« Quand pourrons-nous nager dans une onde tranquille ?
Serons-nous donc contraints, jusqu'au jour de la mort,
À lutter, par un triste effort,
Contre les flots de ce fleuve indocile ?
De cascade en cascade il dévale des monts,
En torrent écumeux roule dans les vallons,
Objets de la céleste haine,
Contre ces flots fougueux, dont le cours nous entrain,
Que faire, mes amis » ? C'est, dit-on, en ces mots j
Qu'une carpe, un beau jour, haranguait des barbeaux
Personne cependant ne répond au que faire,
Et la carpe poursuit comme un docteur en chaire :
» Heureux celui qui, loin du tumulte des flots,
Dans les eaux d'un étang vit au sein du repos.
Un vivier du bonheur est l'éternel asile :
Un poisson, dans ses eaux, philosophe, tranquille,
Dans sa bourbe, à loisir, se plonge tout entier.
O puissant Jupiter mets-nous dans un vivier ! »
Jupiter, de nos vœux rit souvent le premier
Et nous exauce en sa colère.
Il exauça notre commère
Va pêcheur tend ses lacs et vous prend bel et beau,
La prêcheuse, son auditoire,
Sans en excepter un barbeau.
Puis, dans certain vivier, à ce que dit l'histoire,
II déposa le tout. Rendons grâces aux dieux,
Jupiter exauce nos vœux,
Dit la carpe.—'Attendez quelques moments, Madame
Et vous allez changer de gamme,
Reprend l'un des vieux habitants
De ces nouvelles eaux : le pêcheur, ses enfants
Vont bientôt nous rendre visite,
Dans un vivier, inutile est la fuite :
Implorez, croyez-moi, l'assistance d'un dieu,
Non pour rester, mais bien pour sortir de ce lien,
Car enfin, s'il faut vous le dire ;
Etes-vous des plus gros, vous serez mis au bleu ;
Pour nous autres petits, gare la poêle à frire.
La carpe, à ce discours, se repent, mais trop tard ;
Ce n'était plus saison de rire,
Vers le fleuve natal elle tourne un regard
Et prononce ces mots que recueillit un sage :
La liberté vaut mieux, même au sein de l'orage,
Que le calme de l'esclavage.
LE POISSON DU LAC, fable de M. P.L. Guiguené, membre de l'Institut de France, en réponse à la précédente
Dans un lac aux eaux limpides,
À la surface d'argent,
Un poisson devenu grand,
En trouvait les bords arides.,
Les ondes sans mouvement
Et les plaisirs insipides.
A ses compagnons timides
Il disait journellement :
Notre lac est un couvent
A ses nageoires avides
Il fallait, apparemment,
Toutes les plaines humides,
Tout le liquide clément.
Un fleuve à Ponde agitée,
Sortant de ce lue si doux,
Commençait sur des cailloux
Sa course précipitée,
C'est bien là ce qu'il me faut,
Dit le poisson ; et d'un saut
Le voilà de l'eau donnante
Elance dans l'eau courante.
D'abord tout, lui parait beau,
Que ces rives sont charmantes,
Sinueuses, verdoyantes !
Qu'elle court vite cette eau !
Je n'ai qu'à jouir, à boire ;
Sous un seul coup de nageoire
Je vais droit comme un bateau.
Bref, tout lui plaît, tout le charme ;
Son esprit est sans alarme
Ni doute sur l'avenir ;
Et dans le bruit de cette onde,
Le lac et sa paix profonde
Sont loin de son souvenir.
Mais tout-à-coup, ô surprise !
Le fleuve après cent détours,
Interrompu dans son cours,
Entre des rochers se brise ;
Et, dans des gouffres sans fonds,
Tombant à flots vagabonds,
De gouffre en gouffre.résonne,
Mugit, écume, bouillonne.
Le poisson tout interdit,
Que ce fracas avertit,
Voudrait pouvair en arrière
Retourner : de la rivière
Voudrait remonter le lit ;
Mais trop tard : un flot l'emporte,
Un tourbillon l'étourdit.
Où la cascade est plus forte,
Où les rocs sont plus aigus,
C'est là qu'il tombe. Il n'est plus...
De vos foyers pacifiques,
Vous qu'on voit à tout moment
Vous jeter étourdiment
Dans les tempêtes publiques,
Dans les torrens politiques,
Nous savons qu'assez souvent
Il vous en arrive autant.