Le bouc et le renard eurent la fantaisie
De passer ensemble leur vie.
Ne les en blâmons point. Un joyeux compagnon
Offre des agréments. Sur les bords du Lignon
Ils cheminaient oisifs. Un bac à passerelle
Fit bientôt naître entre eux une vive querelle.
Suivez-moi, dit le bouc — où ça ! dit le renard ;
La planche est bien étroite, et je ne suis canard
À nager dans cette eau s’il arrive un naufrage ;
Puis, que faire là-bas tapis dans ce bocage ? —
Nous y vivrons tous deux en ermites anciens. —
Tu tu tu ! seul à seul nos sujets d’entretiens
Seraient trop tôt taris. Je préfère m’ébattre
Loin de ce laid séjour. Le bouc faillit le battre.
Il le tança
Le semonça
Lui prêcha que renard, son mignon petit frère,
Aurait double plaisir à vivre solitaire.
Il n’eût aucun succès.
Après plusieurs échecs,
Mécontent du mondain, le prêcheur osa faire
Très froide mine à son compère.
Au dîner la querelle au lieu de s’apaiser
S’aigrit, s’envenima, finit par s’embraser.
Le bouc (un Monselet) chargé de la cuisine
Avait mis rissoler l’herbe à la crapaudine,
Tiré le vin de cygne, et trouvait son repas
Un excellent festin. L’ami n’en voulut pas.
Les meilleurs mets pour lui c’étaient les gibelottes,
Les ortolans, les gélinottes.
Au dessert, renard dit : frère ! séparons-nous,
On ne s’accorde bien qu’avec gens de ses goûts.
Les êtres différents ne font pas bon ménage,
Prétendre les unir les brouille davantage.