Il ne faut pas dire : Fontaine Stop (1825 - 1899)

Il était une fois un garçon fort honnête
Pour qui le célibat était rempli d'appas,
Et qui ne pouvait pas se mettre dans la tête
Qu'un homme sain d'esprit osât sauter le pas :
- C'est ainsi que, dans son langage,
Il appelait le mariage.—
Il avait sur ce point des principes savants
Et connaissait, s'il eût fallu l'en croire,
L'habituelle et lamentable histoire
De plus de cent époux tant défunts que vivants.
Quel feu roulant de mots et d'épigrammes
Sur les maris ainsi que sur leurs femmes !
Son esprit malin et pointu
S'en donnait sur ce thème à bouche que veux-tu.
Les mamans possédant des filles
Étaient, on peut bien le penser"
L'objet de sa terreur ; il n'osait pas danser
De crainte qu'entre deux quadrilles
L'inexorable Hymen ne le vînt enlacer.
Comme il avait peur de lui-même,
Il veillait sur son cœur avec un soin extrême,
N'ignorant pas que, par plus d'un détour,
Un jeune citoyen que l'on nomme l'Amour
Peut vous faire arriver devant Monsieur le Maire ;
Bref, pour entrer dans pareille galère,
Il fallait être, selon lui,
Abandonné du ciel et de la terre ;
Plutôt que de se laisser faire,
Au bout du monde il aurait fui.

Deux beaux yeux, sans plus d'artifice,
Jetèrent bas son édifice ;
Mon homme dut, en moins de quinze jours,
— Sauter le pas — comme un novice,
Sans trompettes ni tambours.
Fort peu de temps après — la catastrophe —
Un de ses amis l'aborda
Par cette cruelle apostrophe :
Eh quoi ! ce serait toi ! oui-da !
Toi marié! J'ose à peine le croire !
Le conjungo, si j'ai bonne mémoire,
Était pourtant l'objet de ton mépris ;
Et maintenant te voilà pris !
Tu n'auras pas mûri, la chose est bien certaine,
Ce vieux dicton dans ton cerveau :
Ne crachez pas dans la fontaine,
Car vous pourrez en boire l'eau
.
— Mon cher, lui répondit l'ancien célibataire,
Ton proverbe est joli, mais je n'en ai que faire ;
Ici que parles-tu d'eau claire ?
Apprends que les époux heureux
Boivent, ainsi que font les Dieux,
Du Nectar à leur ordinaire.

Fable 62




Commentaires