Le Nourrisson des Muses favorisé du Soleil Fénelon (1651 - 1714)

Le Soleil, ayant laissé le vaste tour du ciel en paix, avait fini sa course, et plongé ses chevaux fougueux dans le sein des ondes de l’Hespérie. Le bord de l’horizon était encore rouge comme la pourpre, et enflammé des rayons ardents qu’il y avait répandus sur son passage. La brûlante Canicule desséchait la terre ; toutes les plantes altérées languissaient ; les fleurs ternies penchaient leurs têtes, et leurs tiges malades ne pouvaient plus les soutenir ; les Zéphyrs mêmes retenaient leur douces haleines ; l’air que les animaux respiraient était semblable à de l’eau tiède. La nuit, qui répand avec ses ombres une douce fraîcheur, ne pouvait tempérer la chaleur dévorante que le jour avait causée : elle ne pouvait verser sur les hommes abattus et défaillants, ni la rosée qu’elle fait distiller quand Vesper brille à la queue des autres étailes, ni cette moisson de pavots qui font sentir les charmes du sommeil à toute la nature fatiguée. Le Soleil seul, dans le sein de Téthys, jouissait d’un profond repos : ensuite, quand il fut obligé de remonter sur son char attelé par les Heures, et devancé par l’Aurore qui sème son chemin de roses, il aperçut tout l’Olympe couvert de nuages ; il vit les restes d’une tempête qui avait effrayé les mortels pendant toute la nuit. Les nuages étaient encore empestés de l’odeur des vapeurs soufrées qui avaient allumé les éclairs et fait gronder le menaçant tonnerre ; les vents séditieux, ayant rompu leurs chaînes et forcé leurs cachots profonds, mugissaient encore dans les vastes plaines de l’air ; des torrents tombaient des montagnes dans tous les vallons. Celui dont l’œil plein de rayons anime toute la nature voyait de toutes parts, en se levant, le reste d’un cruel orage. Mais ce qui l’émut davantage, il vit un jeune nourrisson des Muses qui lui était fort cher, et à qui la tempête avait dérobé le sommeil lorsqu’il commentait déjà à étendre ses sombres ailes sur ses paupières. Il fut sur le point de ramener ses chevaux en arrière, et de retarder le jour, pour rendre le repos à celui qui l’avait perdu. Je veux, dit-il, qu’il dorme : le sommeil rafraîchira son sang, apaiser sa bile, lui donnera la santé et la force dont il aura besoin pour imiter les travaux d’Hercule ; lui inspirera je ne sais quelle douceur tendre qui pourrait seule lui manquer. Pourvu qu’il dorme, qu’il rie, qu’il adoucisse son tempérament, qu’il aime les jeux de la société, qu’il prenne plaisir à aimer les hommes et à se faire aimer d’eux, toutes les grâces de l’esprit et du corps viendront en foule pour l’orner.

Fable 23




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