Le petit Poisson rouge qui marche à reculons Stop (1825 - 1899)

Un pêcheur, au bord d'un ruisseau,
Tenait par la taille, - oh ! sans que l'on en rougisse
Je puis le dire, — une belle Écrevisse
Qu'il venait de prendre au cerceau.
« Ah ! disait-il, l'étrange bête !
Quand tous les animaux, l'espèce humaine en tête,
Ont leur squelette dans le corps,
Celui-ci le porte au dehors !
Et, pour comble de ridicule,
Au lieu d'avancer il recule !

— Excusez, monsieur le pêcheur,
Lui répondit doucement l'Écrevisse ;
Vous vous faites l'écho d'une vulgaire erreur
Digne de feu monsieur de La Palice,
Et dont rit de bon cœur le monde des poissons :
Nous ne reculons pas. lorsque nous avançons !
Après tout, reculer, est-ce chose si folle
Dont la gent crustacée ait le seul monopole ?
En affaire, en guerre, en amour,
Chez vous, la reculade est à l'ordre du jour.
Pour l'orateur vaincu, c'est, je crois, s'interrompre ;
Pour les poltrons, c'est se montrer prudent ;
Chez Gâtechair cela s'appelle : rompre ;
Les amoureux se rendent leurs serments.
En politique même affaire :
Qu'un ministère ballotté
Fasse un pas d'un certain côté,
Il en fera demain, s'il peut, deux en arrière.
Enfin, pour vous prouver par des faits éclatants
Qu'il est bon de savoir se retirer à temps,
Je vous quitte ! » A ces mots brusquement elle frappe
De sa queue aux rudes anneaux
Les doigts du bon pêcheur, qui la lâche j elle échappe,

Et sur le vert talus qu'abritent les roseaux
Glissant, la croupe la première,
Va se plonger dans la rivière.
La moralité n'est pas loin ;
De la trouver, lecteur, je te laisse le soin.

Fable 63




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