Et où prendras-tu de quoi payer tout cela ? — Penses-tu donc, répondit-il, que je vais me rétablir pour que les dieux me le réclament ? »

Cette fable montre que les hommes font facilement des promesses qu’ils n’ont pas l’intention de tenir effectivement.

Un homme lâche partait pour la guerre ; mais ayant entendu croasser des corbeaux, il posa ses armes et ne bougea plus ; puis il les reprit et se remit en marche. Mais les corbeaux croassant de nouveau, il s’arrêta, et à la fin il leur dit : « Libre à vous de crier aussi fort que vous pourrez ; mais vous ne goûterez pas à ma chair. »

Cette fable vise les poltrons.

Un jour un vaisseau ayant coulé à fond avec ses passagers, un homme, témoin du naufrage, prétendait que les arrêts des dieux étaient injustes, puisque, pour perdre un seul impie, ils avaient fait périr aussi des innocents. Tandis qu’il parlait ainsi, comme il y avait beaucoup de fourmis à l’endroit où il se trouvait, il arriva qu’une d’elles le mordit, et lui, pour avoir été mordu par une seule, les écrasa toutes. Alors Hermès lui apparut, et le frappant de son caducée, lui dit : « Et maintenant tu n’admettras pas, toi, que les dieux jugent les hommes comme tu juges les fourmis ? »

Ne blasphémez pas contre les dieux, quand il arrive un malheur ; examinez plutôt vos propres fautes.

Un homme avait une femme qui était rude à l’excès envers tous les gens de la maison. Il voulut savoir si elle avait la même humeur envers les domestiques de son père, et il l’envoya chez lui sous un prétexte spécieux. Quand, après quelques jours, elle fut de retour, il lui demanda comment les gens de sa maison l’avaient reçue. « Les bouviers, répondit-elle, et les bergers me regardaient de travers. — Eh bien ! femme, reprit-il, si tu étais mal vue de ceux qui sortent les troupeaux au point du jour et ne rentrent que le soir, que devait-ce être de ceux avec qui tu passais tout le jour ? »

C’est ainsi que souvent les petites choses font connaître les grandes, et les choses visibles, les choses cachées.

Un fourbe s’était engagé envers quelqu’un à prouver que l’oracle de Delphes était menteur. Au jour fixé, il prit dans sa main un petit moineau, et, le cachant sous son manteau, se rendit au temple. Là, se plaçant en face de l’oracle, il demanda si l’objet qu’il tenait dans sa main était vivant ou inanimé. Il voulait, si le dieu répondait « inanimé », faire voir le moineau vivant ; s’il disait « vivant », présenter le moineau, après l’avoir étranglé. Mais le dieu, reconnaissant son artificieuse intention, répondit : « Assez, l’homme ; car il dépend de toi que ce que tu tiens soit mort ou vivant. »

Cette fable montre que la divinité défie toute surprise.

Un pentathle, à qui ses concitoyens reprochaient en toute occasion son manque de vigueur, s’en fut un jour à l’étranger. Au bout d’un certain temps il revint, et il allait se vantant d’avoir accompli mainte prouesse en différents pays, mais surtout d’avoir fait à Rhodes un saut tel qu’aucun athlète couronné aux jeux olympiques n’était capable d’en faire un pareil ; et il ajoutait qu’il produirait comme témoins de son exploit ceux qui s’étaient trouvés là, s’ils venaient jamais en son pays. Alors un des assistants prenant la parole lui dit : « Mais, mon ami, si c’est vrai, tu n’as pas besoin de témoins ; voici Rhodes ici même : fais le saut. »

Cette fable montre que lorsqu’on peut prouver une chose par des faits, tout ce qu’on en peut dire est superflu.

Un grison avait deux maîtresses, l’une jeune et l’autre vieille. Or celle qui était avancée en âge ayant honte d’avoir commerce avec un amant plus jeune qu’elle, ne manquait pas, chaque fois qu’il venait chez elle, de lui arracher ses poils noirs. La jeune, de son côté, reculant à l’idée d’avoir un vieux pour amant, lui enlevait ses poils blancs. Il arriva ainsi qu’épilé tour à tour par l’une et l’autre, il devint chauve.

C’est ainsi que ce qui est mal assorti occasionne toujours des désagréments.

Un riche Athénien naviguait avec d’autres passagers. Une tempête violente étant survenue, le vaisseau chavira. Or, tandis que les autres passagers cherchaient à se sauver à la nage, l’Athénien, invoquant à chaque instant Athéna, lui promettait offrandes sur offrandes, s’il parvenait à se sauver. Un des naufragés, qui nageait à côté de lui, lui dit : « Fais appel à Athéna, mais aussi à tes bras »

Nous aussi invoquons les dieux ; mais n’oublions pas de travailler de notre côté pour nous sauver.

Estimons-nous heureux, si en faisant effort nous-mêmes, nous obtenons la protection des dieux ; si nous nous abandonnons, les démons seuls peuvent nous sauver.
Si l’on tombe dans le malheur, il faut prendre soi-même de la peine pour s’en tirer, et seulement alors implorer le secours de la divinité.

Un aveugle avait l’habitude de reconnaître au toucher toute bête qu’on lui mettait entre les mains, et de dire de quelle espèce elle était. Or un jour on lui présenta un louveteau ; il le palpa et resta indécis. « Je ne sais pas, dit-il, si c’est le petit d’un loup, d’un renard ou d’un autre animal du même genre ; mais ce que je sais bien, c’est qu’il n’est pas fait pour aller avec un troupeau de moutons. »

C’est ainsi que le naturel des méchants se reconnaît souvent à leur extérieur.

Un homme pauvre, étant malade et mal en point, promit aux dieux de leur sacrifier cent bœufs, s’ils le sauvaient de la mort. Les dieux, voulant le mettre à l’épreuve, lui firent très vite recouvrer la santé, et il se leva de son lit. Mais, comme il n’avait pas de vrais bœufs, il en modela cent avec du suif, et les consuma sur un autel, en disant : « Recevez mon vœu, ô dieux. » Mais les dieux, voulant le mystifier à leur tour, lui envoyèrent un songe, et l’engagèrent à se rendre sur le rivage : il y trouverait mille drachmes attiques. Ne se tenant plus de joie, il courut à la grève, où il tomba sur des pirates, qui l’emmenèrent, et, vendu par eux, il trouva ainsi mille drachmes.

Cette fable s’applique bien au menteur.

Un charbonnier qui exerçait son métier dans une certaine maison, ayant vu un foulon établi près de lui, alla le trouver et l’engagea à venir habiter avec lui, lui remontrant qu’ils en seraient plus intimes et qu’ils vivraient à moins de frais, n’ayant qu’une seule demeure. Mais le foulon lui répondit : « C’est pour moi totalement impossible : car ce que je blanchirais, tu le noircirais de suie. »

La fable montre qu’on ne peut associer des natures dissemblables.

On dit que les animaux furent façonnés d’abord, et que Dieu leur accorda, à l’un la force, à l’autre la vitesse, à l’autre des ailes ; mais que l’homme resta nu et dit : « Moi seul, tu m’as laissé sans faveur. » Zeus répondit : « Tu ne prends pas garde au présent que je t’ai fait, et pourtant tu as obtenu le plus grand ; car tu as reçu la raison, puissante chez les dieux et chez les hommes, plus puissante que les puissants, plus rapide que les plus rapides. » Et alors reconnaissant le présent de Dieu, l’homme s’en alla, adorant et rendant grâce.

Tous les hommes ont été favorisés de Dieu qui leur a donné la raison ; mais certains sont insensibles à une telle faveur et préfèrent envier les animaux privés de sentiment et de raison.

Un homme avait de la rancune contre un renard qui lui causait des dommages. Il s’en empara, et pour en tirer une ample vengeance, il lui attacha à la queue de l’étoupe imbibée d’huile, et y mit le feu. Mais un dieu fit aller le renard dans les champs de celui qui l’avait lancé. Or c’était le temps de la moisson, et l’homme suivait, en déplorant sa récolte perdue.

Il faut être indulgent, et ne pas s’emporter sans mesure ; car il arrive souvent que la colère cause de grands dommages aux gens irascibles.

Un lion voyageait un jour avec un homme. Ils se vantaient à qui mieux mieux, lorsque sur le chemin ils rencontrèrent une stèle de pierre qui représentait un homme étranglant un lion. Et l’homme la montrant au lion dit : « Tu vois comme nous sommes plus forts que vous. » Le lion répondit en souriant : « Si les lions savaient sculpter, tu verrais beaucoup d’hommes sous la patte du lion. »

Bien des gens se vantent en paroles d’être braves et hardis ; mais l’expérience les démasque et les confond.

Jadis un homme avait fait, dit-on, un pacte d’amitié avec un satyre. L’hiver étant venu et avec lui le froid, l’homme portait ses mains à sa bouche et soufflait dessus. Le satyre lui demanda pourquoi il en usait ainsi. Il répondit qu’il se chauffait les mains à cause du froid. Après, on leur servit à manger. Comme le mets était très chaud, l’homme le prenant par petits morceaux, les approchait de sa bouche et soufflait dessus. Le satyre lui demanda de nouveau pourquoi il agissait ainsi. Il répondit qu’il refroidissait son manger, parce qu’il était trop chaud. « Eh bien ! camarade, dit le satyre, je renonce à ton amitié, parce que tu souffles de la même bouche le chaud et le froid. »

Concluons que nous aussi nous devons fuir l’amitié de ceux dont le caractère est ambigu.

Un homme avait un dieu de bois, et, comme il était pauvre, il le suppliait de lui faire du bien. Comme il en usait ainsi et que sa misère ne faisait qu’augmenter, il se fâcha, et prenant le dieu par la jambe, il le cogna contre la muraille. La tête du dieu s’étant soudain cassée, il en coula de l’or. L’homme le ramassa et s’écria : « Tu as l’esprit à rebours, à ce que je vois, et tu es un ingrat ; car, quand je t’honorais, tu ne m’as point aidé, et maintenant que je viens de te frapper, tu me réponds en me comblant de bienfaits. »

Cette fable montre qu’on ne gagne rien à honorer un méchant homme, et qu’on en tire davantage en le frappant.

Un avare, qui était peureux, ayant trouvé un lion d’or, disait : « Je ne sais que devenir en cette aventure. L’effroi m’ôte l’esprit, et je ne sais que faire : je suis partagé entre mon amour des richesses et ma couardise naturelle. Car quel est le hasard ou le dieu qui a fait un lion d’or ? Ce qui m’arrive là jette la discorde dans mon âme : elle aime l’or, mais elle craint l’œuvre qu’on a tirée de l’or ; le désir me pousse à la saisir, mon caractère à m’abstenir. Ô fortune qui offre et qui ne permet pas de prendre ! Ô trésor qui ne donne pas de plaisir ! Ô faveur d’un dieu qui devient une défaveur ! Quoi donc ! Comment en userai-je ? À quel expédient recourir ? Je m’en vais et j’amènerai ici mes serviteurs pour prendre le lion avec cette troupe d’alliés, et moi, de loin, je les regarderai faire. »

Cette fable s’applique à un riche qui n’ose ni toucher à ses trésors, ni les mettre en usage.

Un ours se vantait hautement d’aimer les hommes, par la raison qu’il ne mangeait pas de cadavre. Le renard lui répondit : « Plût aux dieux que tu déchirasses les morts, et non les vivants ! »

Cette fable démasque les convoiteux qui vivent dans l’hypocrisie et la vaine gloire.

Un laboureur ayant dételé son attelage, le menait à l’abreuvoir. Or un loup affamé, qui cherchait pâture, ayant rencontré la charrue, se mit tout d’abord à lécher les côtés intérieurs du joug, puis peu à peu, sans s’en apercevoir, il descendit son cou dedans, et, ne pouvant l’en dégager, il traîna la charrue dans le sillon. Le laboureur revenant l’aperçut et dit : « Ah ! tête scélérate ! si seulement tu renonçais aux rapines et au brigandage pour te mettre au travail de la terre ! »

Ainsi les méchants ont beau faire profession de vertu : leur caractère empêche de les croire.

Un astronome avait l’habitude de sortir tous les soirs pour examiner les astres. Or un jour qu’il errait dans la banlieue, absorbé dans la contemplation du ciel, il tomba par mégarde dans un puits. Comme il se lamentait et criait, un passant entendit ses gémissements, s’approcha, et apprenant ce qui était arrivé, lui dit : « Hé ! l’ami, tu veux voir ce qu’il y a dans le ciel, et tu ne vois pas ce qui est sur la terre ! »

On pourrait appliquer cette fable aux hommes qui se vantent de faire des merveilles, et qui sont incapables de se conduire dans les circonstances ordinaires de la vie.

Les grenouilles, fâchées de l’anarchie où elles vivaient, envoyèrent des députés à Zeus, pour le prier de leur donner un roi. Zeus, voyant leur simplicité, lança un morceau de bois dans le marais. Tout d’abord les grenouilles effrayées par le bruit se plongèrent dans les profondeurs du marais ; puis, comme le bois ne bougeait pas, elles remontèrent et en vinrent à un tel mépris pour le roi qu’elles sautaient sur son dos et s’y accroupissaient. Mortifiées d’avoir un tel roi, elles se tendirent une seconde fois près de Zeus, et lui demandèrent de leur changer le monarque ; car le premier était trop nonchalant. Zeus impatienté leur envoya une hydre qui les prit et les dévora.

Cette fable montre qu’il vaut mieux être commandé par des hommes nonchalants, mais sans méchanceté que par des brouillons et des méchants.

Deux grenouilles voisinaient. Elles habitaient, l’une un étang profond, éloigné de la route, l’autre une petite mare sur la route. Celle de l’étang conseillait à l’autre de venir habiter près d’elle : elle y jouirait d’une vie meilleure et plus sûre. Mais celle-ci ne se laissa point persuader ; il lui serait pénible, disait-elle, de s’arracher à un séjour où elle avait ses habitudes ; si bien qu’un jour un chariot qui passait par là l’écrasa.

Il en est ainsi des hommes : ceux qui pratiquent de vils métiers meurent avant de se tourner vers des emplois plus honorables.

Deux grenouilles habitaient un étang ; mais l’été l’ayant desséché, elles le quittèrent pour en chercher un autre. Elles rencontrèrent alors un puits profond. En le voyant, l’une dit à l’autre : « Amie, descendons ensemble dans ce puits. — Mais, répondit l’autre, si l’eau de ce puits vient à se dessécher aussi, comment remonterons-nous ? »

Cette fable montre qu’il ne faut pas s’engager à la légère dans les affaires.

Un jour une grenouille dans un marais criait à tous les animaux : « Je suis médecin et je connais les remèdes. » Un renard l’ayant entendue s’écria : « Comment sauveras-tu les autres, toi qui boites et ne te guéris pas toi-même ! »

Cette fable montre que, si l’on n’a pas été initié à la science, on ne saurait instruire les autres.

Des bœufs traînaient un chariot. Comme l’essieu grinçait, ils se retournèrent et lui dirent : « Hé ! l’ami, c’est nous qui portons toute la charge, et c’est toi qui cries ! »

Ainsi l’on voit des gens qui affectent d’être fatigués, quand ce sont d’autres qui ont la peine.

Trois bœufs paissaient toujours ensemble. Un lion voulait les dévorer ; mais leur union l’en empêchait. Alors il les brouilla par des discours perfides et les sépara les uns des autres ; dès lors, les trouvant isolés, il les dévora l’un après l’autre.

Si tu désires vraiment vivre en sûreté, défie-toi de tes ennemis, mais aie confiance en tes amis, et conserve-les.

Un bouvier menait un chariot vers un village. Le chariot étant tombé dans un ravin profond, au lieu d’aider à l’en sortir, le bouvier restait là sans rien faire, invoquant parmi tous les dieux le seul Héraclès, qu’il honorait particulièrement. Héraclès lui apparut et lui dit : « Mets la main aux roues, aiguillonne tes bœufs et n’invoque les dieux qu’en faisant toi-même un effort ; autrement tu les invoqueras en vain. »

Borée et le Soleil contestaient de leur force. Ils décidèrent d’attribuer la palme à celui d’entre eux qui dépouillerait un voyageur de ses vêtements. Borée commença ; il souffla avec violence. Comme l’homme serrait sur lui son vêtement, il l’assaillit avec plus de force. Mais l’homme incommodé encore davantage par le froid, prit un vêtement de plus, si bien que, rebuté, Borée le livra au Soleil. Celui-ci tout d’abord luisit modérément ; puis, l’homme ayant ôté son vêtement supplémentaire, le Soleil darda des rayons plus ardents, jusqu’à ce que l’homme, ne pouvant plus résister à la chaleur, ôta ses habits et s’en alla prendre un bain dans la rivière voisine.

Cette fable montre que souvent la persuasion est plus efficace que la violence.

Un bouvier, qui paissait un troupeau de bœufs, perdit un veau. Il fit le tour du voisinage, sans le retrouver. Alors il promit à Zeus, s’il découvrait le voleur, de lui sacrifier un chevreau. Or, étant entré dans un bois, il vit un lion qui dévorait le veau ; épouvanté, il leva les mains au ciel en s’écriant : « Ô souverain Zeus, naguère j’ai fait vœu de t’immoler un chevreau, si je trouvais le voleur ; à présent je t’immolerai un taureau, si j’échappe aux griffes du voleur. »

On pourrait appliquer cette fable à ceux qui sont en butte à quelque disgrâce : dans leur embarras, ils souhaitent d’en trouver le remède, et, quand ils l’ont trouvé, ils cherchent à s’y soustraire.

Un serin, qui était dans une cage accrochée à une fenêtre, chantait pendant la nuit. Une chauve-souris entendit de loin sa voix, et, s’approchant de lui, lui demanda pour quelle raison il se taisait le jour et chantait la nuit. « Ce n’est pas sans motif, dit-il, que j’en use ainsi ; car c’est de jour que je chantais, lorsque j’ai été pris ; aussi depuis ce temps, je suis devenu prudent. » La chauve-souris reprit : « Mais ce n’est pas à présent qu’il faut te mettre sur tes gardes, alors que c’est inutile : c’est avant d’être pris que tu devais le faire. »

Cette fable montre que, quand le malheur est venu, le regret ne sert à rien.

Une chatte, s’étant éprise d’un beau jeune homme, pria Aphrodite de la métamorphoser en femme. La déesse prenant en pitié sa passion, la changea en une gracieuse jeune fille ; et alors le jeune homme l’ayant vue s’en amouracha et l’emmena dans sa maison. Comme ils reposaient dans la chambre nuptiale, Aphrodite, voulant savoir si, en changeant de corps, la chatte avait aussi changé de caractère, lâcha une souris au milieu de la chambre. La chatte, oubliant sa condition présente, se leva du lit et poursuivit la souris pour la croquer. Alors la déesse indignée contre elle la remit dans son premier état.

Pareillement les hommes naturellement méchants ont beau changer d’état, ils ne changent point de caractère.

Une belette, s’étant glissée dans l’atelier d’un forgeron, se mit à lécher la lime qui s’y trouvait. Or il arriva que, sa langue s’usant, il en coula beaucoup de sang ; et elle s’en réjouissait, s’imaginant qu’elle enlevait quelque chose au fer, tant qu’enfin elle perdit la langue.

Cette fable vise les gens qui, en querellant les autres, se font tort à eux-mêmes.

Un jour un vieillard ayant coupé du bois, le chargea sur son dos. Il avait un long trajet à faire. Fatigué par la marche, il déposa son fardeau et il appela la Mort. La Mort parut et lui demanda pour quel motif il l’appelait. Le vieillard répondit : « C’est pour que tu me soulèves mon fardeau… »

Cette fable montre que tous les hommes sont attachés à l’existence, même s’ils ont une vie misérable.

Un laboureur, ayant trouvé un aigle pris au filet, fut si frappé de sa beauté qu’il le délivra et lui donna la liberté. L’aigle ne se montra pas ingrat envers son bienfaiteur ; mais le voyant assis au pied d’un mur qui menaçait ruine, il vola vers lui et enleva dans ses griffes le bandeau qui lui ceignait la tête. L’homme se leva et se mit à sa poursuite. L’aigle laissa tomber le bandeau. Le laboureur le ramassa, et revenant sur ses pas, il trouva le mur écroulé à l’endroit où il s’était assis, et fut bien étonné d’être ainsi payé de retour.

Il faut rendre les services qu’on a reçus ; car le bien que vous ferez vous sera rendu,

Un laboureur se trouva confiné par le mauvais temps dans sa métairie. Ne pouvant sortir pour se procurer de la nourriture, il mangea d’abord ses moutons ; puis, comme le mauvais temps persistait, il mangea aussi ses chèvres ; enfin, comme il n’y avait pas de relâche, il en vint à ses bœufs de labour. Alors les chiens, voyant ce qui se passait, se dirent entre eux : « Il faut nous en aller d’ici, car si le maître a osé toucher aux bœufs qui travaillent avec lui, comment nous épargnera-t-il ? »

Cette fable montre qu’il faut se garder particulièrement de ceux qui ne craignent pas de faire du mal même à leurs proches.

Un serpent, s’étant approché en rampant de l’enfant d’un laboureur, l’avait tué. Le laboureur en ressentit une terrible douleur ; aussi, prenant une hache, il alla se mettre aux aguets près du trou du serpent, prêt à le frapper, aussitôt qu’il sortirait. Le serpent ayant passé la tête dehors, le laboureur abattit sa hache, mais le manqua et fendit en deux le roc voisin. Dans la suite craignant la vengeance du serpent, il l’engagea à se réconcilier avec lui ; mais le serpent répondit : « Nous ne pouvons plus nourrir de bons sentiments, ni moi pour toi, quand je vois l’entaille du rocher, ni toi pour moi, quand tu regardes le tombeau de ton enfant. »
Cette fable montre que les grandes haines ne se prêtent guère à des réconciliations.

Un laboureur trouva dans la saison d’hiver un serpent raidi par le froid. Il en eut pitié, le ramassa et le mit dans son sein. Réchauffé, le serpent reprit son naturel, frappa et tua son bienfaiteur, qui, se sentant mourir, s’écria : « Je l’ai bien mérité, ayant eu pitié d’un méchant. »

Cette fable montre que la perversité ne change pas, quelque bonté qu’on lui témoigne.

Un laboureur, sur le point de terminer sa vie, voulut que ses enfants acquissent de l’expérience en agriculture. Il les fit venir et leur dit : « Mes enfants, je vais quitter ce monde ; mais vous, cherchez ce que j’ai caché dans ma vigne, et vous trouverez tout. » Les enfants s’imaginant qu’il y avait enfoui un trésor en quelque coin, bêchèrent profondément tout le sol de la vigne après la mort du père. De trésor, ils n’en trouvèrent point ; mais la vigne bien remuée donna son fruit au centuple.

Cette fable montre que le travail est pour les hommes un trésor.

Un laboureur, en bêchant, tomba sur un magot d’or. Aussi chaque jour il couronnait la Terre, persuadé que c’était à elle qu’il devait cette faveur. Mais la Fortune lui apparut et lui dit : « Pourquoi, mon ami, imputes-tu à la Terre les dons que je t’ai faits, dans le dessein de t’enrichir ? Si en effet les temps viennent à changer et que cet or passe en d’autres mains, je suis sûre qu’alors c’est à moi, la Fortune, que tu t’en prendras. »

Cette fable montre qu’il faut reconnaître qui vous fait du bien et le payer de retour.

Il y avait dans le champ d’un laboureur un arbre qui ne portait pas de fruit, et qui servait uniquement de refuge aux moineaux et aux cigales bruissantes. Le laboureur, vu sa stérilité, s’en allait le couper, et déjà, la hache en main, il assénait son coup. Les cigales et les moineaux le supplièrent de ne pas abattre leur asile, mais de le leur laisser, pour qu’ils pussent y chanter et charmer le laboureur lui-même. Lui, sans s’inquiéter d’eux, asséna un second, puis un troisième coup. Mais ayant fait un creux dans l’arbre, il trouva un essaim d’abeilles et du miel. Il y goûta, et jeta sa hache, et dès lors il honora l’arbre, comme s’il était sacré, et il en prit grand soin.

Ceci prouve que par nature les hommes ont moins d’amour et de respect pour la justice que d’acharnement au gain.

Les enfants d’un laboureur vivaient en désaccord. Il avait beau les exhorter : ses paroles étaient impuissantes à les faire changer de sentiments ; aussi résolut-il de leur donner une leçon en action. Il leur dit de lui apporter un fagot de baguettes. Quand ils eurent exécuté son ordre, tout d’abord il leur donna les baguettes en faisceau et leur dit de les casser. Mais en dépit de tous leurs efforts, ils n’y réussirent point. Alors il délia le faisceau et leur donna les baguettes une à une ; ils les cassèrent facilement. « Eh bien ! dit le père, vous aussi, mes enfants, si vous restez unis, vous serez invincibles à vos ennemis ; mais si vous êtes divisés, vous serez faciles à vaincre. »

Cette fable montre qu’autant la concorde est supérieure en force, autant la discorde est facile à vaincre.

Une vieille femme, qui avait les yeux malades, fit appeler, moyennant salaire, un médecin. Il vint chez elle, et à chaque onction qu’il lui faisait, il ne manquait pas, tandis qu’elle avait les yeux fermés, de lui dérober ses meubles pièce à pièce. Quand il eut tout emporté, la cure aussi étant terminée, il réclama le salaire convenu. La vieille se refusant à payer, il la traduisit devant les magistrats. Elle déclara qu’elle avait bien promis le salaire, s’il lui guérissait la vue ; mais que son état, après la cure du médecin, était pire qu’auparavant. « Car, dit-elle, je voyais alors tous les meubles qui étaient dans ma maison ; à présent au contraire je ne puis plus rien voir. »

C’est ainsi que les malhonnêtes gens ne songent pas que leur cupidité fournit contre eux la pièce à conviction.

Une femme avait un ivrogne pour mari. Pour le défaire de son vice, elle imagina l’artifice que voici. Elle observa le moment où son mari engourdi par l’ivresse était insensible comme un mort, le chargea sur ses épaules, l’emporta au cimetière, le déposa et se retira. Quand elle jugea qu’il avait cuvé son vin, elle revint et frappa à la porte du cimetière : « Qui frappe à la porte ? » dit l’ivrogne. « C’est moi qui viens apporter à manger aux morts », répondit la femme. Et lui : « Ne m’apporte pas à manger, mon brave, apporte-moi plutôt à boire : tu me fais de la peine en me parlant de manger, non de boire. » La femme, se frappant la poitrine s’écria : « Hélas ! que je suis malheureuse ! ma ruse même n’a fait aucun effet sur toi, mon homme ; car non seulement tu n’es pas assagi, mais encore tu es devenu pire, et ton défaut est devenu une seconde nature. »

Cette fable montre qu’il ne faut pas s’invétérer dans la mauvaise conduite ; car il vient un moment où, bon gré, mal gré, l’habitude s’impose à l’homme.

Une veuve laborieuse avait de jeunes servantes qu’elle éveillait la nuit au chant du coq pour les mettre au travail. Celles-ci, continuellement exténuées de fatigue, décidèrent de tuer le coq de la maison ; car, à leurs yeux, c’était lui qui causait leur malheur en éveillant leur maîtresse avant le jour. Mais, quand elles eurent exécuté ce dessein, il se trouva qu’elles avaient aggravé leur malheur ; car la maîtresse, à qui le coq n’indiquait plus l’heure, les faisait lever de plus grand matin pour les faire travailler.

Cette fable montre que pour beaucoup de gens ce sont leurs propres résolutions qui sont causes de leurs malheurs.

Une femme veuve avait une poule qui lui pondait tous les jours un œuf. Elle s’imagina que si elle lui donnait plus d’orge, sa poule pondrait deux fois par jour, et elle augmenta en effet sa ration. Mais la poule devenue grasse ne fut même plus capable de pondre une fois le jour.

Cette fable montre que, lorsqu’on cherche par cupidité à avoir plus que l’on n’a, on perd même ce qu’on possède.

Une magicienne faisait profession de fournir des charmes et des moyens d’apaiser la colère des dieux. Elle ne manquait jamais de pratique et gagnait ainsi largement sa vie. Mais on l’accusa à ce propos d’innover en matière de religion, on la traduisit en justice, et ses accusateurs la firent condamner à mort. En la voyant emmener du tribunal, un quidam lui dit : « Hé ! la femme, toi qui te faisais fort de détourner la colère des dieux, comment n’as-tu même pas pu persuader des hommes ? »

Cette fable s’appliquerait bien à une gipsy qui promet des merveilles et se montre incapable des choses ordinaires.

Une génisse, voyant un bœuf au travail, le plaignait de sa peine. Mais une solennité religieuse étant arrivée, on détela le bœuf et l’on s’empara de la génisse pour l’égorger. À cette vue le bœuf sourit et lui dit : « Ô génisse, voilà pourquoi tu n’avais rien à faire : on te destinait à être immolée bientôt. »

Cette fable montre que le danger guette l’oisif.

Un chasseur cherchait la piste d’un lion. Il demanda à un bûcheron s’il avait vu des pas de lion et où gîtait la bête, « Je vais, répondit le bûcheron, te montrer le lion lui-même, » Le chasseur devint blême de peur, et, claquant des dents, il dit : « C’est la piste seulement que je cherche, et non le lion lui-même. »

Cette fable apprend à reconnaître les gens hardis et lâches, j’entends hardis en paroles et lâches en actions.

Un cochon s’étant mêlé à un troupeau de moutons paissait avec eux. Or un jour le berger s’empara de lui ; alors il se mit à crier et à regimber. Comme les moutons le blâmaient de crier et lui disaient : « Nous, il nous empoigne constamment, et nous ne crions pas », il répliqua : « Mais quand il nous empoigne, vous et moi, ce n’est pas dans la même vue ; car vous, c’est pour votre laine ou votre lait qu’il vous empoigne ; mais moi, c’est pour ma chair. »

Cette fable montre que ceux-là ont raison de gémir qui sont en risque de perdre, non leur argent, mais leur vie.

Des dauphins et des baleines se livraient bataille. Comme la lutte se prolongeait et devenait acharnée, un goujon (c’est un petit poisson) s’éleva à la surface et essaya de les réconcilier. Mais un des dauphins prenant la parole lui dit : « Il est moins humiliant pour nous de combattre et de périr les uns par les autres que de t’avoir pour médiateur. »

De même certains hommes qui n’ont aucune valeur, s’ils tombent sur un temps de troubles publics, s’imaginent qu’ils sont des personnages.

L’orateur Démade parlait un jour au peuple d’Athènes. Comme on ne prêtait pas beaucoup d’attention à son discours, il demanda qu’on lui permît de conter une fable d’Ésope. La demande accordée, il commença ainsi : « Déméter, l’hirondelle et l’anguille faisaient route ensemble ; elles arrivèrent au bord d’une rivière ; alors l’hirondelle s’éleva dans les airs, l’anguille plongea dans les eaux », et là-dessus il s’arrêta de parler. « Et Déméter, lui cria-t-on, que fit-elle ? — Elle se mit en colère contre vous, répondit-il, qui négligez les affaires de l’État, pour vous attacher à des fables d’Ésope. »

Ainsi parmi les hommes ceux-là sont déraisonnables qui négligent les choses nécessaires et préfèrent celles qui leur font plaisir.

Diogène, le philosophe cynique, insulté par un homme qui était chauve, répliqua : « Ce n’est pas moi qui aurai recours à l’insulte, Dieu m’en garde ! bien au contraire, je loue les cheveux qui ont quitté un méchant crâne. »

Diogène le Cynique étant en voyage, arriva sur le bord d’une rivière qui coulait à pleins bords, et s’arrêta sur la berge, embarrassé. Un homme qui avait l’habitude de faire passer l’eau, le voyant perplexe, s’approcha, le prit sur ses épaules, et le transporta complaisamment de l’autre côté. Et là ; Diogène était là, se reprochant sa pauvreté, qui l’empêchait de payer de retour son bienfaiteur. Il y songeait encore, lorsque l’homme, apercevant un autre voyageur qui ne pouvait traverser, courut à lui et le passa. Alors Diogène, s’approchant du passeur, lui dit : « Je ne te sais plus gré de ton service ; car je vois que ce n’est point le discernement, mais une manie qui te fait faire ce que tu fais. »

Cette fable montre qu’à obliger les gens de rien aussi bien que les gens de mérite, on s’expose à passer non pour un homme serviable, mais pour un homme sans discernement.

Les chênes se plaignaient à Zeus : « C’est en vain, disaient-ils, que nous sommes venus au jour ; car plus que tous les autres arbres nous sommes exposés aux coups brutaux de la hache. » Zeus leur répondit : « C’est vous-mêmes qui êtes les auteurs de votre malheur ; si vous ne produisiez pas les manches de cognée, et si vous ne serviez pas à la charpenterie et à l’agriculture, la hache ne vous abattrait pas. »

Certains hommes, qui sont les auteurs de leurs maux, en rejettent sottement le blâme sur les dieux.

Des bûcherons fendaient un pin, et ils le fendaient facilement grâce aux coins qu’ils avaient faits de son bois. Et le pin disait : « Je n’en veux pas tant à la hache qui me coupe qu’aux coins qui sont nés de moi. »

Il n’est pas si rude d’essuyer quelque traitement fâcheux de la part des étrangers que de la part de ses proches.

Le sapin et la ronce disputaient ensemble. Le sapin se vantait et disait « Je suis beau, élancé et haut, et je sers à construire des toits aux temples et des vaisseaux. Comment oses-tu te comparer à moi ? — Si tu te souvenais, répliqua la ronce, des haches et des scies qui te coupent, tu préférerais toi aussi le sort de la ronce. »

Il ne faut pas dans la vie s’enorgueillir de sa réputation ; car la vie des humbles est sans danger.

Un cerf pressé par la soif arriva près d’une source. Après avoir bu, il aperçut son ombre dans l’eau. Il se sentit fier de ses cornes, en voyant leur grandeur et leur diversité ; mais il était mécontent de ses jambes, parce qu’elles étaient grêles et faibles. Il était encore plongé dans ces pensées, quand un lion apparut qui le poursuivit. Il prit la fuite, et le devança d’une longue distance ; car la force des cerfs est dans leurs jambes, celle des lions dans leur cœur. Tant que la plaine fut nue, il maintint l’avance qui le sauvait ; mais étant parvenu à un endroit boisé, il arriva que ses cornes se prirent aux branches et que, ne pouvant plus courir, il fut pris par le lion. Sur le point de mourir, il se dit en lui-même : « Malheureux que je suis ! Ce sont mes pieds, qui devaient me trahir, qui me sauvaient ; et ce sont mes cornes, en qui j’avais toute confiance, qui me perdent. »

C’est ainsi que souvent dans le danger les amis que nous suspectons nous sauvent, et ceux sur qui nous comptons fermement nous trahissent.

Une biche, poursuivie par des chasseurs, se cacha sous une vigne. Ceux-ci l’ayant un peu dépassée, elle se crut dès lors parfaitement cachée, et se mit à brouter les feuilles de la vigne. Comme les feuilles remuaient, les chasseurs s’étant retournés et pensant, ce qui était vrai, qu’il y avait une bête cachée dessous, tuèrent la biche à coups de traits. Celle-ci se sentant mourir prononça ces paroles : « Je l’ai bien mérité ; car je ne devais pas endommager celle qui m’avait sauvée. »

Cette fable montre que ceux qui font du mal à leurs bienfaiteurs sont punis de Dieu.

Une biche poursuivie par des chasseurs arriva à l’entrée d’un antre où se trouvait un lion. Elle y entra pour s’y cacher ; mais elle fut prise par le lion et, tandis qu’il la tuait, elle s’écria : « Malheureuse que je suis ! en fuyant les hommes, je me suis jetée dans les pattes d’une bête féroce. »

Ainsi parfois les hommes, par crainte d’un moindre danger, se jettent dans un plus grand.

Une biche qui avait un œil crevé se rendit sur le rivage de la mer et se mit à y paître, tournant son œil intact vers la terre pour surveiller l’arrivée des chasseurs, et l’œil mutilé vers la mer, d’où elle ne soupçonnait aucun danger. Mais voilà que des gens qui naviguaient le long de cet endroit l’aperçurent, l’ajustèrent et l’abattirent. Tout en rendant l’âme, elle se dit à elle-même : « Vraiment je suis bien malheureuse ; je surveillais la terre que je croyais pleine d’embûches, et la mer, où je comptais trouver un refuge, m’a été beaucoup plus funeste. »

C’est ainsi que souvent notre attente est trompée : les choses qui nous semblaient fâcheuses tournent à notre avantage, et celles que nous tenions pour salutaires se montrent préjudiciables,

Un chevreau qui se trouvait à l’intérieur d’une maison vit passer un loup. Il se mit à l’injurier et à le railler. Le loup répliqua : « Pauvre hère, ce n’est pas toi qui m’injuries, c’est le lieu où tu es. »

Cette fable montre que souvent c’est le lieu et l’occasion qui donnent l’audace de braver les puissants.

Un chevreau, étant resté en arrière du troupeau, était poursuivi par un loup. Il se retourna et lui dit : « Je sais bien, loup, que je suis destiné à ton repas ; mais pour que je ne meure pas sans honneur, joue de la flûte et fais-moi danser. » Tandis que le loup jouait et que le chevreau dansait, les chiens accoururent au bruit et donnèrent la chasse au loup. Celui-ci, se retournant, dit au chevreau : « C’est bien fait pour moi ; car, étant boucher, ce n’était pas à moi à faire le flûtiste. »

Ainsi quand on fait quelque chose sans avoir égard aux circonstances, on se voit enlever même ce qu’on tient dans la main.

Hermès, voulant savoir en quelle estime il était parmi les hommes, se rendit, sous la figure d’un mortel, dans l’atelier d’un statuaire, et, avisant une statue de Zeus, il demanda : « Combien ? » On lui répondit : « Une drachme. » Il sourit et demanda : « Combien la statue de Héra ? — C’est plus cher, » lui dit-on. Apercevant aussi une statue qui le représentait, il présuma qu’étant à la fois messager de Zeus et dieu du gain, il était en haute estime chez les hommes. Aussi s’informa-t-il du prix. Le sculpteur répondit : « Eh bien ! si tu achètes les deux premières, je te donnerai celle-ci par-dessus le marché. »

Cette fable convient à un homme vaniteux qui ne jouit d’aucune considération chez autrui.

Zeus, ayant façonné l’homme et la femme dit à Hermès de les mener sur la terre et de leur montrer à quel endroit ils devaient creuser la terre pour se procurer des aliments. Hermès ayant rempli sa mission, la terre fit d’abord résistance ; mais Hermès insista en disant que c’était l’ordre de Zeus. « Eh bien ! dit-elle, qu’ils creusent tant qu’ils voudront : ils me le paieront de leurs soupirs et de leurs larmes. »

La fable convient à ceux qui empruntent facilement et s’acquittent avec peine.

Hermès voulant mettre à l’épreuve l’art divinatoire de Tirésias et voir s’il était véridique, lui vola ses bœufs à la campagne, puis vint le trouver à la ville, sous la figure d’un mortel, et descendit chez lui. Averti de la perte de son attelage, Tirésias prit avec lui Hermès, se rendit au faubourg pour observer un augure au sujet du vol, et il pria Hermès de lui dire l’oiseau qu’il apercevrait. Hermès vit d’abord un aigle qui passait en volant de gauche à droite, et il le lui dit. Tirésias répondit que cet oiseau ne les concernait pas. À la deuxième fois, le dieu vit une corneille perchée sur un arbre, qui tantôt levait les yeux en haut, tantôt se penchait vers le sol, et il le lui annonça. Le devin reprit alors : « Eh bien ! cette corneille jure par le ciel et la terre qu’il ne tient qu’à toi que je recouvre mes bœufs. »

On pourrait appliquer cette fable à un voleur.

Zeus avait chargé Hermès de verser à tous les artisans le poison du mensonge. Hermès le broya, et faisant la part égale pour chacun, il le leur versa. Mais, comme il ne restait plus que le cordonnier et qu’il y avait encore beaucoup de poison, il prit tout le mortier et le versa sur lui. C’est depuis lors que tous les artisans sont menteurs, mais plus que tous les cordonniers.

Cette fable s’applique à un homme qui tient des propos mensongers.

Un jour Hermès conduisait par toute la terre un chariot rempli de mensonges, de fourberies et de tromperies, et dans chaque pays il distribuait une petite portion de son chargement. Mais, quand il fut arrivé dans le pays des Arabes, le chariot, dit-on, se brisa soudain ; et les Arabes, comme s’il s’agissait d’un chargement précieux, pillèrent le contenu du chariot, et ne laissèrent pas le dieu aller chez d’autres peuples.

Plus que tout autre peuple les Arabes sont menteurs et trompeurs ; leur langue en effet ne connaît pas la vérité.

Un eunuque alla trouver un sacrificateur et le pria de faire un sacrifice en sa faveur, afin qu’il devînt père. Le sacrificateur lui dit : « Quand je considère le sacrifice, je prie pour que tu deviennes père ; mais quand je vois ta personne, tu ne parais même pas être un homme. »

Deux hommes qui se haïssaient naviguaient sur le même vaisseau ; l’un s’était posté à la poupe et l’autre à la proue. Une tempête étant survenue et le vaisseau étant sur le point de couler, l’homme qui était à la poupe demanda au pilote quelle partie du navire devait sombrer la première, « La proue, » dit le pilote. « Alors, reprit l’homme, la mort n’a rien de triste pour moi, si je dois voir mon ennemi mourir avant moi. »

Cette fable montre que beaucoup de gens ne s’inquiètent aucunement du dommage qui leur arrive, pourvu qu’ils voient leurs ennemis endommagés avant eux.

Une vipère était emportée sur un fagot d’épines par le courant d’une rivière. Un renard qui passait, l’ayant vue, s’écria : « Le pilote vaut le vaisseau. »

Ceci s’adresse à un méchant homme qui se livre à des entreprises perverses.

Une vipère, s’étant glissée dans l’atelier d’un forgeron, demanda aux outils de lui faire une aumône. Après l’avoir reçue des autres, elle vint à la lime et la pria de lui donner quelque chose. « Tu es bonne, répliqua la lime, de croire que tu obtiendras quelque chose de moi : j’ai l’habitude, non pas de donner, mais de prendre de chacun. »

Cette fable fait voir que c’est sottise de s’attendre à tirer quelque profit des avares.

Une vipère venait régulièrement boire à une source. Une hydre qui l’habitait voulait l’en empêcher, s’indignant que la vipère, non contente de son propre pâtis, envahît encore son domaine à elle. Comme la querelle ne faisait que s’envenimer, elles convinrent de se livrer bataille : celle qui serait victorieuse aurait la possession de la terre et de l’eau. Elles avaient fixé le jour, quand les grenouilles, par haine de l’hydre, vinrent trouver la vipère et l’enhardirent en lui promettant de se ranger de son côté. Le combat s’engagea, et la vipère luttait contre l’hydre, tandis que les grenouilles, ne pouvant faire davantage, poussaient de grands cris. La vipère ayant remporté la victoire leur adressa des reproches : elles avaient, disait-elle, promis de combattre avec elle, et, pendant la bataille, au lieu de la secourir, elles n’avaient fait que chanter. Les grenouilles répondirent : « Sache bien, camarade, que notre aide ne se donne point par les bras, mais par la voix seule. »

Cette fable montre que, quand on a besoin des bras, les secours en paroles ne servent de rien.

Zeus, ayant façonné l’homme, mit aussitôt en lui les diverses inclinations ; mais il oublia d’y mettre la pudeur. Aussi ne sachant par où l’introduire, il lui ordonna d’entrer par le fondement. Elle regimba tout d’abord contre cet ordre qui l’indignait ; enfin sur les instances pressantes de Zeus, elle dit : « Eh bien ! j’entre, mais à condition qu’Éros n’entrera pas par là ; s’il y entre, moi, j’en sortirai aussitôt. » De là vient que depuis lors tous les débauchés sont sans pudeur.

Cette fable montre que ceux qui sont la proie de l’amour en perdent toute pudeur.

Zeus, émerveillé de l’intelligence et de la souplesse d’esprit du renard, lui conféra la royauté des bêtes. Toutefois il voulut savoir si, en changeant de fortune, il avait aussi changé ses habitudes de convoitise ; et, tandis que le nouveau roi passait en litière, il lâcha un escarbot sous ses yeux. Alors, incapable de se tenir, en voyant l’escarbot voltiger autour de sa litière, le renard sauta dehors, et, au mépris de toute convenance, il essaya de l’attraper. Zeus, indigné de sa conduite, le remit dans son ancien état.

Cette fable montre que les gens de rien ont beau prendre des dehors plus brillants, ils ne changent pas de nature.

Zeus, ayant modelé les hommes, chargea Hermès de leur verser de l’intelligence. Hermès, en ayant fait des parts égales, versa à chacun la sienne. Il arriva par là que les hommes de petite taille, remplis par leur portion, furent des gens sensés, mais que les hommes de grande taille, le breuvage n’arrivant pas dans tout leur corps, eurent moins de raison que les autres.

Cette fable s’applique à un homme grand de taille, mais dépourvu d’esprit.

Zeus et Apollon disputaient du tir à l’arc. Apollon ayant tendu son arc et décoché sa flèche, Zeus avança la jambe aussi loin qu’Apollon avait lancé son trait.

De même quand on lutte avec des rivaux plus forts que soi, outre qu’on ne les atteint pas, on s’expose encore à la moquerie.

Comme Zeus se mariait, tous les animaux lui apportèrent des présents, chacun suivant ses moyens. Le serpent monta jusqu’à lui, en rampant, une rose à la bouche. En le voyant Zeus dit : « De tous les autres j’accepte des présents ; mais de ta bouche à toi je les refuse absolument. »

Cette fable montre qu’il faut craindre les gracieusetés des méchants.

Zeus ayant enfermé tous les biens dans un tonneau, le laissa entre les mains d’un homme. Cet homme, qui était curieux, voulut savoir ce qu’il y avait dedans ; il souleva le couvercle, et tous les biens s’envolèrent chez les dieux.

Cette fable montre que l’espérance seule reste avec les hommes, qui leur promet les biens enfuis.

Zeus, Prométhée et Athéna, ayant fait, l’un un taureau, Prométhée un homme, et la déesse une maison, prirent Momos pour arbitre. Momos, jaloux de leurs ouvrages, commença par dire que Zeus avait fait une bévue en ne mettant pas les yeux du taureau sur ses cornes, afin qu’il vît où il frappait, et Prométhée aussi en ne suspendant pas dehors le cœur de l’homme, afin que la méchanceté ne restât pas cachée et que chacun laissât voir ce qu’il a dans l’esprit. Quant à Athéna, il dit qu’elle aurait dû mettre sur roues sa maison, afin que, si un méchant s’établissait dans le voisinage, on pût se déplacer facilement. Zeus indigné de sa jalousie, le chassa de l’Olympe.

Cette fable montre qu’il n’y a rien de si parfait qui ne donne prise à la critique.

Zeus, célébrant ses noces, régalait tous les animaux. Seule, la tortue fit défaut. Intrigué de son absence, il la questionna le lendemain : « Pourquoi, seule des animaux, n’es-tu pas venue à mon festin ? — Logis familial, logis idéal ! » répondit la tortue. Zeus indigné contre elle la condamna à porter partout sa maison sur son dos.

C’est ainsi que beaucoup préfèrent vivre simplement chez eux que de manger richement à la table d’autrui.

Zeus a décidé jadis qu’Hermès inscrirait sur des coquilles les fautes des hommes et déposerait ces coquilles près de lui dans une cassette, afin qu’il fasse justice à chacun. Mais les coquilles s’entremêlent, et les unes viennent plus tôt, les autres plus tard entre les mains de Zeus, pour subir ses justes jugements.

Cette fable montre qu’il ne faut pas s’étonner si les malfaiteurs et les méchants ne reçoivent pas plus vite le châtiment de leurs méfaits.

C’était l’été, et l’on célébrait les noces du Soleil. Tous les animaux se réjouissaient de l’événement, et il n’était pas jusqu’aux grenouilles qui ne fussent en liesse. Mais l’une d’elles, s’écria : « Insensées, à quel propos vous réjouissez-vous ? À lui seul, le Soleil dessèche tous les marécages ; s’il prend femme et fait un enfant semblable à lui, que n’aurons-nous pas à souffrir ? »

Beaucoup de gens à tête légère se réjouissent de choses qui n’ont rien de réjouissant.

Une mule engraissée d’orge se mit à gambader, se disant à elle-même : « J’ai pour père un cheval rapide à la course, et moi je lui ressemble de tout point. » Mais un jour l’occasion vint où la mule se vit forcée de courir. La course terminée, elle se renfrogna et se souvint soudain de son père l’âne.

Cette fable montre que, même si les circonstances mettent un homme en vue, il ne doit pas oublier son origine ; car cette vie n’est qu’incertitude.

Le long d’une route étroite Hercule cheminait. Il aperçut à terre un objet qui ressemblait à une pomme, et voulut l’écraser. L’objet doubla de volume. À cette vue, Héraclès le piétina plus violemment encore et le frappa de sa massue. L’objet s’enflant en volume obstrua le chemin. Le héros alors jeta sa massue, et resta là, en proie à l’étonnement. Sur ces entrefaites Athéna lui apparut et lui dit : « Arrête, frère ; cet objet, c’est l’esprit de dispute et de querelle ; si on le laisse tranquille, il reste tel qu’il était d’abord ; si on le combat, voilà comment il s’enfle. »

Cette fable montre que les combats et les querelles sont cause de grands dommages.

Héraclès, admis au rang des dieux et reçu à la table de Zeus, saluait avec beaucoup de bonne grâce chacun des dieux. Mais Plutus étant arrivé le dernier, Héraclès baissa les yeux sur le pavé et se détourna de lui. Zeus étonné de son attitude lui demanda pourquoi, après avoir salué complaisamment tous les dieux, il détournait les yeux du seul Plutus. Il répondit : « Si je détourne les yeux de lui, c’est qu’au temps où j’étais parmi les hommes, je le voyais presque toujours acoquiné aux méchants. »

Cette fable pourrait se conter à propos d’un homme enrichi par la fortune, mais méchant de caractère.

Un homme, ayant un demi-dieu dans sa maison, lui offrait de riches sacrifices. Comme il ne cessait de dépenser et de consommer en sacrifices des sommes considérables, le demi-dieu lui apparut la nuit, et lui dit : « Cesse, mon ami, de dilapider ton bien ; car, si tu dépenses tout et que tu deviennes pauvre, c’est à moi que tu t’en prendras. »

Ainsi beaucoup de gens, tombés dans le malheur par leur sottise, en rejettent la responsabilité sur les dieux.

Un thon poursuivi par un dauphin se sauvait à grand bruit. Cependant il allait être pris, quand la violence de son élan le jeta, sans qu’il s’en doutât, sur le rivage. Emporté par la même impulsion, le dauphin aussi fut projeté au même endroit. Le thon se retournant le vit rendre l’âme et dit : « Je ne suis plus chagrin de mourir, du moment que je vois mourir avec moi celui qui est cause de ma mort. »

Cette fable montre qu’on supporte facilement les malheurs, quand on les voit partagés par ceux qui en sont la cause.

Un médecin ignorant traitait un malade. Tous les autres médecins affirmaient que ce malade n’était pas en danger, mais que son mal serait long à guérir ; seul l’ignorant lui dit de prendre toutes ses dispositions, qu’il ne passerait pas le lendemain. Là-dessus, il se retira. Au bout d’un certain temps, le malade se leva et sortit, pâle et marchant avec peine. Notre médecin le rencontra : « Bonjour, dit-il, comment vont les habitants des enfers ? — Ils sont tranquilles, répondit-il, parce qu’ils ont bu l’eau du Léthé. Mais dernièrement la Mort et Hadès faisaient de terribles menaces contre tous les médecins, parce qu’ils ne laissent pas mourir les malades, et ils les inscrivaient tous sur un registre. Ils allaient aussi t’inscrire ; mais je me suis jeté à leurs pieds, en les suppliant, et leur ai juré que tu n’étais pas un vrai médecin, et qu’on t’avait incriminé sans motif. »

La fable présente met au pilori les médecins dont toute la science et le talent consistent en belles paroles.

Un médecin soignait un malade. Celui-ci étant mort, le médecin disait aux gens du cortège : « Cet homme, s’il s’était abstenu de vin et avait pris des lavements, ne serait pas mort. — Hé ! mon bel ami, reprit l’un d’eux, ce n’est pas à présent qu’il fallait dire cela, alors que cela ne sert plus à rien ; c’est quand il pouvait encore en profiter que tu devais lui donner ce conseil. »

Cette fable montre que c’est au moment où ils en ont besoin qu’il faut prêter son aide à ses amis, au lieu de faire l’habile homme, quand leurs affaires sont désespérées.

Un milan ayant enlevé un serpent s’envola dans les airs. Le serpent se retourna et le mordit ; tous les deux furent alors précipités du haut des airs, et le milan périt. « Pourquoi, lui dit le serpent, as-tu été si fou que de faire du mal à qui ne t’en faisait pas : tu es justement puni de m’avoir enlevé. »

Un homme qui se livre à sa convoitise et fait du mal à de plus faibles que lui peut tomber sur un plus fort : il expiera alors, contre son attente, tous les maux qu’il a faits auparavant.

Le milan eut jadis une autre voix, qui était perçante. Mais un jour il entendit un cheval qui hennissait admirablement, et il voulut l’imiter. Mais il eut beau répéter ses essais : il ne réussit pas à prendre exactement la voix du cheval et il perdit en outre sa propre voix. De cette manière il n’eut ni la voix du cheval ni sa voix de jadis.

Les gens vulgaires et jaloux envient les qualités contraires à leur nature et perdent celles qui y sont conformes.

Un oiseleur, prenant avec lui de la glu et ses gluaux, partit pour la chasse. Ayant aperçu une grive sur un arbre élevé, il se mit en tête de l’attraper. En conséquence, ayant ajusté ses bâtonnets les uns au bout des autres, il regardait fixement, tournant vers les airs toute son attention. Tandis qu’il levait ainsi la tête en l’air, il ne s’aperçut pas qu’il mettait le pied sur un aspic endormi, qui se retourna et lui lança un coup de dent. Et lui, se sentant mourir se dit : « Malheureux que je suis ! je voulais attraper une proie, et je ne me suis pas aperçu que je devenais moi-même la proie de la mort. »

C’est ainsi qu’en ourdissant des embûches à son prochain on tombe le premier dans le malheur.

Un vieux cheval fut vendu pour tourner la meule. Quand il se vit attelé au moulin, il gémit et s’écria : « Après les tours de la carrière, à quels tours me voilà réduit ! »

Ne soyez pas trop fier de la force que donne la jeunesse ou la renommée : pour bien des gens le temps de la vieillesse s’est consumé en pénibles travaux.

Quand Zeus créa l’homme, il ne lui accorda qu’une courte existence. Mais l’homme, tirant parti de son intelligence, quand vint l’hiver, se bâtit une maison et y vécut. Or un jour le froid étant devenu violent et la pluie s’étant mise à tomber, le cheval, ne pouvant y durer, vint en courant chez l’homme et lui demanda de l’abriter. Mais l’homme déclara qu’il ne le ferait qu’à une condition, c’est que le cheval lui donnerait une partie des années qui lui étaient départies. Le cheval en fit l’abandon volontiers. Peu après le bœuf aussi se présenta : lui non plus ne pouvait soutenir le mauvais temps. L’homme répondit de même qu’il ne le recevrait pas, s’il ne lui donnait un certain nombre de ses propres années ; le bœuf en donna une partie et fut admis. Enfin le chien mourant de froid vint aussi, et, en cédant une partie du temps qu’il avait à vivre, il obtint un abri. Voici ce qui en est résulté : quand les hommes accomplissent le temps que leur a donné Zeus, ils sont purs et bons ; quand ils arrivent aux années qu’ils tiennent du cheval, ils sont glorieux et hautains ; quand ils en sont aux années du bœuf, ils s’entendent à commander ; mais quand ils achèvent leur existence, le temps du chien, ils deviennent irascibles et grondeurs.

On pourrait appliquer cette fable à un vieillard colère et morose.

Un palefrenier volait l’orge de son cheval et la vendait ; en revanche il passait toute la journée à le frotter, à l’étriller. Le cheval lui dit : « Si tu veux vraiment me voir beau, ne vends plus l’orge destinée à ma nourriture. »

Cette fable montre que les gens cupides amorcent les pauvres gens par leurs discours séducteurs et leurs flatteries, tandis qu’ils leur ôtent jusqu’au nécessaire.

Un homme avait un cheval et un âne. Un jour qu’ils étaient en route, l’âne, pendant le trajet, dit au cheval : « Prends une partie de ma charge, si tu tiens à ma vie. » Le cheval fit la sourde oreille, et l’âne tomba, épuisé de fatigue, et mourut. Alors le maître chargea tout sur le cheval, même la peau de l’âne. Et le cheval dit en soupirant : « Ah ! je n’ai pas de chance ; que m’est-il arrivé là, hélas ! Pour n’avoir pas voulu me charger d’un léger fardeau, voilà que je porte tout, avec la peau en plus. »

Cette fable montre que, si les grands font cause commune avec les petits, les uns et les autres assureront ainsi leur vie.

Un soldat, pendant toute la durée de la guerre, avait nourri d’orge son cheval, compagnon de ses travaux et de ses dangers. Mais, la guerre finie, le cheval fut employé à des besognes serviles et au transport de lourds fardeaux, et il ne fut plus nourri que de paille. Cependant une autre guerre fut annoncée, et à l’appel de la trompette le maître brida son cheval, s’arma lui-même et l’enfourcha. Mais le cheval sans force tombait à chaque pas. Il dit à son maître : « Va maintenant te ranger parmi les fantassins ; car de cheval tu m’as changé en âne. Comment veux-tu d’un âne refaire un cheval ? »

Dans les temps de sécurité et de relâche, il ne faut pas oublier les temps de malheur.

Le roseau et l’olivier disputaient de leur endurance, de leur force, de leur fermeté. L’olivier reprochait au roseau son impuissance et sa facilité à céder à tous les vents. Le roseau garda le silence et ne répondit mot. Or le vent ne tarda pas à souffler avec violence. Le roseau, secoué et courbé par les vents, s’en tira facilement ; mais l’olivier, résistant aux vents, fut cassé par leur violence.

Cette fable montre que ceux qui cèdent aux circonstances et à la force ont l’avantage sur ceux qui rivalisent avec de plus puissants.

Un chameau traversait une rivière au cours rapide. Ayant fienté, il vit aussitôt sa crotte emportée devant lui par la rapidité du courant. « Qu’est-ce là ? s’écria-t-il ; ce qui était derrière moi, je le vois à présent passer devant moi. »

Cette fable trouve son application dans un État où les derniers et les imbéciles dominent à la place des premiers et des gens sensés.

Les bêtes délibéraient sur le choix d’un roi. Le chameau et l’éléphant se mirent sur les rangs et se disputèrent les suffrages, espérant être préférés aux autres, grâce à leur haute taille et à leur force. Mais le singe les déclara l’un et l’autre impropres à régner : « le chameau, dit-il, parce qu’il n’a point de colère contre les malfaiteurs, et l’éléphant, parce qu’il est à craindre qu’un goret, animal dont il a peur, ne vienne nous attaquer. »

Cette fable montre qu’une petite cause ferme parfois l’accès des grands emplois.

Le chameau, voyant le taureau se prévaloir de ses cornes, l’envia et voulut lui aussi en obtenir autant. C’est pourquoi, étant allé trouver Zeus, il le pria de lui accorder des cornes. Mais Zeus, indigné qu’il ne se contentât point de sa grande taille et de sa force et qu’il désirât encore davantage, non seulement refusa de lui ajouter des cornes, mais encore lui retrancha une partie de ses oreilles.

Ainsi beaucoup de gens qui, par cupidité, regardent les autres avec envie, ne s’aperçoivent pas qu’ils perdent leurs propres avantages.

Un chameau que son propre maître contraignait à danser dit : « Ce n’est pas seulement quand je danse que je manque de grâce, j’en manque même lorsque je marche. »

Cette fable peut se dire à propos de tout acte dépourvu de grâce.

Lorsqu’ils virent le chameau pour la première fois, les hommes eurent peur, et, frappés de sa grande taille, ils s’enfuirent. Mais quand avec le temps ils se furent rendu compte de sa douceur, ils s’enhardirent jusqu’à l’approcher. Puis s’apercevant peu à peu que la bête n’avait pas de colère, ils en vinrent à la mépriser au point de lui mettre une bride et de la donner à conduire à des enfants.

Cette fable montre que l’habitude calme la peur qu’inspirent les choses effrayantes.

Un taureau paissait dans une petite île, et deux escarbots se nourrissaient de sa bouse. À l’arrivée de l’hiver, l’un dit à l’autre qu’il voulait passer sur le continent, afin que, étant seul, son camarade eût de la nourriture en suffisance, tandis que lui s’en irait là-bas pour y passer l’hiver. Il ajouta que, s’il y trouvait de la pâture en abondance, il lui en apporterait. Or, arrivé sur le continent, il y rencontra des bouses nombreuses et fraîches; il s’y établit et s’en nourrit. L’hiver passé, il revint dans l’île. Son camarade le voyant gras et en bon corps, lui rappela sa promesse et lui reprocha de ne lui avoir rien rapporté. « Ne t’en prends pas à moi, répondit-il, mais à la nature du lieu : il est possible d’y trouver à vivre, mais impossible d’en emporter quoi que ce soit. »

On pourrait appliquer cette fable à ceux qui poussent l’amitié jusqu’à régaler leurs amis, mais pas plus loin, et qui refusent de leur rendre aucun service.

Un crabe, étant monté de la mer sur le rivage, cherchait sa vie solitairement. Un renard affamé l’aperçut ; comme il n’avait rien à se mettre sous la dent, il courut sur lui et le prit. Alors le crabe, sur le point d’être dévoré, s’écria : « J’ai mérité ce qui m’arrive, moi qui, habitant de la mer, ai voulu devenir terrien. »

Il en est ainsi des hommes : ceux qui abandonnent leurs propres occupations pour se mêler d’affaires qui ne les regardent pas, tombent naturellement dans le malheur.

« Ne marche pas de travers, disait une écrevisse à sa fille, et ne frotte pas tes flancs contre le roc humide. — Mère, répliqua-t-elle, toi qui veux m’instruire, marche droit ; je te regarderai et t’imiterai. »

Quand on reprend les autres, il convient qu’on vive et marche droit, avant d’en faire leçon.

Un noyer qui se trouvait au bord d’une route et que les passants frappaient à coups de pierres, se disait en soupirant : « Malheureux que je suis de m’attirer tous les ans des insultes et des douleurs ! »

Cette fable vise les gens qui ne retirent que des désagréments de leurs propres biens.

Le castor est un quadrupède qui vit dans les étangs. Ses parties honteuses servent, dit-on, à guérir certaines maladies. Aussi quand on le découvre et qu’on le poursuit pour les lui couper, comme il sait pourquoi on le poursuit, il fuit jusqu’à une certaine distance, et il use de la vitesse de ses pieds pour se conserver intact ; mais quand il se voit en prise, il se coupe les parties, les jette, et sauve ainsi sa vie.

Parmi les hommes aussi, ceux-là sont sages qui, attaqués à cause de leurs richesses, les sacrifient pour ne pas risquer leur vie.

Un homme, s’étant arrêté près d’un jardinier qui arrosait ses légumes, lui demanda pourquoi les légumes sauvages étaient florissants et vigoureux, et les cultivés chétifs et malingres. « C’est que, répondit le jardinier, la terre est pour les uns une mère, pour les autres une marâtre. »

Pareillement les enfants nourris par une marâtre ne sont pas nourris comme ceux qui ont leur mère.

Le chien d’un jardinier était tombé dans un puits. Le jardinier, voulant l’en retirer, descendit lui aussi dans le puits. S’imaginant qu’il venait pour l’enfoncer plus profondément, le chien se retourna et le mordit. Le jardinier, souffrant de sa blessure, remonta en disant : « C’est bien fait pour moi : qu’avais-je à m’empresser de sauver une bête qui voulait se suicider ? »

Cette fable s’adresse aux hommes injustes et ingrats.

Un joueur de cithare dépourvu de talent chantait du matin au soir dans une maison aux murs bien plâtrés. Comme les murs lui renvoyaient les sons, il s’imagina qu’il avait une très belle voix, et il s’en fit si bien accroire là-dessus qu’il décida de se produire au théâtre ; mais arrivé sur la scène il chanta fort mal et se fit chasser à coups de pierres.

Ainsi certains orateurs qui paraissaient à l’école avoir quelque talent, ne sont pas plus tôt entrés dans la carrière politique, qu’ils font éclater leur incapacité.

Une grive picorait dans un bosquet de myrtes, et, charmée par la douceur de leurs baies, elle ne pouvait le quitter. Un oiseleur, ayant remarqué qu’elle se plaisait en ce lieu, la prit à la glu. Alors, se voyant près d’être tuée, elle dit : « Malheureuse que je suis ! pour le plaisir de manger, je me prive de la vie. »

La fable s’adresse au débauché qui se perd par le plaisir.

Des voleurs, ayant pénétré dans une maison, n’y trouvèrent autre chose qu’un coq ; ils le prirent et se retirèrent. Et lui, sur le point d’être immolé par eux, les pria de le relâcher, alléguant qu’il était utile aux hommes, en les éveillant la nuit pour leurs travaux. « Raison de plus pour te tuer, s’écrièrent-ils ; car, en éveillant les hommes, tu nous empêches de voler. »

Cette fable fait voir que ce qui contrarie le plus les méchants est ce qui rend service aux gens de bien.

L’estomac et les pieds disputaient de leur force. À tout propos les pieds alléguaient qu’ils étaient tellement supérieurs en force qu’ils portaient même l’estomac. À quoi celui-ci répondit : « Mais, mes amis, si je ne vous fournissais pas de nourriture, vous-mêmes ne pourriez pas me porter. »

Il en va ainsi dans les armées : le nombre, le plus souvent, n’est rien, si les chefs n’excellent pas dans le conseil.

Un choucas affamé s’était perché sur un figuier ; mais voyant que les figues étaient encore vertes, il attendait qu’elles fussent mûres. Un renard, le voyant s’éterniser là, lui en demanda la raison. Quand il en fut instruit : « Tu as tort, l’ami, dit-il, de t’attacher à une espérance ; l’espérance s’entend à repaître d’illusion, mais de nourriture, non pas. »

Cette fable s’applique au convoiteux.

Un choucas, qui dépassait en grosseur les autres choucas, prit en mépris ceux de sa tribu, se rendit chez les corbeaux et demanda à partager leur vie. Mais les corbeaux, à qui sa forme et sa voix étaient inconnues, le battirent et le chassèrent. Et lui, repoussé par eux, s’en revint chez les choucas ; mais les choucas, sensibles à l’outrage, refusèrent de le recevoir. Il arriva ainsi qu’il fut exclu de la société et des uns et des autres.

Un choucas, qui dépassait en grosseur les autres choucas, prit en mépris ceux de sa tribu, se rendit chez les corbeaux et demanda à partager leur vie. Mais les corbeaux, à qui sa forme et sa voix étaient inconnues, le battirent et le chassèrent. Et lui, repoussé par eux, s’en revint chez les choucas ; mais les choucas, sensibles à l’outrage, refusèrent de le recevoir. Il arriva ainsi qu’il fut exclu de la société et des uns et des autres.

Il en est ainsi chez les hommes. Ceux qui abandonnent leur patrie et lui préfèrent un autre pays, sont mal vus dans ce pays, parce qu’ils sont étrangers, et ils sont odieux à leurs propres concitoyens, parce qu’ils les ont méprisés.

Un choucas, ayant aperçu dans un pigeonnier des pigeons bien nourris, blanchit son plumage et se présenta pour avoir part à leur provende. Tant qu’il resta silencieux, les pigeons, le prenant pour un des leurs, l’admirent parmi eux ; mais à un moment il s’oublia et poussa un cri. Alors, ne connaissant pas sa voix, ils le chassèrent. Et lui, voyant la bonne chère des pigeons lui échapper, revint chez les choucas. Mais les choucas ne le reconnaissant plus à cause de sa couleur, le rejetèrent de leur société, de sorte que pour avoir voulu les deux provendes, il n’eut ni l’une ni l’autre.

Cette fable montre que nous devons nous contenter de nos propres biens, et nous dire que la convoitise non seulement ne sert à rien, mais encore nous fait perdre souvent ce que nous possédons.

Un homme ayant attrapé un choucas et lui ayant lié la patte avec un fil de lin, le donna à son enfant. Mais le choucas, ne pouvant se résigner à vivre avec les hommes, profita d’un instant de liberté pour s’enfuir et revint à son nid. Mais le fil s’étant enroulé aux branches, l’oiseau ne put s’envoler et, se voyant sur le point de mourir, il dit : « Je suis bien malheureux : pour n’avoir pas supporté l’esclavage chez les hommes, je me suis sans m’en douter privé de la vie. » Cette fable pourrait se dire des hommes qui, en voulant se défendre de médiocres dangers, se sont jetés à leur insu dans des périls plus redoutables.

Un corbeau, ayant volé un morceau de viande, s’était perché sur un arbre. Un renard l’aperçut, et, voulant se rendre maître de la viande, se posta devant lui et loua ses proportions élégantes et sa beauté, ajoutant que nul n’était mieux fait que lui pour être le roi des oiseaux, et qu’il le serait devenu sûrement, s’il avait de la voix. Le corbeau, voulant lui montrer que la voix non plus ne lui manquait pas, lâcha la viande et poussa de grands cris. Le renard se précipita et, saisissant le morceau, dit : « Ô corbeau, si tu avais aussi du jugement, il ne te manquerait rien pour devenir le roi des oiseaux. »

Cette fable est une leçon pour les sots.

Un corbeau pris au piège promit à Apollon de lui brûler de l’encens ; mais sauvé du danger, il oublia sa promesse. Pris de nouveau, à un autre piège, il laissa Apollon pour s’adresser à Hermès, à qui il promit un sacrifice. Mais ce dieu lui répondit : « Misérable, comment me fierais-je à toi, qui as renié et frustré ton premier maître ? »

Quand on s’est montré ingrat envers un bienfaiteur, on n’a plus, si l’on tombe dans l’embarras, à compter sur aucun secours.

Un corbeau à court de nourriture aperçut un serpent qui dormait au soleil ; il fondit sur lui et l’enleva. Mais le serpent se retourna et le mordit, et le corbeau, sur le point de mourir, dit : « Je suis bien malheureux d’avoir trouvé une aubaine telle que j’en meurs. »

On pourrait dire cette fable à propos d’un homme que la découverte d’un trésor met en péril de mort.

Un corbeau malade dit à sa mère : « Prie les dieux, mère, et ne pleure pas. » La mère lui répondit : « Lequel des dieux, mon enfant, aura pitié de toi ? en est-il un à qui tu n’aies pas dérobé de viande ? »

Cette fable montre que ceux qui se sont fait beaucoup d’ennemis dans leur vie ne trouveront pas d’amis, dans le besoin.

Une alouette huppée, prise au lacs, disait en gémissant : « Hélas ! pauvre oiseau infortuné que je suis ! Je n’ai dérobé à personne ni or, ni argent, ni quoi que ce soit de précieux : c’est un petit grain de blé qui a causé ma mort. »

Cette fable s’applique à ceux qui, pour un profit mesquin, s’exposent à un grand danger.

La corneille conçut de la jalousie contre le corbeau, parce qu’il donne des présages aux hommes, qu’il leur annonce l’avenir et que pour cette raison il est pris à témoin par eux ; aussi voulut-elle s’arroger les mêmes privilèges. Donc ayant vu passer des voyageurs, elle alla se percher sur un arbre et là poussa de grands cris. À sa voix, les voyageurs se retournèrent, effrayés ; mais l’un d’eux prenant la parole dit : « Allons, amis, continuons notre chemin : ce n’est qu’une corneille, ses cris ne donnent pas de présage. »

Il en est ainsi chez les hommes : ceux qui rivalisent avec de plus forts qu’eux, non seulement ne peuvent les égaler, mais encore ils prêtent à rire.

Une corneille offrant une victime à Athéna invita un chien au banquet du sacrifice. Le chien lui dit : « Pourquoi dépenses-tu ton bien à des sacrifices inutiles ? La déesse, en effet, te hait au point d’ôter toute créance à tes présages. » À quoi la corneille répliqua : « Mais c’est précisément pour cela que je lui sacrifie : je la sais mal disposée à mon égard et je veux qu’elle se réconcilie avec moi. »

C’est ainsi que beaucoup de gens n’hésitent pas à faire du bien à leurs ennemis, parce qu’ils en ont peur.

L’enfant d’un laboureur grillait des escargots. En les entendant crépiter, il dit : « Misérables bêtes, vos maisons brûlent, et vous chantez ! »

Cette fable montre que tout ce qu’on fait à contre-temps est repréhensible.

Un homme opulent nourrissait ensemble une oie et un cygne, non point pour le même objet, mais l’un pour son chant, l’autre en vue de sa table. Or lorsque l’oie dut subir le destin pour lequel on l’élevait, il faisait nuit, et le temps ne permettait pas de distinguer les deux volatiles. Mais le cygne, emporté à la place de l’oie, entonne un chant, prélude de son trépas. Sa voix le fit reconnaître et son chant le sauva de la mort.

Cette fable montre que souvent la musique fait ajourner la mort.

Les cygnes chantent, dit-on, au moment de mourir. Or un homme étant tombé sur un cygne mis en vente, et sachant par ouï-dire que c’était un animal très mélodieux, en fit l’acquisition. Un jour qu’il donnait à dîner, il alla chercher le cygne et le pria de chanter pendant le festin. Le cygne alors garda le silence, mais un jour, dans la suite, pensant qu’il allait mourir, il se pleura dans un thrène. Son maître, l’entendant, lui dit : « Si tu ne chantes que quand tu vas mourir, j’ai été bien sot de te prier de chanter jadis au lieu de t’immoler. »

Il arrive ainsi quelquefois que, ce qu’on ne veut pas faire de bonne grâce, on le fait par contrainte.

Un homme avait deux chiens. Il dressa l’un à chasser et fit de l’autre un gardien du foyer. Or quand le chien de chasse sortait pour chasser et prenait quelque gibier, le maître en jetait une partie à l’autre chien aussi. Le chien de chasse mécontent fit des reproches à son camarade : c’était lui qui sortait et avait le mal en toute occasion, tandis que son camarade, sans rien faire, jouissait du fruit de ses travaux ! Le chien de garde répondit : « Eh mais ! ce n’est pas moi qu’il faut blâmer, mais notre maître qui m’a appris, non à travailler, mais à vivre du travail d’autrui. »

C’est ainsi que les enfants paresseux ne sont pas à blâmer, quand leurs parents les élèvent dans la paresse.

Des chiens affamés virent des peaux qui trempaient dans une rivière. Ne pouvant les atteindre, ils convinrent entre eux de boire toute l’eau, pour arriver ensuite aux peaux. Mais il advint qu’à force de boire ils crevèrent avant d’atteindre les peaux.

Ainsi certains hommes se soumettent, dans l’espérance d’un profit, à des travaux dangereux, et se perdent avant d’atteindre l’objet de leurs désirs.

Un homme mordu par un chien courait de tous côtés, cherchant quelqu’un pour le guérir. Un quidam lui dit qu’il n’avait qu’à essuyer le sang de sa blessure avec du pain et à le jeter au chien qui l’avait mordu. À quoi le blessé répondit : « Mais, si je fais cela, je serai fatalement mordu par tous les chiens de la ville. »

Pareillement, si vous flattez la méchanceté des hommes, vous les excitez à faire plus de mal encore.

Un homme préparait un dîner pour traiter un de ses amis et familiers. Son chien invita un autre chien. « Ami, lui dit-il, viens céans dîner avec moi. » L’invité arriva plein de joie, et s’arrêta à regarder le grand dîner, murmurant dans son cœur : « Oh ! quelle aubaine inattendue pour moi ! Je vais bâfrer et m’en donner tout mon soûl, de manière à n’avoir pas faim de tout demain. » Tandis qu’il parlait ainsi à part lui, tout en remuant la queue, comme un ami qui a confiance en son ami, le cuisinier le voyant tourner la queue de-ci, de-là, le prit par les pattes et le lança soudain par la fenêtre. Et le chien s’en retourna en poussant de grands cris. Il trouva sur sa route d’autres chiens ; l’un d’eux lui demanda : « Comment as-tu dîné, l’ami ? » Il lui répondit : « À force de boire je me suis enivré outre mesure, et je ne sais même pas par où je suis sorti. »

Cette fable montre qu’il ne faut pas se fier à ceux qui font les généreux avec le bien d’autrui.

Un chien, nourri dans une maison, était dressé à combattre les bêtes fauves. Un jour qu’il en vit beaucoup rangées en ligne, il brisa le collier de son cou et s’enfuit par les rues. D’autres chiens l’ayant vu, puissant comme un taureau, lui dirent : « Pourquoi te sauves-tu ? — Je sais bien, répondit-il, que je vis dans l’abondance et que j’ai toutes les satisfactions de l’estomac, mais je suis toujours près de la mort, en combattant les ours et les lions. » Alors les chiens se dirent entre eux : « Nous avons une belle vie, quoique pauvre, nous qui ne combattons ni les lions, ni les ours. »

Il ne faut pas, pour la bonne chère et la vaine gloire, attirer sur soi le danger, mais l’éviter au contraire.

Un chien et un coq ayant fait société allaient par chemins. Le soir venu, le coq monta sur un arbre pour y dormir, et le chien se coucha au pied de l’arbre qui était creux. Or le coq ayant, suivant son habitude, chanté avant le jour, un renard l’entendit, accourut et, s’arrêtant en bas de l’arbre, le pria de descendre vers lui ; car il désirait embrasser une bête qui avait une si belle voix. Le coq lui dit d’éveiller d’abord le portier qui dormait au pied de l’arbre : il descendrait, quand celui-ci aurait ouvert. Alors, comme le renard cherchait à parler au portier, le chien bondit brusquement et le mit en pièces.

Cette fable montre que les gens sensés, quand leurs ennemis les attaquent, leur donnent le change en les adressant à de plus forts.

Un chien habitué à avaler des œufs, voyant un coquillage, ouvrit la gueule et, refermant violemment ses mâchoires, l’avala, le prenant pour un œuf. Mais ses entrailles s’alourdissant, il eut mal et dit : « Je n’ai que ce que je mérite, moi qui ai pris tous les objets ronds pour des œufs. »

Cette fable nous enseigne que ceux qui entreprennent une affaire sans discernement s’empêtrent à leur insu dans d’étranges embarras.

Un chien de chasse, ayant attrapé un lièvre, tantôt le mordait, tantôt lui léchait les babines. Le lièvre excédé lui dit : « Hé ! toi, cesse ou de me mordre ou de me baiser, afin que je sache si tu es mon ennemi ou mon ami. »

Cette fable s’applique à l’homme équivoque.

Un chien, s’étant élancé dans une boucherie, y saisit un cœur, tandis que le boucher était occupé, et prit la fuite. Le boucher s’étant retourné et le voyant fuir, s’écria : « Toi, sache bien que, partout où tu seras, je te tiendrai à l’œil : car ce n’est pas à moi que tu as pris le cœur, bien au contraire tu m’en as donné. »

Cette fable montre que souvent les accidents sont des enseignements pour les hommes.

Un chien dormait devant une ferme. Un loup fondit sur lui, et il allait faire de lui son repas, quand le chien le pria de ne pas l’immoler tout de suite : « À présent, dit-il, je suis mince et maigre ; mais attends quelque temps : mes maîtres vont célébrer des noces ; moi aussi j’y prendrai de bonnes lippées, j’engraisserai et je serai pour toi un manger plus agréable. » Le loup le crut et s’en alla. À quelque temps de là il revint, et trouva le chien endormi dans une pièce haute de la maison ; il s’arrêta en bas et l’appela, lui rappelant leurs conventions. Alors le chien : « Ô loup, dit-il, si à partir d’aujourd’hui tu me vois dormir devant la ferme, n’attends plus de noces. » Cette fable montre que les hommes sensés, quand ils se sont tirés d’un danger, s’en gardent toute leur vie.

Un chien tenant un morceau de viande traversait une rivière. Ayant aperçu son ombre dans l’eau, il crut que c’était un autre chien qui tenait un morceau de viande plus gros. Aussi, lâchant le sien, il s’élança pour enlever celui de son compère. Mais le résultat fut qu’il n’eut ni l’un ni l’autre, l’un se trouvant hors de ses prises, puisqu’il n’existait même pas, et l’autre ayant été entraîné par le courant.

Cette fable s’applique au convoiteux.

Un chien mordait à la sourdine. Son maître lui pendit une sonnette, pour le signaler à tout le monde. Or lui, secouant sa sonnette, faisait le glorieux sur la place publique. Une vieille chienne lui dit : « Qu’as-tu à te pavaner ? Ce n’est point à cause de ta vertu que tu portes cette sonnette, mais bien pour dénoncer ta méchanceté cachée. »

Les manières glorieuses des fanfarons laissent voir visiblement leur méchanceté secrète.

Un chien de chasse, ayant aperçu un lion, s’était mis à sa poursuite. Mais le lion se retourna et se mit à rugir. Alors le chien eut peur et rebroussa chemin. Un renard le vit et lui dit : « Pauvre sire, tu poursuivais le lion, et tu n’as même pas pu supporter son rugissement. »
On pourrait conter cette fable à propos des présomptueux qui se mêlent de dénigrer des gens plus puissants qu’eux, et qui se rejettent brusquement en arrière, quand ceux-ci leur font tête.

Un cousin s’approcha d’un lion et lui dit : « Je n’ai pas peur de toi, et tu n’es pas plus puissant que moi. Si tu prétends le contraire, montre de quoi tu es capable. Est-ce d’égratigner avec tes griffes et de mordre avec tes dents ? Une femme même qui se bat avec son mari en fait autant. Moi, je suis beaucoup plus fort que toi ; si tu veux, je te provoque même au combat. » Et, sonnant de la trompe, le cousin fondit sur lui, mordant le museau dépourvu de poil autour des narines. Quant au lion, il se déchirait de ses propres griffes, jusqu’à ce qu’il renonça au combat. Le cousin, ayant vaincu le lion, sonna de la trompe, entonna un chant de victoire, et prit son essor. Mais il s’empêtra dans une toile d’araignée, et, se sentant dévorer, il gémissait, lui qui faisait la guerre aux plus puissants, de périr par le fait d’un vil animal, une araignée.

Un cousin s’était posé sur la corne d’un taureau. Après y être resté longtemps, comme il allait partir, il demanda au taureau s’il désirait qu’enfin il s’en allât. Le taureau répondit : « Quand tu es venu, je ne t’ai pas senti, et quand tu t’en iras, je ne te sentirai pas non plus. »

On pourrait appliquer cette fable à l’homme impuissant dont ni la présence ni l’absence ne peuvent nuire ou servir.

Les lièvres un jour, étant en guerre avec les aigles, appelèrent à leur secours les renards. Ceux-ci répondirent : « Nous serions venus à votre aide, si nous ne savions qui vous êtes, et qui vous combattez. »

Cette fable montre que ceux qui se mettent en lutte avec de plus puissants font fi de leur salut.

Les lièvres s’étant un jour assemblés se désolaient entre eux d’avoir une vie si précaire et pleine de crainte : n’étaient-ils pas en effet la proie des hommes, des chiens, des aigles et de bien d’autres animaux ? Il valait donc mieux périr une bonne fois que de vivre dans la terreur. Cette résolution prise, ils s’élancent en même temps vers l’étang, pour s’y jeter et s’y noyer. Mais les grenouilles, accroupies autour de l’étang, n’eurent pas plus tôt perçu le bruit de leur course qu’elles sautèrent dans l’eau. Alors un des lièvres, qui paraissait être plus fin que les autres, dit : « Arrêtez, camarades ; ne vous faites pas de mal ; car, vous venez de le voir, il y a des animaux plus peureux encore que nous. »

Cette fable montre que les malheureux se consolent en voyant des gens plus malheureux qu’eux.

Le lièvre dit au renard : « Fais-tu réellement beaucoup de profits, et peux-tu dire pourquoi on t’appelle le « profiteur[1] ? » — Si tu en doutes, répondit le renard, viens chez moi, je t’offre à dîner, » Le lièvre le suivit. Or à l’intérieur le renard n’avait rien à dîner que le lièvre. Le lièvre lui dit : « J’apprends pour mon malheur, mais enfin j’apprends d’où te vient ton nom : ce n’est pas de tes gains, mais de tes ruses. »

Il arrive souvent de grands malheurs aux curieux qui s’abandonnent à leur maladroite indiscrétion.

Une mouette ayant avalé un poisson, son gosier éclata et elle resta étendue morte sur le rivage. Un milan, l’ayant aperçue, dit : « Tu n’as que ce que tu mérites, puisque, née oiseau, tu cherchais ta vie sur la mer. »

Ainsi les gens qui abandonnent leur propre métier pour en prendre un qui n’est pas le leur sont justement malheureux.

Un renard reprochait à une lionne de ne jamais mettre au monde qu’un seul petit. « Un seul, dit-elle, mais un lion. »

Il ne faut pas mesurer le mérite sur la quantité, mais avoir égard à la vertu.

Un lion devint roi, qui n’était ni colère, ni cruel, ni violent, mais doux et juste, comme un homme. Il se fit sous son règne une assemblée générale des animaux, en vue de recevoir et de se donner mutuellement satisfaction, le loup au mouton, la panthère au chamois, le tigre au cerf, le chien au lièvre. Le lièvre peureux dit alors : « J’ai vivement souhaité de voir ce jour, afin que les faibles paraissent redoutables aux violents. »

Quand la justice règne dans l’État, et que tous les jugements sont équitables, les humbles aussi vivent en tranquillité.

Un lion devenu vieux, et dès lors incapable de se procurer de la nourriture par la force, jugea qu’il fallait le faire par adresse. Il se rendit donc dans une caverne et s’y coucha, contrefaisant le malade ; et ainsi, quand les animaux vinrent le visiter, il les saisit et les dévora. Or beaucoup avaient déjà péri, quand le renard, ayant deviné son artifice, se présenta, et s’arrêtant à distance de la caverne, s’informa comment il allait. « Mal », dit le lion, qui lui demanda pourquoi il n’entrait pas. « Moi, dit le renard, je serais entré, si je ne voyais beaucoup de traces d’animaux qui entrent, mais d’animal qui sorte, aucune. »

Ainsi les hommes judicieux prévoient à certains indices les dangers, et les évitent.

Un lion pénétra dans l’étable d’un laboureur. Celui-ci, voulant le prendre, ferma la porte de la cour. Ne pouvant sortir, le lion dévora d’abord les moutons, puis s’attaqua aux bœufs. Alors le laboureur, prenant peur pour lui-même, ouvrit la porte. Le lion parti, la femme du laboureur, le voyant gémir, lui dit : « Tu n’as que ce que tu mérites ; car pourquoi vouloir enfermer une bête que tu devais craindre même de loin ? »

Ainsi les gens qui excitent de plus forts qu’eux ont naturellement à supporter les conséquences de leur folie.

Un lion s’étant épris de la fille d’un laboureur, la demanda en mariage ; mais lui, ne pouvant ni se résoudre à donner sa fille à une bête féroce, ni la lui refuser à cause de la crainte qu’il en avait, imagina l’expédient que voici. Comme le lion ne cessait de le presser, il lui dit qu’il le jugeait digne d’être l’époux de sa fille, mais qu’il ne pouvait la lui donner qu’à une condition, c’est qu’il s’arracherait les dents et se rognerait les griffes ; car c’était cela qui faisait peur à la jeune fille. Il se résigna facilement, parce qu’il aimait, à ce double sacrifice. Dès lors le laboureur n’eut plus que mépris pour lui, et, lorsqu’il se présenta, il le mit à la porte à coups de bâton.

Cette fable montre que ceux qui se fient aisément aux autres, une fois qu’ils se sont dépouillés de leurs propres avantages, sont facilement vaincus par ceux qui les redoutaient auparavant.

Le lion étant tombé malade était couché dans une caverne. Il dit au renard, qu’il aimait et avec qui il entretenait commerce : « Si tu veux que je guérisse et que je vive, séduis par tes douces paroles le gros cerf qui habite la forêt, et amène-le entre mes mains ; car j’ai envie de ses entrailles et de son cœur. » Le renard se mit en campagne et trouva le cerf qui bondissait dans les bois. Il l’aborda d’un air caressant, le salua et dit : « Je viens t’annoncer une bonne nouvelle. Tu sais que notre roi, le lion, est mon voisin ; or il est malade et sur le point de mourir. Alors il s’est demandé qui des animaux régnerait après lui. Le sanglier, a-t-il dit, est dépourvu d’intelligence, l’ours balourd, la panthère irascible, le tigre fanfaron : c’est le cerf qui est le plus digne de régner, parce qu’il est haut de taille, qu’il vit de longues années, et que sa corne est redoutable aux serpents. Mais à quoi bon m’étendre davantage ? Il a été décidé que tu serais roi. Que me donneras-tu pour te l’avoir annoncé le premier ? Parle, je suis pressé, je crains qu’il ne me réclame ; car il ne peut se passer de mes conseils en rien. Mais, si tu veux bien écouter un vieillard, je te conseille de venir aussi et d’attendre sa mort près de lui. » Ainsi parla le renard, et le cœur du cerf se gonfla de vanité à ces discours, et il vint à l’antre sans se douter de ce qui allait arriver. Or le lion bondit sur lui précipitamment ; mais il ne fit que lui déchirer les oreilles avec ses griffes. Le cerf se sauva en toute hâte dans les bois. Alors le renard claqua ses mains l’une contre l’autre, dépité d’avoir perdu sa peine ; et le lion se mit à gémir en poussant de grands rugissements ; car la faim le tenaillait, et le chagrin aussi ; et il supplia le renard de faire une autre tentative et de trouver une nouvelle ruse pour amener le cerf. Le renard répondit : « C’est une commission pénible et difficile que celle dont tu me charges ; pourtant je t’y servirai encore. » Alors, comme un chien de chasse, il suivit la trace du cerf, ourdissant des fourberies, et il demanda à des bergers s’ils n’avaient pas vu un cerf ensanglanté. Ils lui indiquèrent son gîte dans la forêt. Il le trouva qui reprenait haleine et se présenta impudemment. Le cerf, plein de colère et le poil hérissé, lui répondit : « Misérable, tu ne m’y prendras plus ; si tu t’approches tant soit peu de moi, c’en est fait de ta vie. Va renarder avec d’autres qui ne te connaissent pas, choisis d’autres bêtes pour en faire des rois et leur monter la tête. » Le renard répondit : « Es-tu si couard et si lâche ? Est-ce ainsi que tu nous soupçonnes, nous, tes amis ? Le lion, en te prenant l’oreille, allait te donner ses conseils et ses instructions sur ta grande royauté, comme quelqu’un qui va mourir ; et toi, tu n’as pas supporté même une égratignure de la patte d’un malade. À présent il est encore plus en colère que toi, et il veut créer roi le loup. Hélas ! le méchant maître ! Mais viens, ne crains rien et sois doux comme un mouton. Car, j’en jure par toutes les feuilles et les sources, tu n’as aucun mal à craindre du lion. Quant à moi, je ne veux servir que toi. » En abusant ainsi le malheureux, il le décida à venir de nouveau. Quant il eut pénétré dans l’antre, le lion eut de quoi dîner, et il avala tous les os, les moelles et les entrailles. Le renard était là, qui regardait. Le cœur étant tombé, il le saisit à la dérobée, et le mangea pour se dédommager de sa peine. Mais le lion, après avoir cherché tous les morceaux, ne retrouvait pas le cœur. Alors le renard, se tenant à distance, lui dit : « Véritablement ce cerf n’avait pas de cœur ; ne le cherche plus ; car quel cœur pouvait avoir un animal qui est venu par deux fois dans le repaire et les pattes du lion ? »

Cette fable montre que l’amour des honneurs trouble la raison et ferme les yeux sur l’imminence du danger.

Un lion et un ours, ayant trouvé un faon de biche, se battaient à qui l’aurait. Ils se portèrent l’un à l’autre des coups terribles, tant qu’enfin, pris de vertige, ils s’abattirent à demi morts. Un renard, qui passait, les voyant énervés, et le faon gisant au milieu, l’enleva et s’en alla en passant entre eux deux. Et eux, hors d’état de se relever, murmurèrent : « Malheureux que nous sommes ! c’est pour le renard que nous avons pris tant de peine. »

La fable montre qu’on a raison de se dépiter, quand on voit les premiers venus emporter le fruit de ses propres travaux.

Un lion, ayant entendu coasser une grenouille, se retourna au son, pensant que c’était quelque gros animal. Il attendit quelque temps, puis, la voyant sortir de l’étang, il s’approcha et l’écrasa, en disant : « Eh quoi ! c’est avec une telle taille que tu pousses de tels cris ! »

Cette fable s’applique au bavard, incapable d’autre chose que de parler.

Un lion errant sur une plage vit un dauphin qui sortait la tête hors de l’eau. Il lui proposa une alliance. « Il nous sied tout à fait, dit-il, d’être amis et alliés, puisque toi, tu es le roi des animaux marins, et moi, des animaux terrestres. » Le dauphin acquiesça volontiers. Or le lion, qui était depuis longtemps en guerre avec un taureau sauvage, appela le dauphin à son secours. Celui-ci essaya de sortir de l’eau, mais ne put y réussir. Alors le lion l’accusa de trahison. « Ce n’est pas à moi, répliqua le dauphin, mais à la nature qu’il faut t’en prendre : elle m’a fait aquatique et ne me permet pas de marcher sur terre ».

Ceci prouve que nous aussi, quand nous contractons amitié, nous devons choisir des alliés qui puissent être à nos côtés au jour du danger.

Dans la saison d’été, quand la chaleur fait naître la soif, un lion et un sanglier vinrent boire à une petite source. Ils se querellèrent à qui boirait le premier, et de la querelle ils en vinrent à une lutte à mort. Mais soudain s’étant retournés pour reprendre haleine, ils virent des vautours qui attendaient pour dévorer celui qui tomberait le premier. Aussi, mettant fin à leur inimitié, ils dirent : « Il vaut mieux devenir amis que de servir de pâture à des vautours et à des corbeaux. »

Il est beau de mettre fin aux méchantes querelles et aux rivalités ; car l’issue en est dangereuse pour tous les partis.

Un lion, étant tombé sur un lièvre endormi, allait le dévorer ; mais entre temps il vit passer un cerf : il laissa le lièvre et donna la chasse au cerf. Or le lièvre, éveillé par le bruit, prit la fuite ; et le lion, ayant poursuivi le cerf au loin, sans pouvoir l’atteindre, revint au lièvre et trouva qu’il s’était sauvé lui aussi. « C’est bien fait pour moi, dit-il, puisque lâchant la pâture que j’avais en main, j’ai préféré l’espoir d’une plus belle proie. »

Ainsi parfois les hommes, au lieu de se contenter de profils modérés, poursuivent de plus belles espérances, et lâchent imprudemment ce qu’ils ont en main.

Le lion devenu vieux était couché, malade, dans son antre, et tous les animaux étaient venus rendre visite à leur prince, à l’exception du renard. Alors le loup, saisissant l’occasion favorable, accusa le renard par-devant le lion : « il n’avait, disait-il, aucun égard pour celui qui était leur maître à tous, et c’est pour cela qu’il n’était même pas venu le visiter. » Sur ces entrefaites le renard arrivait lui aussi, et il entendit les dernières paroles du loup. Alors le lion poussa un rugissement contre le renard. Mais celui-ci, ayant demandé un moment pour se justifier : « Et qui, dit-il, parmi tous ceux qui sont ici réunis, t’a rendu un aussi grand service que moi, qui suis allé partout demander aux médecins un remède pour te guérir, et qui l’ai trouvé ? » Le lion lui enjoignit de dire aussitôt quel était ce remède. Le renard répondit : « C’est d’écorcher vif un loup, et de te revêtir de sa peau toute chaude. » Le loup fut incontinent mis à mort, et le renard dit en riant : « Il ne faut pas exciter le maître à la malveillance, mais à la douceur, »

Cette fable montre qu’en dressant des embûches à un autre on se tend un piège à soi-même.

Un lion dormait ; un rat s’en vint trottiner sur son corps. Le lion, se réveillant, le saisit, et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher, promettant, s’il lui laissait la vie, de le payer de retour. Le lion se mit à rire et le laissa aller. Or il arriva que peu de temps après il dut son salut à la reconnaissance du rat. Des chasseurs en effet le prirent et l’attachèrent à un arbre avec une corde. Alors le rat l’entendant gémir accourut, rongea la corde et le délivra. « Naguère, dit-il, tu t’es moqué de moi, parce que tu n’attendais pas de retour de ma part ; sache maintenant que chez les rats aussi on trouve de la reconnaissance. »

Cette fable montre que dans les changements de fortune les gens les plus puissants ont besoin des faibles.

Le lion et l’onagre chassaient aux bêtes sauvages, le lion usant de sa force, l’onagre de la vitesse de ses pieds. Quand ils eurent pris un certain nombre de pièces, le lion partagea et fit trois parts qu’il étala. « Je prendrai la première, dit-il, comme étant le premier, puisque je suis roi ; la deuxième aussi, comme associé à part égale ; quant à la troisième, celle-là te portera malheur, si tu ne te décides pas à décamper. »

Il convient en toutes choses de se mesurer à sa propre force, et de ne point se lier ni s’associer à de plus puissants que soi.

Le lion et l’âne, ayant lié partie ensemble, étaient sortis pour chasser. Étant arrivés à une caverne où il y avait des chèvres sauvages, le lion se posta à l’entrée pour guetter leur sortie, et l’âne, ayant pénétré à l’intérieur, se mit à bondir au milieu d’elles et à braire pour les faire fuir. Quand le lion en eut pris la plus grande partie, l’âne sortit et lui demanda s’il n’avait pas bravement combattu et poussé les chèvres dehors, « Sache bien, répondit le lion, que tu m’aurais fait peur à moi-même, si je n’avais pas su que tu étais un âne. »

C’est ainsi que les gens qui se vantent devant ceux qui les connaissent prêtent justement à la moquerie.

Le lion, l’âne et le renard, ayant lié société ensemble, partirent pour la chasse. Quand ils eurent pris du gibier en abondance, le lion enjoignit à l’âne de le partager entre eux. L’âne fit trois parts égales et dit au lion de choisir. Le lion indigné bondit sur lui et le dévora. Puis il enjoignit au renard de faire le partage. Celui-ci entassa tout sur un seul lot, ne se réservant que quelques bribes ; après quoi il pria le lion de choisir. Celui-ci lui demanda qui lui avait appris à partager ainsi : « Le malheur de l’âne », répliqua t-il.

Cette fable montre qu’on s’instruit en voyant le malheur de son prochain.

Le lion se plaignait souvent de Prométhée. Sans doute Prométhée l’avait fait grand et beau, il lui avait armé la mâchoire de dents et muni les pattes de griffes, il l’avait fait plus fort que tous les autres animaux ; « mais avec tout cela, ajoutait-il, j’ai peur du coq. » Prométhée lui répondit : « Pourquoi m’accuses-tu à la légère ? N’as-tu pas tous les avantages physiques que j’ai pu modeler ? Mais c’est ton âme qui faiblit à ce seul objet. » Le lion déplorait donc son sort et s’accusait de lâcheté ; à la fin il voulut en finir avec la vie. Il était dans ces dispositions, quand il rencontra l’éléphant ; il le salua et s’arrêta pour causer. Ayant remarqué qu’il remuait continuellement les oreilles : « Qu’as-tu, lui demanda-t-il » et pourquoi donc ton oreille ne saurait-elle rester tant soit peu sans bouger ? — Tu vois », répondit l’éléphant, tandis qu’un cousin voltigeait par hasard autour de lui, « tu vois cet être minuscule, qui bourdonne ; s’il pénètre dans le conduit de mon oreille, je suis mort. » Alors le lion se dit : « Qu’ai-je encore besoin de mourir, moi qui suis si puissant et qui surpasse en bonheur l’éléphant autant que le coq surpasse en force le cousin ? »

On voit que le cousin est assez fort pour faire peur même à l’éléphant.

Un lion, qui tramait la mort d’un taureau énorme, projeta de s’en rendre maître par la ruse. Il lui dit qu’il avait sacrifié un mouton et l’invita au festin ; son intention était de le tuer, quand il serait couché à table. Le taureau vint ; mais apercevant force bassins, de grandes broches, mais de mouton nulle part, il s’en alla sans mot dire. Le lion lui en fit des reproches et lui demanda pourquoi, n’ayant souffert aucun mal, il s’en allait sans raison. Il répondit : « Ce n’est pas sans raison que j’en use ainsi ; car je vois des ustensiles comme on en prépare non pour un mouton, mais pour un taureau. »

Cette fable montre que les gens sensés ne se laissent pas prendre aux artifices des méchants.

Un lion était enragé. Un cerf l’ayant vu de la forêt s’écria : « Hélas ! malheur à nous ! Que ne fera pas ce lion dans sa fureur, lui qui, même de sang-froid, nous était insupportable ? »

Évitons les hommes emportés et habitués à faire du mal, quand ils ont pris le pouvoir et qu’ils règnent.

Un lion dormait ; une souris courut tout le long de son corps. Le lion s’éveilla et se tourna dans tous les sens, cherchant celui qui l’avait affronté. Un renard, le voyant faire, le gourmanda d’avoir peur, lui lion, d’une souris. À quoi le lion répondit : « Ce n’est pas que j’aie eu peur de la souris, mais j’ai été surpris que quelqu’un ait osé courir sur le corps du lion endormi. »

Cette fable montre que les hommes sensés ne dédaignent pas même les petites choses.

Un brigand, ayant assassiné un homme sur une route, et se voyant poursuivi par ceux qui se trouvaient là, abandonna sa victime ensanglantée et s’enfuit. Mais des voyageurs qui venaient en sens inverse, lui demandèrent ce qui lui avait souillé les mains ; il répondit qu’il venait de descendre d’un mûrier. Comme il disait cela, ceux qui le poursuivaient le rejoignirent, le saisirent et le pendirent à un mûrier. Et le mûrier lui dit : « Je ne suis pas fâché de servir à ton supplice : c’est toi en effet qui as commis le meurtre, et c’est sur moi que tu en as essuyé le sang. »

Il arrive souvent ainsi que des hommes naturellement bons, quand ils se voient dénigrer par des calomniateurs, n’hésitent pas à se montrer méchants à leur égard.

Entre les loups et les chiens la haine se déchaîna un jour. Les chiens élurent pour général un chien grec. Or celui-ci ne se pressait pas d’engager la bataille, malgré les violentes menaces des loups, « Savez-vous, leur dit-il, pourquoi je temporise ; c’est que toujours il convient de délibérer avant d’agir. Vous autres, vous êtes tous de même race et de même couleur ; mais nos soldats à nous ont des mœurs très variées et chacun a son pays dont il est fier. Même la couleur n’est pas uniforme et pareille pour tous : les uns sont noirs, les autres roux, d’autres blancs ou cendrés. Comment pourrais-je mener à la guerre des gens qui ne sont pas d’accord et qui sont dissemblables en tout ? »

Dans toutes les armées, c’est l’unité de volonté et de pensée qui assure la victoire sur les ennemis.

Les loups dirent aux chiens : « Pourquoi, étant de tout point pareils à nous, ne vous entendez-vous pas avec nous, comme des frères ? Car nous ne différons en rien, sauf de pensée. Nous, nous vivons dans la liberté ; vous, soumis et asservis aux hommes, vous endurez d’eux les coups, vous portez des colliers et vous gardez les troupeaux ; et quand vos maîtres mangent, ils ne vous jettent que les os. Mais croyez-nous ; livrez-nous tous les troupeaux et nous les mettrons en commun pour nous en rassasier. » Les chiens prêtèrent l’oreille à ces propositions ; et les loups, pénétrant à l’intérieur de l’étable, égorgèrent d’abord les chiens.

Tel est le salaire que reçoivent ceux qui trahissent leur patrie.

Des loups cherchaient à surprendre un troupeau de moutons. Ne pouvant s’en rendre maîtres, à cause des chiens qui les gardaient, ils résolurent d’user de ruse pour en venir à leurs fins. Ils envoyèrent des députés demander aux moutons de livrer leurs chiens. C’étaient les chiens, disaient-ils, qui étaient cause de leur inimitié ; on n’avait qu’à les leur livrer ; et la paix régnerait entre eux. Les moutons ne prévoyant pas ce qui allait arriver, livrèrent les chiens, et les loups, s’en étant rendus maîtres, égorgèrent facilement le troupeau qui n’était plus gardé.

Il en est ainsi dans les États : ceux qui livrent facilement leurs orateurs ne se doutent pas qu’ils seront bientôt assujettis à leurs ennemis.

Les loups envoyèrent des députés aux moutons, offrant de faire avec eux une paix perpétuelle, s’ils leur livraient les chiens pour les faire périr. Les stupides moutons convinrent de le faire ; mais un vieux bélier s’écria : « Comment pourrais-je vous croire et vivre avec vous, alors que, même sous la garde des chiens, il m’est impossible de paître en sécurité. »

Il ne faut pas nous défaire de ce qui assure notre sécurité, en prêtant foi aux serments de nos ennemis irréconciliables.

Un loup errait un jour dans des lieux déserts, à l’heure où le soleil penchait sur son déclin. En voyant son ombre allongée, il dit : « Moi, craindre le lion, avec la taille que j’ai ! avec un plèthre de long, n’est-il pas tout simple que je devienne le roi de tous les animaux ? » Comme il s’abandonnait à l’orgueil, un puissant lion le prit et se mit à le dévorer. Le loup changeant d’avis s’écria : « La présomption nous est une cause de malheur. »

Un loup vit une chèvre qui paissait au-dessus d’un antre escarpé. Ne pouvant arriver jusqu’à elle, il l’engagea à descendre ; car elle pourrait, disait-il, tomber par mégarde ; d’ailleurs le pré où il se trouvait était meilleur ; car le gazon y était tout fleuri. Mais la chèvre lui répondit : « Ce n’est pas pour moi que tu m’appelles au pâtis, c’est pour toi qui n’as pas de quoi manger. »

Ainsi quand les scélérats exercent leur méchanceté parmi des gens qui les connaissent, ils ne gagnent rien à leurs machinations.

Un loup, voyant un agneau qui buvait à une rivière, voulut alléguer un prétexte spécieux pour le dévorer. C’est pourquoi, bien qu’il fût lui-même en amont, il l’accusa de troubler l’eau et de l’empêcher de boire. L’agneau répondit qu’il ne buvait que du bout des lèvres, et que d’ailleurs, étant à l’aval, il ne pouvait troubler l’eau à l’amont. Le loup, ayant manqué son effet, reprit : « Mais l’an passé tu as insulté mon père. — Je n’étais pas même né à cette époque, » répondit l’agneau. Alors le loup reprit : « Quelle que soit ta facilité à te justifier, je ne t’en mangerai pas moins. »

Cette fable montre qu’auprès des gens décidés à faire le mal la plus juste défense reste sans effet.

Un loup poursuivait un jeune agneau. Celui-ci se réfugia dans un temple. Comme le loup l’appelait à lui et disait que le sacrificateur l’immolerait au dieu, s’il le trouvait là : « Eh bien ! répondit l’agneau, je préfère être victime du dieu que de périr par toi. »

Cette fable montre que, si l’on est réduit à mourir, il vaut mieux mourir avec honneur.

Un loup affamé rôdait en quête de nourriture. Arrivé dans un certain endroit, il entendit un petit enfant qui pleurait et une vieille femme qui lui disait : « Ne pleure plus, sinon je te donne au loup à l’instant même. » Le loup pensant que la vieille disait vrai, s’arrêta et attendit longtemps. Quand le soir fut venu, il entendit de nouveau la vieille qui choyait le petit enfant et lui disait : « Si le loup vient ici, nous le tuerons, mon enfant. » En entendant ces mots, le loup se remit en route en disant : « Dans cette ferme on parle d’une façon, on agit d’une autre. »

Cette fable s’adresse aux hommes qui ne conforment pas leurs actes à leurs paroles.

Un loup, ayant avalé un os, allait partout cherchant qui le débarrasserait de son mal. Il rencontra un héron, et lui demanda moyennant salaire d’enlever l’os. Alors le héron descendit sa tête dans le gosier du loup, retira l’os, puis réclama le salaire convenu. « Hé ! l’ami, répondit le loup, ne te suffit-il pas d’avoir retiré ta tête saine et sauve de la gueule du loup, et te faut-il encore un salaire ? »

Cette fable montre que le plus grand service qu’on puisse attendre de la reconnaissance des méchants, c’est qu’à l’ingratitude ils n’ajoutent pas l’injustice.

Un loup, passant dans un champ, y trouva de l’orge ; mais ne pouvant en faire sa nourriture, il la laissa et s’en alla. Il rencontra un cheval et l’amena dans le champ ; il avait, disait-il, trouvé de l’orge ; mais, au lieu de la manger lui-même, il la lui avait gardée, vu qu’il avait du plaisir à entendre le bruit de ses dents. Le cheval lui répondit : « Hé ! l’ami, si les loups pouvaient user de l’orge comme nourriture, tu n’aurais jamais préféré tes oreilles à ton ventre. »

Cette fable montre que ceux qui sont naturellement méchants, même quand ils se targuent d’être bons, n’obtiennent aucune créance.

Un loup voyant un très gros chien attaché par un collier lui demanda : « Qui t’a lié et nourri de la sorte ? — Un chasseur, » répondit le chien. « Ah ! Dieu garde de cela le loup qui m’est cher ! Autant la faim qu’un collier pesant. »

Cette fable montre que dans le malheur on n’a même pas les plaisirs du ventre.

Un jour un loup, ayant enlevé un mouton dans un troupeau, l’emportait dans son repaire. Mais un lion, se trouvant sur son chemin, le lui ravit. Le loup se tenant à distance lui cria : « Tu es injuste de me prendre mon bien. » Le lion se mit à rire et dit : « Toi, en effet, tu l’as reçu justement d’un ami ! »

Pillards et brigands insatiables qui, en butte à quelque revers, se chamaillent entre eux, peuvent se reconnaître dans cette fable.

Un loup, étant devenu chef des autres loups, établit des lois générales portant que, tout ce que chacun aurait pris à la chasse, il le mettrait en commun et le partagerait également entre tous : de la sorte on ne verrait plus les loups, réduits à la disette, se manger les uns les autres. Mais un âne s’avança, et secouant sa crinière, dit : « C’est une belle pensée que son cœur a inspirée au loup. Mais comment se fait-il que toi-même tu aies serré dans ton repaire ton butin d’hier ? Apporte-le à la communauté et partage-le. » Le loup confondu abolit ses lois.

Ceux qui semblent légiférer selon la justice ne s’en tiennent pas eux-mêmes aux lois qu’ils établissent et décrètent.

Un loup suivait un troupeau de moutons sans lui faire de mal. Le berger tout d’abord se gardait de lui comme d’un ennemi et le surveillait peureusement. Mais comme le loup le suivait toujours sans faire la moindre tentative d’enlèvement, il pensa dès lors qu’il avait là un gardien plutôt qu’un ennemi aux aguets ; et comme il avait besoin de se rendre à la ville, il laissa ses moutons près du loup et partit. Le loup, pensant tenir l’occasion, se jeta sur le troupeau et en mit en pièces la plus grande partie. Quand le berger revint et vit son troupeau perdu, il s’écria : « C’est bien fait pour moi ; pourquoi confiais-je des moutons à un loup ? »

Il en est de même chez les hommes : quand on confie un dépôt à des gens cupides, il est naturel qu’on le perde.

Un loup gorgé de nourriture vit une brebis abattue sur le sol. Comprenant qu’elle s’était laissée tomber de frayeur, il s’approcha et la rassura, en lui promettant, si elle lui tenait trois propos vrais, de la laisser aller. Alors la brebis commença par lui dire qu’elle aurait voulu ne pas le rencontrer ; puis, qu’à défaut de cela, elle aurait voulu le trouver aveugle ; en troisième lieu, elle s’écria : « Puissiez-vous, méchants loups, périr tous de male mort, puisque, sans avoir souffert de nous aucun mal, vous nous faites méchamment la guerre ! » Le loup reconnut sa véracité et la laissa partir.

Cette fable montre que souvent la vérité a son effet même sur des ennemis.

Un loup, ayant été mordu et mis à mal par des chiens, s’était abattu sur le sol. Comme il était hors d’état de se procurer à manger, il aperçut une brebis et la pria de lui apporter à boire de la rivière voisine. « Si tu me donnes de quoi boire, je trouverai moi-même de quoi manger. — Mais si je te donne de quoi boire, répondit la brebis, c’est moi qui ferai les frais de ton repas. »

Cette fable vise le malfaiteur qui tend d’hypocrites embûches.

Une lampe enivrée d’huile, jetant une vive lumière, se vantait d’être plus brillante que le soleil. Mais un souffle de vent ayant sifflé, elle s’éteignit aussitôt. Quelqu’un la ralluma et lui dit : « Éclaire, lampe, et tais-toi : l’éclat des astres ne s’éclipse jamais. »

Il ne faut pas se laisser aveugler par l’orgueil, quand on est en réputation ou en honneur ; car tout ce qui s’acquiert nous est étranger.

Un devin, installé sur la place publique, y faisait recette. Soudain un quidam vint à lui et lui annonça que les portes de sa maison étaient ouvertes et qu’on avait enlevé tout ce qui était à l’intérieur. Hors de lui, il se leva d’un bond et courut en soupirant voir ce qui était arrivé. Un des gens qui se trouvaient là, le voyant courir, lui cria : « Hé ! l’ami, toi qui te piquais de prévoir ce qui doit arriver aux autres, tu n’as pas prévu ce qui t’arrive. »

On pourrait appliquer cette fable à ces gens qui règlent pitoyablement leur vie et qui se mêlent de diriger des affaires qui ne les regardent pas.

Les abeilles, enviant leur miel aux hommes, allèrent trouver Zeus et le prièrent de leur donner de la force pour tuer à coups d’aiguillon ceux qui s’approcheraient de leurs cellules. Zeus, indigné de les voir envieuses, les condamna à perdre leur dard, toutes les fois qu’elles en frapperaient quelqu’un, et à mourir après.

Cette fable peut s’appliquer aux envieux qui consentent à souffrir eux-mêmes des maux qu’ils font.

Un homme, ayant pénétré chez un éleveur d’abeilles, en son absence, avait dérobé miel et rayons. À son retour, l’éleveur, voyant les ruches vides, s’arrêta à les examiner. Mais les abeilles, revenant de picorer et le trouvant là, le piquèrent de leurs aiguillons et le maltraitèrent terriblement. « Méchantes bêtes, leur dit-il, vous avez laissé partir impunément celui qui a volé vos rayons, et moi qui vous soigne, vous me frappez impitoyablement ! »

Il arrive assez souvent ainsi que par ignorance on ne se méfie pas de ses ennemis, et qu’on repousse ses amis, les tenant pour suspects.

Des ménagyrtes avaient un âne qu’ils chargeaient de leurs bagages, quand ils se mettaient en route. Or un jour cet âne mourut de fatigue ; ils le dépouillèrent, firent de sa peau des tambourins, et ils s’en servirent. D’autres ménagyrtes les ayant rencontrés leur demandèrent où était leur âne. « Il est mort, dit-il ; mais il reçoit autant de coups qu’il en a jamais reçus de son vivant. »

Ainsi parfois les serviteurs, même affranchis de l’esclavage, ne sont pas délivrés des charges de la servitude.

Les rats et les belettes étaient en guerre. Or les rats, se voyant toujours battus, se réunirent en assemblée, et, s’imaginant que c’était faute de chefs qu’ils éprouvaient ces revers, ils se choisirent des stratèges et les élurent à main levée. Or ceux-ci, voulant être distingués des simples soldats, se façonnèrent des cornes et se les ajustèrent. La bataille s’étant livrée, il arriva que l’armée des rats eut le dessous. Alors les soldats s’enfuirent vers leurs trous, où ils pénétrèrent aisément ; mais les généraux, ne pouvant y entrer à cause de leurs cornes, furent pris et dévorés.

Ainsi souvent la vaine gloire est une cause de malheur.

Une mouche était tombée dans une marmite remplie de viande. Sur le point d’être noyée dans la sauce, elle se dit à elle-même : « J’ai mangé, j’ai bu, j’ai pris un bain ; la mort peut venir : il ne m’en chaut. »

Cette fable montre que les hommes supportent facilement la mort, quand elle survient sans douleur.

Du miel s’étant répandu dans un cellier, des mouches y volèrent et se mirent à le manger. C’était un régal si doux qu’elles ne pouvaient s’en détacher. Mais leurs pattes s’y étant engluées, elles ne purent prendre l’essor, et se sentant étouffer, elles dirent : « Malheureuses que nous sommes, nous périssons pour un instant de plaisir. »

C’est ainsi que la gourmandise est souvent la cause de bien des maux.

La fourmi d’à présent était autrefois un homme qui, adonné à l’agriculture, ne se contentait pas du produit de ses propres travaux ; il regardait d’un œil d’envie ceux des autres et ne cessait de dérober les fruits de ses voisins. Zeus indigné de sa cupidité le changea en l’animal que nous appelons fourmi. Mais pour avoir changé de forme, il n’a pas changé de caractère ; car aujourd’hui encore il parcourt les champs, ramasse le blé et l’orge d’autrui, et les met en réserve pour son usage.
Cette fable montre que les gens naturellement méchants ont beau être punis très sévèrement, ils ne changent pas pour cela de caractère.

Dans la saison d’été, une fourmi rôdant dans la campagne, ramassait des grains de blé et d’orge, et les mettait en réserve pour s’en nourrir en hiver. Un escarbot l’aperçut et s’étonna de la voir si laborieuse, elle qui travaillait au temps même où les autres animaux, débarrassés de leurs travaux, se donnent du bon temps. Sur le moment, la fourmi ne répondit rien ; mais plus tard, quand vint l’hiver et que la pluie détrempa les bouses, l’escarbot affamé vint demander à la fourmi l’aumône de quelque aliment. La fourmi lui dit alors : « Ô escarbot, si tu avais travaillé au temps où je prenais de la peine et où tu m’injuriais, tu ne manquerais pas à présent de nourriture. »

Pareillement les hommes qui, dans les temps d’abondance, ne se préoccupent pas de l’avenir, tombent dans une misère extrême, lorsque les temps viennent à changer.

Une fourmi pressée par la soif était descendue dans une source et, entraînée par le courant, elle était en train de se noyer. Une colombe, l’ayant aperçue, détacha un rameau d’un arbre et le jeta dans la source ; la fourmi monta dessus et fut sauvée. Sur ces entrefaites un oiseleur s’avança avec ses gluaux ajustés pour prendre la colombe. La fourmi s’en étant aperçue, mordit le pied de l’oiseleur, qui, sous le coup de la douleur, jeta ses gluaux et fit aussitôt envoler la colombe.

Cette fable montre qu’il faut payer de retour ses bienfaiteurs.

Un rat des champs avait pour ami un rat de maison. Le rat de maison invité par son ami s’empressa d’aller dîner à la campagne. Mais comme il n’avait à manger que de l’herbe et du blé, il dit : « Sais-tu bien, mon ami, que tu mènes une vie de fourmi ? Moi, au contraire, j’ai des biens en abondance. Viens avec moi, je les mets tous à ta disposition. » Ils partirent aussitôt tous les deux. Le rat de maison fit voir à son camarade des légumes et du blé, et avec cela des figues, un fromage, du miel, des fruits. Et celui-ci émerveillé le bénissait de tout son cœur, et maudissait sa propre fortune. Comme ils s’apprêtaient à commencer le festin, soudain un homme ouvrit la porte. Effrayés du bruit, nos rats se précipitèrent peureusement dans les fentes. Puis comme ils revenaient pour prendre des figues sèches, une autre personne vint chercher quelque chose à l’intérieur de la chambre. À sa vue, ils se précipitèrent encore une fois dans un trou pour s’y cacher. Et alors le rat des champs, oubliant la faim, soupira et dit à l’autre : « Adieu, mon ami, tu manges à satiété et tu t’en donnes à cœur joie, mais au prix du danger et de mille craintes. Moi, pauvret, je vais vivre en grignotant de l’orge et du blé, mais sans craindre ni suspecter personne. »
Cette fable montre qu’il vaut mieux mener une existence simple et paisible que de nager dans les délices en souffrant de la peur.

Un rat de terre, pour son malheur, se lia d’amitié avec une grenouille. Or la grenouille, qui avait de mauvais desseins, attacha la patte du rat à sa propre patte. Et tout d’abord ils allèrent sur la terre manger du blé ; ensuite ils s’approchèrent du bord de l’étang. Alors la grenouille entraîna le rat au fond, tandis qu’elle s’ébattait dans l’eau en poussant ses brekekekex. Et le malheureux rat, gonflé d’eau, fut noyé ; mais il surnageait, attaché à la patte de la grenouille. Un milan, l’ayant aperçu, l’enleva dans ses serres, et la grenouille enchaînée suivit et servit, elle aussi, de dîner au milan.

Même mort, on peut se venger ; car la justice divine à l’œil sur tout, et proportionne dans sa balance le châtiment à la faute.

Un naufragé, rejeté sur le rivage, s’était endormi de fatigue ; mais il ne tarda pas à s’éveiller, et, voyant la mer, il lui reprocha de séduire les hommes par son air tranquille ; puis, quand elle les a reçus sur ses eaux, de devenir sauvage et de les faire périr. La mer, ayant pris la forme d’une femme, lui dit : « Mais, mon ami, ce n’est pas à moi, c’est aux vents qu’il faut adresser tes reproches ; car moi, je suis naturellement telle que tu me vois à présent : ce sont les vents qui, tombant sur moi à l’improviste, me soulèvent et me rendent sauvage. »

De même nous ne devons pas rendre responsable l’auteur d’une injustice, quand il agit sur les ordres d’autrui, mais bien ceux qui ont autorité sur lui.

Deux jeunes garçons achetaient de la viande au même étal. Voyant le boucher occupé d’un autre côté, l’un d’eux déroba des abattis et les jeta dans le sein de l’autre. Le boucher, s’étant retourné et cherchant ces morceaux, accusa les deux garçons. Mais celui qui les avait pris jura qu’il ne les avait pas, et celui qui les avait, qu’il ne les avait pas pris. Devinant leur artifice, le boucher dit : « Vous pouvez m’échapper par un faux serment ; mais à coup sûr vous n’échapperez pas aux dieux. »

Cette fable montre que l’impiété du faux serment reste la même, quelque habileté qu’on mette à la sophistiquer.

Un jour un faon dit au cerf : « Père, tu es plus grand et plus vite que les chiens, et tu as de plus des cornes merveilleuses pour te défendre. Pourquoi donc fuis-tu ainsi devant eux ? » Le cerf répondit en riant : « C’est vrai, mon enfant, ce que tu dis là ; mais il y a une chose certaine, c’est que, lorsque j’entends l’aboiement d’un chien, aussitôt je me précipite je ne sais comment vers la fuite. »

Cette fable montre qu’aucune exhortation ne rassure un cœur naturellement lâche.

Un jeune prodigue, ayant mangé son patrimoine, ne possédait plus qu’un manteau. Il aperçut une hirondelle qui avait devancé la saison. Croyant le printemps venu, et qu’il n’avait plus besoin de manteau, il s’en alla le vendre aussi. Mais le mauvais temps étant survenu ensuite et l’atmosphère étant devenue très froide, il vit, en se promenant, l’hirondelle morte de froid. « Malheureuse, dit-il, tu nous as perdus, toi et moi du même coup. »

Cette fable montre que tout ce qu’on fait à contretemps est hasardeux.

Un malade, questionné sur son état par le médecin, répondit qu’il avait sué plus que de raison. « Cela va bien », dit le médecin. Questionné une seconde fois sur sa santé, il dit qu’il avait été pris de frisson et fortement secoué. « Cela va bien aussi », dit le médecin. Une troisième fois le médecin vint le voir, et le questionna sur sa maladie. Il répondit qu’il avait eu la diarrhée. « Cela va bien encore », dit le médecin, et il se retira. Un de ses parents étant venu le voir et lui demandant comment il allait : « Moi, répondit-il, je meurs à force d’aller bien. »

Il en est souvent ainsi : nos voisins, n’en jugeant que par les dehors, nous estiment heureux pour des choses qui nous causent intérieurement le plus vif chagrin.

La chauve-souris, la ronce et la mouette s’associèrent ensemble dans l’intention de s’adonner au commerce. En conséquence la chauve-souris emprunta de l’argent pour le mettre dans la communauté ; la ronce prit avec elle de l’étoffe, et la troisième associée, la mouette, acheta du cuivre ; puis elles appareillèrent. Mais une violente tempête étant survenue, le vaisseau chavira, et toute la cargaison fut perdue ; elles ne sauvèrent que leurs personnes. Aussi depuis ce temps, la mouette est toujours aux aguets sur les rivages, pour voir si la mer ne rejettera pas son cuivre quelque part ; la chauve-souris, craignant ses créanciers, ne se montre pas de jour et ne sort pour pâturer que la nuit ; enfin la ronce accroche les habits des passants, cherchant à reconnaître son étoffe.

Cette fable montre que nous revenons toujours aux choses où nous avons intérêt.

Une chauve-souris, étant tombée à terre, fut prise par une belette. Se voyant sur le point d’être tuée, elle demanda la vie. La belette lui dit qu’elle ne pouvait la relâcher ; car elle était de son naturel ennemie de tous les oiseaux. La chauve-souris répliqua qu’elle-même n’était pas un oiseau, mais une souris, et elle s’en tira par ce moyen. Dans la suite, étant tombée une seconde fois, elle fut prise par une autre belette, et la pria de ne point la manger. Celle-ci ayant répondu qu’elle détestait toutes les souris, la chauve-souris affirma qu’elle-même n’était pas une souris, mais une chauve-souris, et elle fut relâchée encore cette fois. Il arriva ainsi qu’à deux reprises, en changeant de nom, elle se sauva de la mort.

Cette fable montre qu’il ne faut pas s’en tenir toujours aux mêmes moyens, mais songer qu’en s’accommodant aux circonstances, on échappe souvent au danger.

Un jour les arbres se mirent en devoir d’élire un roi pour les commander, et ils dirent à l’olivier : « Règne sur nous. » Et l’olivier leur répondit : « Moi, que je renonce à la grasse liqueur si appréciée en moi par Dieu et par les hommes, pour aller régner sur les arbres ! » Et les arbres dirent au figuier : « Viens régner sur nous. » Et le figuier lui aussi répondit : « Moi, que je renonce à la douceur qui est en moi et à l’excellent fruit que je porte, pour aller régner sur les arbres ! » Et les arbres dirent à l’épine : « Viens régner sur nous. » Et l’épine répondit aux arbres : « Si vraiment vous m’oignez pour régner sur vous, venez vous mettre à l’abri sous moi ; sinon, qu’il sorte du feu de l’épine, et qu’il dévore les cèdres du Liban ! »

Un homme qui coupait du bois au bord d’une rivière avait perdu sa cognée. Aussi, ne sachant que faire, il s’était assis -sur la berge et pleurait. Hermès, ayant appris la cause de sa tristesse, le prit en pitié ; il plongea dans la rivière, en rapporta une cognée d’or et lui demanda si c’était celle qu’il avait perdue. L’homme lui ayant répondu que ce n’était pas celle-là, il plongea de nouveau et en rapporta une d’argent. L’homme ayant déclaré que celle-là non plus n’était pas la sienne, il plongea une troisième fois et lui rapporta sa propre cognée. L’homme affirma que c’était bien celle-là qu’il avait perdue. Alors Hermès, charmé de sa probité, les lui donna toutes les trois. Revenu près de ses camarades il leur conta son aventure. L’un d’eux se mit en tête d’en obtenir autant. Il se rendit au bord de la rivière et lança à dessein sa hache dans le courant, puis s’assit en pleurant. Alors Hermès lui apparut à lui aussi, et apprenant le sujet de ses pleurs, il plongea et lui rapporta aussi une cognée d’or, et lui demanda si c’était celle qu’il avait perdue. Et lui, tout joyeux, s’écria : « Oui, c’est bien elle. » Mais le dieu, ayant horreur de tant d’effronterie, non seulement garda la hache d’or, mais il ne lui rendit même pas la sienne.

Cette fable montre que, autant la divinité est favorable aux honnêtes gens, autant elle est hostile aux malhonnêtes.

Deux amis cheminaient sur la même route. Un ours leur apparut soudain. L’un monta vite sur un arbre et s’y tint caché ; l’autre, sur le point d’être pris, se laissa tomber sur le sol et contrefit le mort. L’ours approcha de lui son museau et le flaira partout ; mais l’homme retenait sa respiration ; car on dit que l’ours ne touche pas à un cadavre. Quand l’ours se fut éloigné, l’homme qui était sur l’arbre descendit et demanda à l’autre ce que l’ours lui avait dit à l’oreille. « De ne plus voyager à l’avenir avec des amis qui se dérobent dans le danger », répondit l’autre.

Cette fable montre que les amis véritables se reconnaissent à l’épreuve du malheur.

Des gens, qui voyageaient pour certaine affaire, rencontrèrent un corbeau qui avait perdu un œil. Ils tournèrent leurs regards vers lui, et l’un d’eux leur conseilla de rebrousser chemin ; c’était, à son avis, ce que voulait dire le présage. Mais un autre prenant la parole dit : « Comment cet oiseau pourrait-il nous prédire l’avenir, lui qui n’a même pas prévu, pour l’éviter, la perte de son œil ? »
Pareillement les hommes qui sont aveugles sur leurs propres intérêts sont mal qualifiés pour conseiller leur prochain.

Deux hommes voyageaient de compagnie. L’un d’eux ayant trouvé une hache, l’autre dit : « Nous avons trouvé une hache. — Ne dis pas, reprit le premier : nous avons trouvé, mais : tu as trouvé. » Quelques moments après, ils furent rejoints par ceux qui avaient perdu la hache, et celui qui l’avait, se voyant poursuivi, dit à son compagnon de route : « Nous sommes perdus. — Ne dis pas : nous sommes perdus, reprit celui-ci, mais : je suis perdu ; car, lorsque tu as trouvé la hache, tu ne m’as pas mis de moitié dans ta trouvaille. »

Cette fable montre que, si l’on n’a point de part aux heureux succès d’un ami, on ne lui est pas non plus fidèle dans le malheur.

En été, vers l’heure de midi, deux voyageurs, fatigués par l’ardeur du soleil, ayant aperçu un platane, se réfugièrent sous ses branches et, s’étendant à son ombre, se reposèrent. Or, ayant levé les yeux vers le platane, ils se dirent l’un à l’autre : « Voilà un arbre qui est stérile et inutile à l’homme. » Le platane prenant la parole : « Ingrats, dit-il, au moment même où vous jouissez de ma bienfaisance, vous me traitez d’inutile et de stérile. »

Il en est ainsi chez les hommes : certains sont si malchanceux que, même en obligeant leurs voisins, ils ne peuvent faire croire à leur bienfaisance.

Des voyageurs, cheminant sur le bord de la mer, arrivèrent sur une hauteur. De là voyant flotter au loin des broussailles, ils les prirent pour un grand vaisseau de guerre ; aussi attendirent-ils, pensant qu’il allait aborder. Mais les broussailles poussées par le vent s’étant rapprochées, ils crurent voir, non plus un vaisseau de guerre, mais un vaisseau de charge. Une fois arrivées au rivage, ils virent que c’étaient des broussailles, et se dirent entre eux : « Comme nous étions sots d’attendre une chose qui n’était rien ! »

Cette fable montre que certains hommes qui paraissent redoutables parce qu’ils sont inconnus, révèlent leur nullité à la première épreuve.

Un voyageur qui passait dans un désert rencontra une femme solitaire qui tenait ses yeux baissés. « Qui es-tu ? » demanda-t-il. « La Vérité », répondit-elle. « Et pour quel motif as-tu quitté la ville et habites-tu le désert ? » Elle répondit : « Parce que, dans les temps anciens, le mensonge ne se rencontrait que chez un petit nombre d’hommes ; maintenant il est chez tous, quoi qu’on entende et quoi qu’on dise. »

La vie devient mauvaise et pénible pour les hommes, lorsque le mensonge prévaut sur la vérité.

Un voyageur, qui avait un long trajet à faire, fit vœu, s’il trouvait quelque chose, d’en consacrer la moitié à Hermès. Or il trouva une besace où il y avait des amandes et des dattes. Il la ramassa, s’imaginant que c’était de l’argent, la secoua, et, voyant ce qu’elle renfermait, le mangea : puis, prenant les coquilles des amandes et les noyaux des dattes, il les plaça sur un autel en disant : « Je suis quitte, ô Hermès, de mon vœu ; car j’ai partagé avec toi le dehors et le dedans de ce que j’ai trouvé. »

Cette fable s’applique à l’avare qui, par cupidité, ruse même avec les dieux.

Un voyageur, ayant fait une longue route, et se trouvant recru de fatigue, se laissa tomber sur le bord d’un puits et s’endormit. Il allait à coup sûr tomber dedans, quand la Fortune, s’étant approchée de lui, l’éveilla et lui dit : « Hé, l’ami ! si tu étais tombé, ce n’est pas ton imprudence, c’est moi que tu en aurais accusée. »

C’est ainsi que beaucoup de gens, tombés dans le malheur par leur faute, en accusent les dieux.

Un jour les ânes excédés d’avoir toujours des fardeaux à porter et des fatigues à souffrir, envoyèrent des députés à Zeus, pour demander qu’il mît un terme à leurs travaux. Zeus, voulant leur montrer que la chose était impossible, leur dit qu’ils seraient délivrés de leur misère, quand ils auraient, en pissant, formé une rivière. Les ânes prirent au sérieux cette réponse, et depuis ce temps jusqu’à nos jours, quand ils voient quelque part de l’urine d’âne, ils s’arrêtent tout autour, eux aussi, pour pisser.

Cette fable montre qu’on ne peut rien changer à sa destinée.

Un homme qui avait dessein d’acheter un âne, le prit à l’essai, et l’ayant amené parmi ses ânes à lui, il le plaça devant le râtelier. Or l’âne, délaissant tous les autres, alla se mettre près du plus paresseux et du plus glouton. Comme il ne faisait rien, l’homme lui passa un licol, l’emmena et le rendit à son propriétaire. Celui-ci lui demandant si l’épreuve qu’il avait faite ainsi était probante, il répondit : « Moi, je n’ai nul besoin d’une autre épreuve : je suis sûr qu’il est tel que le camarade qu’il a choisi entre tous. »

Cette fable montre qu’on nous juge pareils à ceux dont nous aimons la compagnie.

Un âne sauvage ayant vu un âne domestique dans un endroit bien exposé au soleil, s’approcha pour le féliciter de son embonpoint et de la pâture dont il jouissait. Mais dans la suite l’ayant vu chargé d’un fardeau et suivi de l’ânier qui le frappait avec un gourdin, il s’écria : « Oh ! je ne te félicite plus ; car je vois que c’est au prix de grands maux que tu jouis de ton abondance. »

C’est ainsi qu’il n’y a rien d’enviable dans les avantages qu’accompagnent les dangers et les souffrances.

Un âne portant du sel traversait une rivière ; il glissa et tomba dans l’eau. Alors le sel se fondit, et il se releva plus léger, et fut enchanté de l’accident. Une autre fois, comme il arrivait au bord d’une rivière avec une charge d’éponges, il crut que, s’il se laissait tomber encore, il se relèverait plus léger, et il fit exprès de glisser. Mais il advint que les éponges ayant pompé l’eau, il ne put se relever et périt noyé.

Ainsi parfois les hommes ne se doutent pas que ce sont leurs propres ruses qui les précipitent dans le malheur.

Un homme, ayant mis une statue de dieu sur le dos d’un âne, le conduisait à la ville. Comme les passants se prosternaient devant la statue, l’âne, s’imaginant que c’était lui qu’on adorait, ne se tint plus d’orgueil ; il se mit à braire et il refusa d’avancer. L’ânier, devinant sa pensée, lui dit en le frappant de son gourdin : « Pauvre cervelle ! il ne manquait plus que cela, de voir un âne adoré des hommes. »

Cette fable montre que ceux qui font vanité des avantages d’autrui prêtent à rire à ceux qui les connaissent.

Un âne, ayant revêtu une peau de lion, faisait le tour du pays, effrayant les animaux. Il aperçut un renard et voulut l’effrayer aussi. Mais le renard, qui avait justement entendu sa voix auparavant, lui dit : « N’en doute pas, tu m’aurais fait peur à moi aussi, si je ne t’avais pas entendu braire. »

C’est ainsi que des gens sans éducation, qui, par leurs dehors fastueux, paraissent être quelque chose, se trahissent par leur démangeaison de parler.

L’âne trouvait le cheval heureux d’être nourri dans l’abondance et d’être bien soigné, tandis que lui n’avait même pas de paille en suffisance, alors qu’il était soumis à tant de travaux. Mais vint le temps de la guerre : le cheval dut porter un cavalier armé de pied en cap, et celui-ci le poussa dans tous les sens et le lança même au milieu des ennemis, où le cheval criblé de coups s’abattit. En voyant cela, l’âne changea d’avis et plaignit le cheval.

Cette fable montre qu’il ne faut pas envier les chefs ni les riches, mais penser à l’envie et aux dangers où ils sont en butte, et se résigner à la pauvreté.

Un coq paissait un jour en compagnie d’un âne. Comme un lion marchait sur l’âne, le coq poussa un cri, et le lion (on dit en effet qu’il a peur de la voix du coq) prit la fuite. L’âne, s’imaginant que, si le lion fuyait, c’était à cause de lui, n’hésita pas à lui courir sus. Quand il l’eut poursuivi jusqu’à une distance où la voix du coq n’arrivait plus, le lion se retourna et le dévora. Et lui disait en mourant : « Malheureux et insensé que je suis ! n’étant pas né de parents guerriers, pourquoi suis-je parti en guerre ? »

Cette fable montre que souvent on attaque un ennemi qui se fait petit à dessein et qu’on se fait ainsi tuer par lui.

Un âne et un renard, ayant lié société, sortirent pour chasser. Un lion se trouva sur leur chemin. Voyant le danger suspendu sur eux, le renard s’approcha du lion et s’engagea à lui livrer l’âne, s’il lui promettait la sûreté. Le lion ayant déclaré qu’il le laisserait aller, le renard amena l’âne dans un piège où il le fit tomber. Le lion, voyant que l’âne ne pouvait s’échapper, saisit d’abord le renard, et se tourna ensuite vers l’âne.

Pareillement ceux qui tendent des pièges à leurs associés se perdent souvent inconsciemment avec leurs victimes.

Un âne portant une charge de bois traversait un marais. Il glissa et tomba, et, ne pouvant se relever, il se mit à gémir et à se lamenter. Les grenouilles du marais, ayant entendu ses gémissements, lui dirent : « Hé, l’ami ! qu’aurais-tu fait, si tu étais resté ici aussi longtemps que nous, toi qui, tombé ici pour un moment, pousses de pareils soupirs ? »

Nous pourrions appliquer cette fable à un homme efféminé qui s’impatiente des moindres peines, alors que nous-mêmes, nous supportons facilement des maux plus grands.

Un âne et un mulet cheminaient ensemble. Or l’âne, voyant que leurs charges à tous deux étaient égales, s’indignait et se plaignait que le mulet, jugé digne d’une double ration, ne portât pas plus que lui. Mais, quand ils eurent fait un peu de chemin, l’ânier s’apercevant que l’âne n’en pouvait plus, lui ôta une partie de sa charge et la mit sur le mulet. Quand ils eurent fait encore un bout de chemin, voyant l’âne encore plus épuisé, il lui retira une autre partie de sa charge, et enfin prenant le reste, il l’ôta à l’âne et le fit passer sur le mulet. Alors celui-ci tournant les yeux vers son camarade lui dit : « Eh bien ! mon ami, ne trouves-tu pas juste qu’on m’honore d’une double ration ? »

Nous aussi, ce n’est point par le commencement, mais par la fin que nous devons juger de la condition de chacun.

Un âne était au service d’un jardinier. Comme il mangeait peu, tout en travaillant beaucoup, il pria Jupiter de le délivrer du jardinier et de le faire vendre à un autre maître. Zeus l’exauça et le fit vendre à un potier. Mais il fut de nouveau mécontent, parce qu’on le chargeait davantage et qu’on lui faisait porter l’argile et la poterie. Aussi demanda-t-il encore une fois à changer de maître, et il fut vendu à un corroyeur. Il tomba ainsi sur un maître pire que les autres. En voyant quel métier faisait ce maître, il dit en soupirant : « Hélas ! malheureux que je suis ! j’aurais mieux fait de rester chez mes premiers maîtres ; car celui-ci, à ce que je vois, tannera aussi ma peau. »

Cette fable montre que les serviteurs ne regrettent jamais tant leurs premiers maîtres que quand ils ont fait l’épreuve des suivants.

Un âne, qui avait une plaie au dos, paissait dans une prairie. Un corbeau se posa sur lui et piqua sa plaie à coups de bec. L’âne sous l’impression de la douleur se mit à braire et à sauter. L’ânier, qui était à quelque distance, éclata de rire. Un loup qui passait le vit et se dit à lui-même : « Malheureux que nous sommes ! il suffit qu’on nous aperçoive, pour qu’on nous donne la chasse ; mais que ceux-ci osent s’approcher, on leur fait risette. » Cette fable fait voir que les gens malfaisants se reconnaissent à leur mine même et à première vue.

Un homme qui avait un chien de Malte et un âne jouait constamment avec le chien. Allait-il dîner dehors, il lui rapportait quelque friandise, et, quand le chien s’approchait la queue frétillante, il la lui jetait. Jaloux, l’âne accourut vers le maître, et se mettant à gambader, il l’atteignit d’un coup de pied. Le maître en colère le fit reconduire à coups de bâton et attacher au râtelier.

Cette fable montre que tous ne sont pas faits pour les mêmes choses.

Un âne et un chien faisaient route ensemble. Ils trouvèrent à terre une lettre cachetée. L’âne la ramassa, rompit le sceau, l’ouvrit et la lut de manière à être entendu du chien. Il y était question de pâture. je veux dire de foin, d’orge et de paille. Le chien s’ennuyait pendant la lecture de l’âne ; aussi lui dit-il : « Descends de quelques lignes, très cher ; peut-être trouveras-tu dans la suite quelque chose qui se rapporte à la viande et aux os. » L’âne ayant parcouru tout l’écrit, sans rien trouver de ce que le chien cherchait, celui-ci reprit la parole : « Jette ce papier à terre, ami ; car il est tout à fait insignifiant. »

Un âne conduit par un ânier, après avoir fait un peu de chemin, quitta la route unie et prit à travers des lieux escarpés. Comme il allait tomber dans un précipice, l’ânier, le saisissant par la queue, essaya de le faire retourner ; mais comme l’âne tirait vigoureusement en sens inverse, l’ânier le lâcha et dit : « Je te cède la victoire : car c’est une mauvaise victoire que tu remportes. »

La fable s’applique au querelleur.

Un âne, ayant entendu chanter des cigales, fut charmé de leur voix harmonieuse et leur envia leur talent. « Que mangez-vous, leur demanda-t-il, pour faire entendre un tel chant ? — De la rosée », dirent-elles. Dès lors l’âne attendit la rosée, et mourut de faim.

Ainsi, quand on a des désirs contraires à la nature, non seulement on n’arrive pas à les satisfaire, mais encore on encourt les plus grands malheurs.

Un âne revêtu d’une peau de lion passait aux yeux de tous pour un lion et il faisait fuir les hommes, il faisait fuir les bêtes. Mais le vent, ayant soufflé, enleva la peau, et l’âne resta nu. Alors tout le monde lui courut sus et le frappa à coups de bâton et de massue.

Es-tu pauvre et simple particulier, ne prends pas modèle sur les riches : ce serait t’exposer au ridicule et au danger ; car nous ne pouvons nous approprier ce qui nous est étranger.

Un âne broutait la chevelure piquante d’un paliure. Un renard l’ayant aperçu lui adressa ces railleuses paroles : « Comment avec une langue si tendre et si molle peux-tu mâcher et manger un mets si dur ? »

Cette fable s’adresse à ceux dont la langue profère des propos durs et dangereux.

Un âne, qui paissait dans un pré, voyant un loup s’avancer vers lui, fit semblant de boiter. Le loup, s’étant approché, lui demanda pourquoi il boitait. Il répondit qu’il avait, en franchissant une clôture, mis le pied sur une épine, et il le pria de la lui enlever d’abord, après quoi il pourrait le manger, sans se percer la bouche en mâchant. Le loup se laissa persuader. Tandis qu’il soulevait la patte de l’âne et fixait toute son attention sur le sabot, l’âne, d’un coup de pied dans la gueule, lui fit sauter les dents. Et le loup mal en point dit : « Je l’ai bien mérité ; car pourquoi, ayant appris de mon père le métier de boucher, ai-je voulu, moi, tâter de la médecine ? »

Ainsi les hommes qui entreprennent des choses hors de leur compétence s’attirent naturellement des disgrâces.

Un oiseleur avait tendu ses filets auxquels il avait attaché des pigeons domestiques. Puis il s’était éloigné, et il observait à distance ce qui allait se passer. Des pigeons sauvages s’approchèrent des captifs et se firent prendre dans les lacets. L’oiseleur accourut et se mit en devoir de les saisir. Comme ils adressaient des reproches aux pigeons domestiques, parce que, étant de la même tribu, ils ne les avaient pas avertis du piège, ceux-ci répondirent : « Nous avons plus d’intérêt à nous garder du mécontentement de nos maîtres qu’à complaire à nos parents. »

Ainsi en est-il des serviteurs : il ne faut pas les blâmer, quand, par amour de leurs maîtres, ils manquent aux lois de l’amitié envers leurs propres parents.

Un oiseleur dressait des pièges aux oiseaux. Une alouette huppée, l’ayant aperçu de loin, lui demanda ce qu’il faisait. Il répondit qu’il fondait une ville, puis il s’éloigna et se cacha. L’alouette, se fiant aux discours de cet homme, s’approcha et fut prise au lacet. L’oiseleur étant accouru, elle lui dit : « Hé ! l’homme, si c’est une ville comme celle-ci que tu fondes, tu n’y trouveras pas beaucoup d’habitants. »

Cette fable montre que si l’on déserte les maisons et les villes, c’est surtout quand les maîtres y sont incommodes.

Un oiseleur, ayant tendu des panneaux aux grues, surveillait de loin sa chasse. Or une cigogne s’étant posée parmi les grues, il accourut et la prit elle aussi avec elles. Comme elle le priait de la relâcher, disant que, loin de nuire aux hommes, elle leur était même fort utile, car elle prenait et mangeait les serpents et autres reptiles, l’oiseleur répondit : « Si vraiment tu n’es pas méchante, tu mérites en tout cas un châtiment pour t’être posée parmi des méchants. »

Nous aussi nous devons fuir la société des méchants, afin qu’on ne nous prenne pas nous-mêmes pour les complices de leur méchanceté.

Un hôte se présenta un peu tard chez un oiseleur. Celui-ci, n’ayant rien à lui offrir, s’en fut vers sa perdrix privée, et il allait la tuer, quand elle lui reprocha son ingratitude : « Ne lui était-elle pas fort utile en appelant les oiseaux de sa tribu et en les lui livrant ? et il allait la tuer ! — Raison de plus pour t’immoler, répondit-il, puisque tu n’épargnes même pas ceux de ta tribu. »

Cette fable montre que ceux qui trahissent leurs parents sont odieux non seulement à leurs victimes, mais encore à ceux à qui ils les livrent.

Une poule, ayant trouvé des œufs de serpent, se mit à les couver soigneusement et, après les avoir chauffés, les fit éclore. Une hirondelle, qui l’avait vue faire, lui dit : « Sotte que tu es, pourquoi élèves-tu des êtres qui, une fois grands, commenceront par toi la première le cours de leurs méfaits ? »

La perversité ne se laisse pas apprivoiser, même à force de bienfaits.

Un homme avait une belle poule qui pondait des œufs d’or. Croyant qu’elle avait dans le ventre une masse d’or, il la tua et la trouva semblable aux autres poules. Il avait espéré trouver la richesse d’un seul coup, et il s’était privé même du petit profit qu’il tenait.

Cette fable montre qu’il faut se contenter de ce qu’on a, et éviter la cupidité insatiable.

Un jour la queue du serpent eut la prétention de conduire et de marcher la première. Les autres organes lui dirent : « Comment nous conduiras-tu, toi qui n’a pas d’yeux ni de nez, comme les autres animaux ? » Mais ils ne la persuadèrent pas, et à la fin le bon sens eut le dessous. La queue commanda et conduisit, tirant à l’aveugle tout le corps, tant qu’enfin elle tomba dans un trou plein de pierres, où le serpent se meurtrit l’échine et tout le corps. Alors elle s’adressa, flatteuse et suppliante, à la tête : « Sauve-nous, s’il te plaît, maîtresse ; car j’ai eu tort d’entrer en lutte avec toi. »

Cette fable confond les hommes rusés et pervers qui se révoltent contre leurs maîtres.

Un serpent et une belette se battaient dans une maison. Les rats du logis, toujours dévorés par l’un et par l’autre, les voyant combattre, sortirent tranquillement de leurs trous. A la vue des rats, les combattants, renonçant à s’entrebattre, se tournèrent contre eux.

Il en est de même dans les États : les gens qui s’immiscent dans les querelles des démagogues deviennent sans s’en douter les victimes des deux partis.

Un serpent et un crabe séjournaient dans le même endroit. Le crabe se comportait envers le serpent en toute simplicité et bienveillance ; mais le serpent était toujours sournois et pervers. Le crabe l’exhortait sans cesse à se conduire envers lui avec droiture et à imiter sa manière à lui : il n’était pas écouté. Aussi, indigné, il observa le moment où le serpent dormait, le saisit à la gorge et le tua. En le voyant étendu mort, il dit : « Hé ! camarade, ce n’est pas maintenant que tu es mort, que tu aurais dû être droit, c’est lorsque je t’y exhortais : alors tu n’aurais pas été mis à mort. »

On pourrait justement conter cette fable à propos des hommes qui pendant leur vie sont méchants envers leurs amis et leur rendent service après leur mort.

Un serpent, souvent foulé aux pieds par les hommes, alla s’en plaindre à Zeus. Zeus lui dit : « Si tu avais frappé le premier qui t’a marché dessus, le deuxième n’aurait pas essayé d’en faire autant. »

Cette fable montre que ceux qui tiennent tête aux premiers qui les attaquent se rendent redoutables aux autres.

Des bergers sacrifiant une chèvre à la campagne invitèrent leurs voisins. Parmi eux se trouvait une pauvresse qui amena son enfant avec elle. Comme le festin s’avançait, l’enfant qui avait l’estomac gonflé de viande, se sentant mal, s’écria : « Mère, je vomis mes entrailles. — Non pas les tiennes,mon petit, dit la mère, mais celles que tu as mangées. »

Cette fable s’adresse au débiteur, qui est toujours prêt à prendre le bien d’autrui ; vient-on à le lui réclamer, il s’en afflige autant que s’il payait de son bien propre.

Un enfant faisait la chasse aux sauterelles devant le rempart. Après en avoir pris un certain nombre, il vit un scorpion ; il le prit pour une sauterelle, et, creusant la main, il allait l’y déposer, quand le scorpion, dressant son dard, lui dit. : « Plût aux dieux que tu l’eusses fait ! du même coup tu aurais perdu les sauterelles que tu as prises. »

Cette fable nous enseigne qu’il ne faut pas se comporter de même envers les bons et envers les méchants.

Une femme interrogea les devins sur son fils en bas âge. Ils prédirent qu’il serait tué par un corbeau. Epouvantée de cette prédiction, elle fit construire une arche très grande et l’y enferma, pour l’empêcher d’être tué par un corbeau ; et tous les jours, à des heures déterminées, elle l’ouvrait et donnait à l’enfant la nourriture qu’il lui fallait. Or un jour qu’elle avait ouvert l’arche et remettait le couvercle, l’enfant avait imprudemment passé la tête dehors. Il arriva ainsi que le corbeau de l’arche, s’abattant sur le haut de sa tête, le tua.

Un vieillard craintif avait un fils unique plein de courage et passionné pour la chasse ; il le vit en songe périr sous la griffe d’un lion. Craignant que le songe ne fût véritable et ne se réalisât, il fit aménager un appartement élevé et magnifique, et il y garda son fils. Il avait fait peindre, pour le distraire, des animaux de toute sorte, parmi lesquels figurait aussi un lion. Mais la vue de toutes ces peintures ne faisait qu’augmenter l’ennui du jeune homme. Un jour s’approchant du lion : « Mauvaise bête, s’écria-t-il, c’est à cause de toi et du songe menteur de mon père qu’on m’a enfermé dans cette prison pour femmes. Que pourrais-je bien te faire ? » A ces mots, il asséna sa main sur le mur, pour crever l’œil du lion. Mais une pointe s’enfonça sous son ongle et lui causa une douleur aiguë et une inflammation qui aboutit à une tumeur. La fièvre s’étant allumée là-dessus le fit bientôt passer de vie à trépas. Le lion, pour n’être qu’un lion en peinture, n’en tua pas moins le jeune homme, à qui l’artifice de son père ne servit de rien.

Cette fable montre qu’il faut accepter bravement le sort qui nous attend, et ne point ruser avec lui, car on ne saurait y échapper.

Un enfant déroba à l’école les tablettes de son camarade et les apporta à sa mère, qui, au lieu de le corriger, le loua. Une autre fois il vola un manteau et le lui apporta ; elle le loua encore davantage. Dès lors, croissant en âge et devenu jeune homme, il se porta à des vols plus importants. Mais un jour il fut pris sur le fait ; on lui lia les mains derrière le dos, et on le conduisit au bourreau. Sa mère l’accompagnait et se frappait la poitrine. Il déclara qu’il voulait lui dire quelque chose à l’oreille. Aussitôt qu’elle se fut approchée, il lui saisit le lobe de l’oreille et le trancha d’un coup de dents. Elle lui reprocha son impiété : non content des crimes qu’il avait déjà commis, il venait encore de mutiler sa mère ! Il répondit : « Si au temps ou je t’apportai pour la première fois la tablette que j’avais volée, tu m’avais battu, je n’en serais pas venu au point où j’en suis : on ne me conduirait pas à la mort. »
Cette fable montre que ce qu’on ne réprime pas dès le début grandit et s’accroît.

Un jour un enfant qui se baignait dans une rivière se vit en danger d’être noyé. Ayant aperçu un voyageur, il l’appela à son secours. Le voyageur lui reprocha sa témérité. « Ah ! répliqua le jeune garçon, tire-moi d’affaire tout de suite ; plus tard, quand tu m’auras sauvé, tu me feras des reproches. »

Cette fable s’adresse aux gens qui fournissent contre eux-mêmes des raisons de les maltraiter.

Un homme qui avait reçu un dépôt d’un ami projetait de l’en frustrer. Comme cet ami l’appelait à prêter serment, pris d’inquiétude, il partit pour la campagne. Arrivé aux portes de la ville, il aperçut un boiteux qui sortait et lui demanda qui il était et où il allait. Celui-ci ayant répondu qu’il était le Serment et qu’il marchait contre les impies, il lui posa une seconde question : « Après combien de temps reviens-tu d’habitude dans les villes ? - Au bout de quarante ans, parfois même de trente », répondit-il. Dès lors l’homme jura le lendemain sans hésiter qu’il n’avait pas reçu le dépôt. Mais il tomba sur le Serment, qui l’emmena pour le précipiter. L’homme récrimina : « Tu m’as déclaré, dit-il, que tu ne revenais qu’au bout de trente ans, et tu ne m’accordes même pas un jour de sécurité. » Le Serment repartit : « Sache bien que, quand on veut m’agacer, j’ai l’habitude de revenir le jour même. »

Cette fable montre que Dieu n’a pas de jour fixe pour punir les impies.

Un homme qui avait deux filles avait donné en mariage l’une à un jardinier, l’autre à un potier. Au bout de quelque temps, il alla voir la femme du jardinier, et lui demanda comment elle allait et où en étaient leurs affaires. Elle répondit que tout marchait à souhait et qu’elle n’avait qu’une chose à demander aux dieux, de l’orage et de la pluie pour arroser les légumes. Peu de temps après il se rendit chez la femme du potier et lui demanda comment elle se trouvait. Elle répondit que rien ne leur manquait et qu’elle n’avait qu’un vœu à former, c’est que le temps restât clair et le soleil brillant, pour sécher la poterie. — « Si toi, reprit le père, tu demandes le beau temps, et ta sœur, le mauvais, avec laquelle de vous formerai-je des vœux ? »

De même si l’on fait en mème temps deux entreprises contraires, on les manque naturellement toutes les deux.

Un homme, ayant pris à la chasse une perdrix, allait la tuer. Elle le supplia en ces termes : « Laisse-moi vivre ; à ma place je te ferai prendre beaucoup de perdrix. — Raison de plus pour te tuer, repartit l’homme, puisque tu veux prendre au piège tes camarades et tes amis. »

Cette fable montre que l’homme qui trame des machinations contre ses amis tombera lui-mème dans les embûches et le danger.

Une colombe pressée par la soif, ayant aperçu un cratère d’eau peint sur un tableau, crut qu’il était véritable. Aussi, descendant à grand bruit, elle se heurta imprudemment contre le tableau, et se cassa le bout des ailes. Il arriva ainsi qu’elle tomba à terre et fut prise par quelqu’un qui était là.

Pareillement certains hommes, entraînés par la violence de leurs passions, s’engagent inconsidérément dans les entreprises et courent, sans qu’ils s’en doutent, à leur perte.

Une colombe nourrie dans un pigeonnier faisait grand bruit de sa fécondité. Une corneille ayant entendu ses vanteries, lui dit : « Hé ! l’amie, cesse de te vanter de cela ; car plus tu feras d’enfants, plus tu auras d’esclavages à déplorer. »

Il en est de même des serviteurs : les plus malheureux sont ceux qui ont le plus d’enfants dans la servitude.

Jadis Prométhée, ayant façonné les hommes, suspendit à leur cou deux sacs, l’un qui renferme les défauts d’autrui, l’autre, leurs propres défauts, et il plaça par devant le sac des défauts d’autrui, tandis qu’il suspendit l’autre par derrière. Il en est résulté que les hommes voient d’emblée les défauts d’autrui, mais n’aperçoivent pas les leurs.

On peut appliquer cette fable au brouillon, qui, aveugle dans ses propres affaires, se mêle de celles qui ne le regardent aucunement.

Un singe perché sur un arbre élevé, ayant vu des pêcheurs jeter la seine dans une rivière, observait leur manière de faire. A un moment donné, laissant là leur seine, ils se retirèrent à quelque distance pour prendre leur déjeuner. Alors le singe, descendant de son arbre, essaya de faire comme eux ; car cette bête a, dit-on, l’instinct d’imitation. Mais quand il eut touché aux filets, il se prit dedans et se vit en danger d’être noyé. Il se dit alors : « Je n’ai que ce que je mérite : pourquoi ai-je entrepris de pêcher, sans avoir appris ? »

Cette fable montre qu’à se mêler d’affaires que l’on n’entend pas, non seulement on ne gagne rien, mais encore on se nuit.

C’est la coutume, quand on voyage par mer, d’emmener avec soi de petits chiens de Malte et des singes pour se distraire pendant la traversée. Or donc un homme qui naviguait avait avec lui un singe. Quand on arriva à Sunion, promontoire de l’Attique, une tempête violente se déchaîna. Le navire chavira et tout le monde se sauva à la nage, le singe comme les autres. Un dauphin l’aperçut, et, le prenant pour un homme, il se glissa sous lui, le soutint et le transporta vers la terre ferme. Comme il arrivait au Pirée, entrepôt maritime d’Athènes, il demanda au singe s’il était Athénien. Le singe ayant répondu que oui, et qu’il avait même à Athènes des parents illustres, il lui demanda s’il connaissait aussi le Pirée. Le singe, croyant qu’il voulait parler d’un homme, dit que oui, et que c’était même un de ses intimes amis. Indigné d’un tel mensonge, le dauphin le plongea dans l’eau et le noya.

Cette fable vise les hommes qui, ne connaissant pas la vérité, pensent en faire accroire aux autres.

Dans une assemblée des bêtes un singe se leva et dansa. Il fut fort apprécié et applaudi de toute l’assistance. Un chameau envieux voulut gagner les mêmes éloges. Il se leva et essaya lui aussi de danser ; mais il f‍it mainte extravagance, et les animaux indignés le mirent dehors à coups de bâton.

Cette fable convient à ceux qui par envie rivalisent avec de meilleurs qu’eux.

Les guenons, dit-on, mettent au monde deux petits ; de ces deux enfants elles chérissent et nourrissent l’un avec sollicitude, quant à l’autre, elles le haïssent et le négligent. Or il arrive par une fatalité divine que le petit que sa mère soigne avec complaisance et serre avec force dans ses bras meurt étouffé par elle, et que celui qu’elle néglige arrive à une croissance parfaite.

Cette fable montre que la fortune est plus puissante que toute notre prévoyance.

Des gens, étant montés dans un bateau, prirent la mer. Quand ils furent au large, une violente tempête se déclara,

et le vaisseau fut sur le point de sombrer. L’un des passagers déchirant ses vêtements invoquait les dieux de son pays avec larmes et gémissements et leur promettait des offrandes en actions de grâces, s’ils sauvaient le vaisseau. Mais la tempête ayant cessé et le calme étant revenu, ils se mirent à faire bonne chère, à danser, à sauter, comme des gens qui viennent d`échapper à un danger inattendu. Alors le pilote, esprit solide, leur dit : « Mes amis, réjouissons-nous, mais comme des gens qui reverront peut-être la tempête. »

La fable enseigne qu’il ne faut pas trop s’enorgueillir de ses succès, et qu’il faut songer à l’inconstance de la fortune.

Un homme riche vint demeurer près d’un tanneur. Comme il ne pouvait supporter la mauvaise odeur, il le pressait sans cesse de déménager. Le tanneur le remettait toujours, promettant de déménager dans quelque temps. Comme leur débat se renouvelait sans cesse, il advint à la longue que l’homme riche s’habitua à l’odeur et cessa d’importuner le tanneur.

Cette fable montre que l’habitude adoucit les désagréments.

Un homme riche avait deux filles. L’une d’elles étant morte, il loua des pleureuses à gages. L’autre fille dit à sa mère : « Nous sommes bien malheureuses : c’est nous que regarde le deuil et nous ne savons pas faire les lamentations, tandis que ces femmes, qui ne nous sont rien, se frappent et pleurent avec tant de violence. » La mère lui répondit : « Ne t’étonne pas, mon enfant, si ces femmes font des lamentations si pitoyables : elles les font pour de l’argent. »
C’est ainsi que certains hommes, poussés par l’intérêt, n’hésitent pas à trafiquer des malheurs d’autrui.

Un berger qui paissait un troupeau sur le bord de la mer, en voyant le calme des flots, se mit en tête de naviguer pour faire du commerce. En conséquence il vendit ses moutons, acheta des dattes et mit à la voile. Mais une violente tempête survint, et, le vaisseau risquant de sombrer, il jeta à la mer toute sa cargaison, et se sauva à grand’peine avec son vaisseau vide. Assez longtemps après, un homme vint à passer. Comme il admirait le calme de la mer, qui était en effet tranquille à ce moment, notre berger, prenant la parole, lui dit : « Ah ! mon brave, elle a encore envie de dattes, à ce qu’il paraît : c’est pour cela qu’elle se montre tranquille. »

Cette fable montre que les accidents sont des leçons pour les hommes.

Un berger qui avait un très gros chien avait l’habitude de lui jeter les agneaux mort-nés et les moutons qui venaient à mourir. Or un jour que le troupeau était resté à l’étable, le berger vit son chien qui s’approchait des brebis et les caressait. « Hé ! toi, lui cria-t-il, puisse le sort que tu souhaites à celles-ci retomber sur ta tête ! »

Cette fable est à l’adresse des flatteurs.

Un berger ayant trouvé des louveteaux les nourrit avec beaucoup de soin, dans l’espoir que, devenus grands, non seulement ils lui garderaient ses propres moutons, mais encore en enlèveraient d’autres et les lui apporteraient. Mais aussitôt qu’ils eurent achevé leur croissance, ils saisirent une occasion où ils n’avaient rien à craindre et commencèrent par ravager son troupeau. Quand il s’aperçut du désastre, il gémit et dit : « Je l’ai bien mérité ; pourquoi ai-je sauvé, petits, des animaux qu’il faudrait tuer, même adultes. »

Sauver les méchants, c’est leur donner à notre insu des forces qu’ils tourneront contre nous d’abord.

Un berger, ayant trouvé un louveteau nouveau-né, l’emporta et l’éleva avec ses chiens. Quand le louveteau fut devenu grand, si parfois un loup enlevait un mouton, il lui donnait la chasse lui aussi, avec les chiens. Quand parfois les chiens ne pouvaient pas atteindre le loup et par suite s’en retournaient, lui le suivait jusqu’à ce qu’il le joignît, et qu’il eût, en tant que loup, sa part de la proie ; puis il prenait le chemin du retour. Si un loup n’emportait pas de mouton hors de la bergerie, lui-même en tuait un en cachette et le mangeait avec les chiens. Mais à la fin le berger devina et comprit ce qui se passait, et tua le loup en le pendant à un arbre.

Cette fable montre qu’un naturel pervers ne peut donner un caractère honnête.

Un berger, ayant trouvé un petit loup, le nourrit ; puis, quand il fut devenu louveteau, il lui apprit à enlever des moutons dans les troupeaux du voisinage. Le loup une fois dressé lui dit : « Maintenant que tu m’as habitué à voler, prends garde qu’il ne te manque beaucoup de tes moutons. »
Les gens que la nature a faits redoutables, une fois dressés à la rapine et au vol, ont souvent fait plus de mal à leurs maîtres qu’aux étrangers.

Un berger, ayant conduit ses moutons dans un bois de chênes, aperçut un gros chêne chargé de glands ; il étendit son manteau par dessous, puis monta dessus et secoua les fruits. Les moutons, mangeant les glands, mangèrent aussi par mégarde le manteau. Le berger, étant descendu, et voyant le méfait, s’écria : « Méchantes bêtes, vous donnez aux autres de la laine pour se vêtir, et à moi qui vous nourris, vous m’avez enlevé même mon manteau. »

Ainsi beaucoup de gens obligent sottement ceux qui ne leur sont rien, et se conduisent vilainement envers leurs proches.

Un berger, qui faisait rentrer ses moutons à l’intérieur de l’étable, allait enfermer avec eux un loup, si son chien, qui s’en était aperçu, ne lui eût dit : « Comment toi, qui tiens à la vie de tes moutons, fais-tu entrer ce loup avec eux ? »

La société des méchants est propre a causer les plus grands dommages et même la mort.

Un berger, qui menait son troupeau assez loin du village, se livrait constamment à la plaisanterie que voici. Il appelait les habitants du village à son secours, en criant que les loups attaquaient ses moutons. Deux ou trois fois les gens du village s’effrayèrent et sortirent précipitamment, puis ils s’en retournèrent mystifiés. Mais à la fin il arriva que des loups se présentèrent réellement. Tandis qu’ils saccageaient le troupeau, le berger appelait au secours les villageois ; mais ceux-ci, s’imaginant qu’il plaisantait comme d’habitude, se soucièrent peu de lui. Il arriva ainsi qu’il perdit ses moutons.

Cette fable montre que les menteurs ne gagnent qu’une chose, c’est de n’être pas crus, même lorsqu’ils disent la vérité.

Tous les dieux ayant décidé de se marier, chacun prit la femme que le sort lui assignait. Le dieu de la guerre, étant resté pour le dernier tirage, ne trouva plus que la Violence. Il s’en éprit follement et l’épousa. Voilà pourquoi il l’accompagne partout ou elle va.

Partout où paraît la violence, dans une cité ou parmi les nations, la guerre et les combats marchent aussitôt après elle.

Une rivière, apercevant une peau de bœuf qu’elle charriait dans ses eaux, lui demanda son nom. « Je m’appelle Dure », répondit-elle. Alors précipitant son courant sur elle : « Cherche un autre nom, dit-elle ; car je t’aurai vite rendue molle. »

Souvent les audacieux et les orgueilleux sont terrassés par les malheurs de la vie.

Une brebis que l’on tondait maladroitement dit à celui qui la tondait : « Si c’est ma laine que tu veux, coupe plus haut ; si au contraire c’est ma chair que tu désires, tue-moi une fois pour toutes, et cesse de me torturer pièce à pièce. »

Cette fable s’applique à ceux qui sont maladroits dans leur métier.

Prométhée, sur l’ordre de Zeus, avait modelé les hommes et les bêtes. Mais Zeus, ayant remarqué que les bêtes étaient beaucoup plus nombreuses, lui commanda d’en faire disparaître un certain nombre en les métamorphosant en hommes. Prométhée exécuta cet ordre. Il en résulta que ceux qui n’ont pas reçu la forme humaine dès le début ont bien une forme d’homme, mais une âme de bête.

La fable s’applique aux hommes balourds et brutaux.

Une amarante qui avait poussé à côté d’une rose lui dit : « Comme tu es belle ! tu fais les délices des dieux et des hommes. Je te félicite de ta beauté et de ton parfum. — Moi, répondit la rose, je ne vis que peu de jours, amarante, et même si l’on ne me cueille pas, je me flétris ; mais toi, tu es toujours en fleur et tu restes toujours aussi jeune. »

Il vaut mieux durer en se contentant de peu que vivre dans le luxe quelque temps, pour subir ensuite un changement de fortune et même la mort.

Le grenadier, le pommier et l’olivier contestaient de la qualité de leurs fruits. Comme la discussion s’animait, une ronce qui les écoutait de la haie voisine, dit : « Mes amis, cessons enfin de nous quereller. »

C’est ainsi que, dans les temps où les meilleurs citoyens sont divisés, les gens de rien essayent de se donner de l’importance.

Un trompette qui sonnait le rassemblement ayant été pris par les ennemis, criait : « Ne me tuez pas, camarades, à la légère et sans raison ; car je n’ai tué aucun de vous, et, en dehors de ce cuivre, je ne possède rien. » Mais on lui répondit : « Raison de plus pour que tu meures, puisque, ne pouvant toi-même faire la guerre, tu excites tout le monde au combat. »

Cette fable montre que les plus coupables sont ceux qui excitent au mal les princes méchants et cruels.

Une taupe — la taupe est un animal aveugle — disait à sa mère qu’elle voyait clair. Sa mère, pour l’éprouver, lui donna un grain d’encens, et lui demanda ce que c’était : « C’est un caillou, dit-elle. — Mon enfant, reprit la mère, non seulement tu es privée de la vue, mais encore tu as perdu l’odorat. »

Pareillement certains fanfarons promettent l’impossible et sont convaincus d’impuissance dans les cas les plus simples.

Un sanglier, posté près d’un arbre, aiguisait ses défenses. Un renard lui demanda pour quelle raison, quand ni chasseur ni danger ne le pressaient, il affilait ses défenses. « Ce n’est pas pour rien, dit-il, que je le fais ; car si le danger vient à me surprendre, je n’aurai pas alors le loisir de les aiguiser ; mais je les trouverai toutes prêtes à faire leur office. »

Cette fable enseigne qu’il ne faut pas attendre le danger pour faire ses préparatifs.

Le sanglier et le cheval partageaient le même pâtis. Comme le sanglier à chaque instant détruisait l’herbe et troublait l’eau, le cheval, voulant se venger de lui, recourut à l’aide d’un chasseur. Mais celui-ci ayant déclaré qu’il ne pouvait lui prêter main-forte que s’il consentait à recevoir un frein et à le prendre lui-même sur son dos, le cheval se soumit à toutes ses exigences. Alors le chasseur monté sur son dos mit le sanglier hors de combat, et, emmenant le cheval chez lui, l’attacha au râtelier.

Ainsi bien des gens, en voulant, sous le coup d’une colère aveugle, se venger de leurs ennemis, se jettent sous le joug d’autrui.

La truie et la chienne faisaient assaut d’injures. La truie jurait par Aphrodite qu’elle déchirerait la chienne à belles dents. La chienne lui répondit ironiquement ; « C’est bien fait à toi de nous jurer par Aphrodite : il apparaît bien qu’elle t’aime de toute sa tendresse, elle qui refuse absolument d’admettre dans son temple celui qui a goûté à ta chair impure. — Cela même est une preuve de plus que la déesse me chérit, puisqu’elle repousse absolument quiconque me tue ou me maltraite de quelque façon que ce soit. Quant à toi, tu sens mauvais, aussi bien de ton vivant qu’après ta mort. »

Cette fable montre que les orateurs avisés tournent adroitement à leur éloge les injures de leurs ennemis.

Des guêpes et des perdrix, pressées par la soif, vinrent trouver un laboureur, pour lui demander à boire, promettant, en échange d’un peu d’eau, de lui rendre un service, les perdrix en bêchant sa vigne, et les guêpes en en faisant le tour pour écarter les voleurs avec leurs aiguillons. Le laboureur répondit : « Mais j’ai deux bœufs qui me font tout sans rien promettre : il vaut donc mieux que je leur donne qu’à vous. »

Cette fable s’adresse aux hommes corrompus qui promettent des services et causes de grands dommages.

Un jour une guêpe se posta sur la tête d’un serpent, et le tourmenta, en le piquant sans relâche avec son aiguillon. Le serpent, fou de douleur, ne pouvant se venger de son ennemi, mit sa tête sous la roue d’un chariot et mourut ainsi avec la guêpe.

Cette fable montre que certaines gens ne reculent pas à l’idée de mourir avec leurs ennemis.

Un taureau poursuivi par un lion se réfugia dans un antre où se trouvaient des chèvres sauvages. Frappé et encorné par elles, il leur dit : « Si j’endure vos coups, ce n’est pas que j’aie peur de vous, mais je crains celui qui se tient à l’entrée de la caverne. »

C’est ainsi que souvent la crainte d’un plus fort nous fait supporter les outrages d’un moins fort que nous.

Le paon se moquait de la grue et critiquait sa couleur. « Moi, disait-il, je suis vêtu d’or et de pourpre ; toi, tu ne portes rien de beau sur tes ailes. — Mais moi, répliqua la grue, je chante tout près des astres et je m’élève dans les hauteurs du ciel ; toi, comme les coqs, tu marches sur le sol, avec les poules. »

Il vaut mieux être illustre sous un vêtement pauvre que de vivre sans gloire, en se panadant dans la richesse.

Les oiseaux délibéraient sur le choix d’un roi. Le paon prétendit se faire nommer roi à cause de sa beauté, et les oiseaux allaient voter pour lui, quand le choucas s’écria : « Mais si, quand tu régneras, l’aigle nous donne la chasse, quel secours pourrons-nous attendre de toi ? »

Cette fable montre qu’il ne faut pas blâmer ceux qui, prévoyant les périls futurs, prennent leurs précautions à l’avance.

Une cigale chantait sur un arbre élevé. Un renard qui voulait la dévorer imagina la ruse que voici. Il se plaça en face d’elle, il admira sa belle voix et il l’invita à descendre : il désirait, disait-il, voir l’animal qui avait une telle voix. Soupçonnant le piège, la cigale arracha une feuille et la laissa tomber. Le renard accourut, croyant que c’était la cigale. « Tu te trompes, compère, lui dit-elle, si tu as cru que je descendrais : je me défie des renards depuis le jour où j’ai vu dans la fiente de l’un d’eux des ailes de cigale. »

Les malheurs du voisin assagissent les hommes sensés.

C’était en hiver ; leur grain étant mouillé, les fourmis le faisaient sécher. Une cigale qui avait faim leur demanda de quoi manger. Les fourmis lui dirent : « Pourquoi, pendant l’été, n’amassais-tu pas, toi aussi, des provisions ? — Je n’en avais pas le temps, répondit la cigale : je chantais mélodieusement. » Les fourmis lui rirent au nez : « Eh bien ! dirent-elles, si tu chantais en été, danse en hiver. »

Cette fable montre qu’en toute affaire il faut se garder de la négligence, si l’on veut éviter le chagrin et le danger.

Une muraille, percée brutalement par une cheville, criait : « Pourquoi me perces-tu, moi qui ne t’ai fait aucun mal ? — Ce n’est pas moi, dit la cheville, qui suis la cause de ce que tu souffres, mais celui qui me frappe violemment par derrière. »

Un habile archer monta dans la montagne pour y chasser. Tous les animaux s’enfuirent ; seul, le lion le provoqua au combat. L’homme lui lança un trait et l’ayant atteint, lui dit : « Vois quel est mon messager, après quoi j’irai à toi moi aussi. » Le lion blessé se mit à fuir. Cependant un renard lui cria d’avoir confiance et de ne pas fuir. Le lion lui répondit : « Tu ne m’en imposeras pas ; s’il a un messager si amer, quand il viendra lui-même, que ferai-je ? »

C’est au début qu’il faut examiner la fin et dès lors assurer son salut.

Au temps où la vigne jette ses pousses, un bouc en broutait les bourgeons. La vigne lui dit : « Pourquoi m’endommages-tu ? N’y a-t-il plus d’herbe verte ? Je n’en fournirai pas moins tout le vin nécessaire, lorsqu’on te sacrifiera. »

Cette fable confond les gens ingrats et qui veulent voler leurs amis.

Les hyènes, dit-on, changent de nature chaque année et deviennent alternativement mâles et femelles. Or un jour une hyène mâle prit à l’égard d’une hyène femelle une posture contre nature. Celle-ci répondit : « Si tu fais cela, camarade, songe que tu subiras bientôt le même traitement. »

C’est ce que pourrait dire au magistrat en charge celui qui doit lui succéder, s’il avait à souffrir de lui quelque indignité.

On dit que les hyènes changent de nature tous les ans et deviennent alternativement mâles et femelles. Or une hyène, apercevant un renard, lui reprochait de la repousser, alors qu’elle voulait devenir son amie. « Ce n’est pas à moi qu’il faut t’en prendre, repartit le renard, mais à ta nature, qui fait que j’ignore si j’aurai en toi une amie ou un ami. »

Ceci vise l’homme ambigu.

La truie et la chienne disputaient de fécondité. La chienne prétendait que, seule de tous les quadrupèdes, elle avait des portées courtes. « Quand tu dis cela, répartit la truie, reconnais que tu n’enfantes que des aveugles. »

Cette fable montre qu’une œuvre se juge, non sur la vitesse, mais sur la perfection de l’exécution.

Un homme chauve qui portait perruque cheminait à cheval. Le vent, s’étant mis à souffler, lui enleva ses faux cheveux, et les témoins de sa mésaventure se mirent à rire aux éclats. Alors le cavalier, arrêtant son cheval, dit : « Qu’y a-t-il d’étrange à ce que des cheveux qui ne sont pas les miens me quittent, eux qui ont abandonné même leur vrai propriétaire, avec qui la nature les a fait naître ? »

Il ne faut pas nous affliger des accidents qui nous surviennent : ce qu’on ne tient pas de sa nature dès sa naissance, on ne saurait le garder : nus nous sommes venus, nus nous partirons.

Un avare convertit en or toute sa fortune, en fit un lingot et l’enfouit en un certain endroit, où il enfouit du même coup son cœur et son esprit. Tous les jours il venait voir son trésor. Or un ouvrier l’observa, devina ce qu’il en était, et, déterrant le lingot, l’emporta. Quelque temps après, l’avare vint aussi, et, trouvant la place vide, il se mit à gémir et à s’arracher les cheveux. Un quidam l’ayant vu se lamenter ainsi, et s’étant informé du motif, lui dit : « Ne te désespère pas ainsi, l’ami ; car, tout en ayant de l’or, tu n’en avais pas. Prends donc une pierre, mets-la à la place de l’or, et figure-toi que c’est ton or ; il remplira pour toi le même office ; car à ce que je vois, même au temps où l’or était là, tu ne faisais pas usage de ton bien. »

Cette fable montre que la possession n’est rien, si la jouissance ne s’y joint.

Un forgeron avait un chien. Quand il forgeait, le chien dormait ; mais quand il se mettait à manger, le chien venait se mettre à ses côtés. Le forgeron, lui ayant jeté un os, lui dit : « Malheureuse bête, toujours endormie, quand je frappe mon enclume, tu dors ; mais quand je remue les mâchoires, aussitôt tu t’éveilles. »

Les gens endormis et paresseux qui vivent du travail d’autrui se reconnaîtront en cette fable.

L’Hiver un jour se moqua du Printemps et le chargea de reproches. Aussitôt qu’il paraissait, personne ne restait plus en repos ; l’un allait aux prés ou aux bois, se plaisant à cueillir des fleurs, des lis et des roses, à les faire tourner devant ses yeux et à les mettre dans ses cheveux ; l’autre s’embarquait, et, à l’occasion, traversait la mer pour aller voir d’autres hommes ; personne ne prenait plus souci des vents ni des averses épaisses. « Moi, ajoutait-il, je ressemble à un chef et à un monarque absolu. Je veux qu’on tourne ses yeux, non pas vers le ciel, mais en bas vers la terre, et je force les gens à craindre et à trembler, et à se résigner parfois à garder le logis toute la journée. — C’est pour cela, répondit le Printemps, que les hommes ont plaisir à être délivrés de ta présence. De moi, au contraire, le nom même leur semble beau, le plus beau, par Zeus, de tous les noms. Aussi, quand j’ai disparu, ils gardent mon souvenir, et, dès que j’ai paru, ils sont pleins d’allégresse. »

Une hirondelle qui avait fait son nid dans un tribunal était sortie, quand un dragon vint en rampant dévorer ses petits. À son retour, trouvant le nid vide, elle gémit, outrée de douleur. Une autre hirondelle, pour la consoler, lui dit qu’elle n’était pas la seule qui eût eu le malheur de perdre ses petits. « Ah ! répondit-elle, je me désole moins d’avoir perdu mes enfants que parce que je suis victime d’un crime en un lieu où les victimes de la violence trouvent assistance. »
Cette fable montre que souvent les malheurs sont plus pénibles à supporter, quand ils viennent de ceux dont on les attendait le moins.

L’hirondelle et la corneille disputaient de leur beauté. Aux raisons de l’hirondelle la corneille répliqua : « Ta beauté ne fleurit que pendant la saison du printemps, tandis que moi, j’ai un corps qui défie même l’hiver. »

Cette fable montre qu’il vaut mieux prolonger sa vie que d’être beau.

Comme le gui venait de pousser, l’hirondelle, sentant le danger qui menaçait les oiseaux, les assembla tous et leur conseilla avant tout de couper le gui aux chênes qui le portaient ; mais si cela leur était impossible, de se réfugier chez les hommes et de les supplier de ne pas recourir à l’effet de la glu pour les attraper. Les oiseaux se moquèrent d’elle, la traitant de radoteuse. Alors elle se rendit chez les hommes et se présenta en suppliante. Ceux-ci lui firent accueil à cause de son intelligence et lui donnèrent place dans leurs demeures. Il arriva ainsi que les autres oiseaux furent pris et mangés par les hommes, et que seule, l’hirondelle, leur protégée, nicha même sans crainte dans leurs maisons.

Cette fable montre que, quand on prévoit l’avenir, on échappe naturellement aux dangers.

L’hirondelle disait à la corneille : « Moi, je suis vierge, et athénienne, et princesse, et fille du roi d’Athènes », et elle raconta en outre comment Térée lui avait fait violence et lui avait coupé la langue. La corneille repartit : « Que serait-ce, si tu avais ta langue, alors que l’ayant perdue, tu fais tant de commérages ! »

A force de mentir, les vantards témoignent contre eux-mêmes.

Une tortue pria un aigle de lui apprendre à voler. L’aigle lui remontrant qu’elle n’était pas faite pour le vol, loin de là ! elle n’en devint que plus pressante en sa prière. Alors il la prit dans ses serres, l’enleva en l’air, puis la lâcha. La tortue tomba sur des rochers et fut fracassée.

Cette fable montre que souvent, en voulant rivaliser avec d’autres, en dépit des plus sages conseils, on se fait tort à soi-même.

La tortue et le lièvre disputaient qui était le plus vite. En conséquence ils fixèrent un jour et un endroit et se séparèrent. Or le lièvre, confiant dans sa vitesse naturelle, ne se pressa pas de partir ; il se coucha au bord de la route et s’endormit ; mais la tortue, qui avait conscience de sa lenteur, ne cessa de courir, et, prenant ainsi l’avance sur le lièvre endormi, elle arriva au but et gagna le prix.

Cette fable montre que souvent le travail l’emporte sur les dons naturels, si on les néglige.

Des oies et des grues picoraient dans la même prairie. Des chasseurs parurent : les grues, légères, s’envolèrent ; mais les oies, retardées par la pesanteur de leurs corps, furent prises.

Il en est ainsi chez les hommes : quand une ville est en proie à la guerre, les pauvres se déplacent et se sauvent facilement d’un pays dans un autre et conservent leur liberté ; mais les riches retenus par le poids excessif de leurs richesses deviennent souvent esclaves.

Un pot de terre et un pot de cuivre étaient emportés par le courant d’une rivière. Le pot de terre dit au pot de cuivre : « Nage loin de moi, pas à mes côtés ; car si tu me touches, je vole en éclats, même si je m’approche de toi sans le vouloir. »

La vie n’est pas sûre pour le pauvre qui a pour voisin un prince rapace.

Un homme, ayant acheté un perroquet, le laissa libre en sa maison. Le perroquet, qui était apprivoisé, sauta et se percha sur le foyer, et de là se mit à caqueter d’une manière plaisante. Une chatte, l’ayant vu, lui demanda qui il était et d’où il venait. Il répondit : « Le maître vient de m’acheter. — Et tu oses, bête effrontée entre toutes, reprit la chatte, tu oses, tout nouveau venu, pousser de pareils cris, tandis qu’à moi, née à la maison, les maîtres m’interdisent de crier ! et si parfois cela m’arrive, ils se fâchent et me jettent à la porte. — Va te promener, ma belle dame ; il n’y a pas de comparaison à faire entre nous ; ma voix n’agace pas les maîtres comme la tienne. »

Cette fable convient aux critiques malveillants toujours prêts à jeter le blâme sur les autres.

Un jour une puce alla d’un saut se poster sur un doigt de pied d’un athlète malade, et tout en sautant elle lui fit une morsure. L’athlète en colère préparait ses ongles pour l’écraser ; mais elle prit son élan, et d’un saut, un de ces sauts dont elle a l’habitude, elle lui échappa et évita la mort. Alors l’athlète dit en soupirant : « O Héraclès, si c’est ainsi que tu me secours contre une puce, quelle aide puis-je attendre de toi contre mes adversaires ? »

Cette fable nous enseigne que nous aussi nous ne devons pas appeler tout de suite les dieux pour des bagatelles inoffensives, mais pour des nécessités plus pressantes.

Un jour une puce incommodait un homme sans relâche. Il l’attrapa et lui dit : « Qui es-tu, toi qui t’es repue de tous mes membres, en me piquant à tort et à travers ? » Elle répondit : « C’est notre façon de vivre ; ne me tue pas ; car je ne puis pas faire grand mal. » L’homme se mit à rire et lui dit : « Tu vas mourir tout de suite, et de ma propre main ; car quel que soit le mal, petit ou grand, il faut absolument l’empêcher de se produire. »

Cette fable montre qu’il ne faut pas avoir pitié d’un méchant, quel qu’il soit, fort ou faible.

Un jour la puce faisait au bœuf cette question : « Que t’a donc fait l’homme pour que tu le serves tous les jours, et cela, grand et brave comme tu l’es ? Moi, au contraire, je déchire impitoyablement sa chair et je bois son sang à pleine bouche. » Le bœuf répondit : « J’ai de la reconnaissance à la race des hommes ; car ils m’aiment et me chérissent, et me frottent souvent le front et les épaules. — Hélas ! reprit la puce, pour moi ce frottement qui te plaît est le pire des malheurs, quand il m’arrive par hasard d’être prise entre leurs mains. »

Les fanfarons de paroles se laissent confondre même par un homme simple.


Ressources

Ésope illustré. Inventaire raisonné des cycles iconographiques de la Vie d’Ésope (1476-1687)

Ésope, quel modèle pour le prince ?

Fabulæ Æsopiæ, non Æsopi. Recherche sur la terminologie fabulaire jusqu’à Phèdre

La fable ésopique grecque a-t-elle eu des origines populaires ?

La fable et l’image avant La Fontaine. Orientation bibliographique

La femme dans les fables de l’Antiquité

La Fontaine et les Fables d’Ésope, avec les figures de Sadeler (1689)

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