Le Singe et le Bouc Antoine Furetière (1619 - 1688)

Un Singe autrefois rencontra,
Un Bouc à barbe vénérable ;
Et comme ami lui remontra,
Qu'il se rendrait plus agréable,
S'il hantait souvent le Baigneur :
Qu'il se mettrait en bonne odeur,
Parmi le monde raisonnable
Pour lui qu'il n'était du métier
D'Etuvistes, ni de Barbier :
Mais que pour l'obliger, il mettrait en pratique,
Ce qu'il avait appris touchant justement,
Quand il fréquentait la boutique,
Des faiseurs de poil proprement,
Le Bouc de cette courtoisie,
Et le loue et le remercie.
Mais pour faire sa barbe, il veut prendre conseil ;
Et pour cet effet, il s'adresse,
À l'homme, qui n'a son pareil,
A ce qu'on prétend, en sagesse.
Il voit d'abord mille galants bienfaits,
Propres, polis, rasez de frais,
Et quelques mignons de couchette,
Qui s'arrachant le poil, se servaient de pincette :
Et par là devenaient la terreur des maris,
Tant ils étaient des Dames favoris.
Cet exemple me persuade,
(Dit le Bouc à son camarade)
Rase moi donc pour la première fois.
Aussitôt le Singe courtois,
Lui met au col une serviette,
Quand il paraît des Moines, des Prélats,
Des Docteurs et des magistrats,
Procédait d'une barbe et longue et copieuse.
Que vois-je ! dit le Bouc alors ?
Les hommes sous un frêle corps
Ont bien différents visages ?
Qui sont les fous ? Qui sont les sages ?
Le Singe dit, nous ne savons,
Ceux-là, nomment ceux-ci Barbons,
Quand ceux-ci, prennent la parole,;
Ils nomment les premiers jeunesse et tête folle.
Il faut, dit le Bouc en courroux,
Que les hommes s'accordent tous,
Sur la bonne façon de vivre,
Si leur exemple ils veulent faire suivre.
Cependant, il n'est rien de tel,
Que de s'entretenir dans l'état naturel.
Cela dit, il arrache et déchire son linge,
Et du bassin coiffe son singe.

Cette raison qui nous éclaire,
Ne nous saurait pas donner de certaine leçon :
L'un par raisonnement se met d'une façon
L'autre se met d'une façon contraire ;
Qui croit aussi le faire par raison

Fables morales, Fable 2


Titre original : Du singe et du du bouc

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