« Insectes paresseux, qui passez votre temps
A traîner vos pas indolents
Sur les fleurs et sur l’herbe tendre,
Ne serait-il pas mieux à vous de m’imiter ?
Du sommet de cet arbre, où j’ai bien su monter,
A chaque instant du jour ma voix se fait entendre,
Et, frappant l’air des plus doux sons,
Fait redire à l’écho ses plus belles chansons. »
Ainsi parlait, d’un air et d’un ton d’importance,
Aux insectes nombreux qui passaient en silence
A l’ombre de l’ormeau par la dame habité,
Certaine cigale étourdie
Qui faisait, aux rayons d’un beau soleil d’été,
Résonner à satiété
Son insipide mélodie ;
Quand certain papillon aux ailes de corail :
« De votre amour pour le travail,
Parmi les hommes et les bêtes,
On n’a, dit-il, jamais douté ;
Mais, montrez-nous l’utilité,
Madame, de ce que vous faites. »
Ce papillon avait raison, Dieu sait combien !
A quoi sert un travail stérile ?
Quand la peine qu’on prend ne produit rien d’utile,
Autant vaut qu’on ne fasse rien.
Peut-être ici quelqu’un va s’écrier : « C’est bien ;
Mais vous, monsieur le moraliste,
Votre travail de fabuliste,
Qu’est-ce après tout, sinon pure futilité,
Fantaisie et frivolité ?
Montrez-nous, s’il vous plaît, de quelle utilité
Sont les contes bleus qu’il nous donne.
Depuis ceux du roi des conteurs,
C’est marchandise qui foisonne.
Il n’est si minces rimailleurs
Qui n’en aient fait et de meilleurs
Que ceux dont vous allez, le ciel vous le pardonne,
Ennuyer vos pauvres lecteurs,
Et cela jusqu’ici n’a corrigé personne.
Vos fables, car il faut dire la vérité,
A les supposer aussi belles
Qu’elles ont, entre nous, de médiocrité,
En fin de compte, que sont-elles ?
De misérables bagatelles.
— Avec toi, sur ce point, lecteur, je suis d’accord :
De mes fables je fais peu d’estime et pour cause ;
Je sais qu’en les faisant je ne fais pas grand’chose ;
Mais je me garde bien aussi de donner tort
Aux gens qui, paresseux à la mode vulgaire,
Et, plus que moi, sages encor,
Passent leur temps à ne rien faire.