Grand vizir d'un lion un vieux Bouc s’ennuyait ;
Du matin au soir il baillait ;
Amuser un vizir n’est une chose aisée :
Pourtant, toujours à flatter avisée,
La gent courtisanesque à l’envi l’essaya.
Mieux que tout autre fait pour plaire,
Barbet d'esprit d'abord se présenta.
— « De ce Barbet, dit-il, » je n'ai que faire ;
L’esprit que j'ai me suffit au-delà.
Un Ours au Barbet succéda;
Explorateur de maints parages,
Cet Ours, grâce a tant de voyages,
Était conteur instruit entre tous les conteurs.
— Il ne me chaut de ce qu’on fait ailleurs,
Dit le Vizir, » qu’au plus t6t il s’en aille!
» Depuis qu'il conte encor plus fort je baille.
Un savant, (sur son nom Mnémosyne se tait)
Fit a son tour l’essai de sa science.
Qu'il nous dise l'heure qu’il est!
Et qu'il parte! il en a toute et pleine licence.
Voici venir un Cerf de ses dix cors ramé,
Un vrai philosophe, un vrai sage.
— Oh! par Allah ! que l'huis soit à l'instant fermé;
Je ne veux du plus loin même en voir le visage.
Après eux surgit Tigellin,
De ses rares talents accourant faire hommage,
Tigellin, singe expert en tours de Fagotin.
On vit tout aussitôt le front de l'excellence
S'épanouir.
Un mime eut le succès qu’esprit ni sapience
N'avaient pu sur elle obtenir.
A triomphe pareil il fallait récompense ;
On le nomma ni plus ni moins Reis-effendi

Grand vizir de Lion n’agit pas seul ainsi;
Du moins l’avons-nous oui dire ;
Veut-on des grands devenir favori,
Amusons-les ! faisons-les rire !

Livre VI, fable 8


Alger, 12 avril 1854.

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