En délestant la fureur d’amasser,
Enfants, craignez aussi le défaut tout contraire,
Car celui de trop dépenser
Mène bientôt à la misère.
Voulez-vous faire un jour du bien ?
Songez dès la jeunesse à ne prodiguer rien.

Le luxe, ainsi que l’indigence,
Empêche d’exercer, hélas ! la charité :
Ce qu’on donne à la vanité
Est perdu pour la bienfaisance.

Aimant fort à donner, mais pouvant donner peu,
Un homme quêtait par la ville
Pour un parent dont les biens et l’asile
Avaient été dévorés par le feu :
Chacun oblige à sa manière.

Mais, chose pour lui singulière !
Tous ceux sur lesquels il comptait,
Ou rejetaient sa touchante prière,
Ou lui donnaient fort peu : chacun représentait
De sa maison les frais immenses,
De ses valets, de ses chevaux,
Toutes les énormes dépenses :
D’une femme il fallait payer tous les joyaux,
Pour cette autre, faire une emplette,
Du jeu surtout acquitter une dette,
Si bien qu’il ne restait jamais
Assez d’argent pour des bienfaits
Dont l’une eût été satisfaite.
Notre homme, désolé, frappe enfin au hasard
A des maisons d’apparence chétive :
Dans la dernière, il était déjà lard,
Et qu’entend-il lorsqu’il arrive ?
Un maître grondant avec feu
Une domestique étourdie,
Qui se riait de son économie.
« Ah ! de ce que je dis, vous vous faites un jeu :
Vous sortirez d’ici, Marie,
Ou bien vous y suivrez mes lois.
Quoi ! vous voulez qu’une allumette
Ne serve qu’une seule fois,
Lorsque pour deux fois elle est faite ! »
Le monsieur qui faisait la quête
Soupire et dit : « Ah ! dans cette maison,
Eh ! mon Dieu ! que pourrai-je faire ?
Cet homme n’est qu’un Arpagon :
Il va me renvoyer sans doute avec colère. »
Or, en tremblant, il expose l’affaire.
— « Je puis vous offrir dix écus,
Dit l’autre, les voici : je n’ai que peu d’aisance,
Sans cela je ferais bien plus
Pour empêcher d’un voisin l’indigence. »
— « Quoi, Monsieur, quelle bienfaisance !
Je dois l’avouer, en entrant
Je n’ai point eu cette espérance.
Je vous croyais bien différent… »
— « Vous m’avez entendu ? … Sachez le secret de ma vie :
Aimant sur l’indigence à verser mes bienfaits,
Il me faut pour goûter des plaisirs si parfaits,
Recourir à l’économie. »





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