Le Roi malade Antoine Bret (1717 - 1792)

Un Roi souffrait une douleur horrible,
Quoi qu'il eût vent médecins,
Qui tous avaient promis un remède infaillible
On eut recours aux mages, aux devins.
Ceux-ci plus adroits et plus fins,
Pour se tirer d'intrigue, s'accordèrent
A demander le fiel de quelque adolescent
Qui sur son corps eût offert en naissant,
Une marque bizarre et qu'ils imaginèrent.
Sans doute, ils se flattaient, quelque peine qu'on prît
Que le signe fatal, consigné par écrit,
N'exilait que dans leur idée ;
L'espérance était mal fondée ;
Le signe fut trouvé par l'odieux commis.
D'un père intéressé, l'argent obtint le fils
Qui portait la marque donnée ;
La victime est déjà traînée,
Pour l'égorger, le poignard est tout prêt,
Qui dit Roi, dit un père et le nôtre en effet,
Ne put du malheureux voir terminer la vie
Sans consulter auparavant
Et les juges du temple et ceux de la Patrie,
Sans la répugnance qu'il sent
A voir la santé rétablie
Par le trépas d'un innocent.
On délibère, on discute, on arrête
Que le salut d'un Monarque puissant,
N'est pas trop payé d'une tête.
Ce bel arrêt fut lu devant l'adolescent,
Qui loin de craindre la tempête,
Se met à rire aux yeux du Prince languissant.
Le Roi veut savoir du jeune homme
La raison d'un rire imprévu.
Il le conjure, il le presse, il le somme
D'en dévoiler le principe inconnu ;
Alors d'un ton livre autant qu'ingénu,
Il faut au roi cette réponse.
Le sein d'un père, a servi de tout temps
D'asile sûr à ses faibles enfants,
Et mon père aujourd'hui me vend et me renonce.
Protecteurs nés du malheureux,
Les magistrats sont faits pour sa défense ;
Et moi qui n'ai commis je crois aucune offense,
Je fuis l'objet d'un arrêt rigoureux.
Depuis que vous régnez sur des sujets heureux
Vous n'avez puni que le crime,
Et cependant sans vous aimer moins qu'eux,
Je vais être votre victime.
Il faut en rire et se féliciter
D'abandonner le séjour de la terre,
Car dans les cieux que je vais habiter
Je n'aurai rien à redouter
Des rois, des juges ni d'un père.
O mon fils ! s'écrira le roi,
Je vois la vie avec indifférence
Si pour calmer les maux qui s'acharnent sur moi
Je dois immoler l'innocence,
Le jeune homme fut libre et comblé de bienfaits,
Le roi souffrit avec moins de murmure,
Et puis fut quelque temps après
Guéri par la seule nature.

Pour terminer cette aventure
Il eut fallu punir le père et les devins ;
Je dirais presque, aussi sans la peur de déplaire
A gens dont par malheur on a souvent affaire,
Les Cadis et les médecins.

Fables orientales, fable 9




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