Un Epagneul de haute taille
Que jamais danger ni bataille
N'avaient fait d’un pas reculer,
Après un lustre de victoire,
Déshérité de toute gloire,
Se vit au chenil exiler.
Superbe chien d’Espagne,
Du maitre il avait bien des jours
Absorbé toutes les amours.
Pelage argenté qu’accompagne
Large et mainte marque de feu,
Longs pendants, élégant corsage
En faisaient pour lui presque un dieu.
Hélas! cet engouement suprême,
Né de la mode, eut de la mode même
Le destin et changea d’objet.
Un King’s Charle, nain de l’espèce,
Dont tout le prix est dans la petitesse,
Remplaça le beau chien d'arrêt.
La mode règle et mérite et tendresse,
Le tout a son niveau.
Duvet moelleux, biscuits, douce caresse
Furent la part du favori nouveau.
Notre Epagneul eut pour la sienne
Triste chenil, misère et chaine ;
Mais si sa fortune changea,
Point ne changea son caractère ;
Noble il était, noble il resta.
L’occasion en fournit preuve entière ;
Voici le fait sans commentaire :
Assailli par un malfaiteur,
Son maitre allait y perdre l’existence ;
Le fidèle animal s’élance
Et bel et bien étrangle le voleur.
D’un tel service obtient-il récompense ?
Las ! la prévention a des yeux singuliers
Et parfois elle est bien bouffonne ;
Mérite, honneur revinrent tout entiers
Au King’s Charle en personne.
N'avait-il pas de loin osé glapir
Et n'était-ce courage extrême ?
L’Epagneul au chenil retourna se tapir,
En lui-même
Trouvant tout guerdon et déduit.

Le vrai mérite se suffit.

Livre VI, fable 7


Alger, 12 avril 1854.

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