La Vipère et la Sangsue Don Juan Laurencin (1733 - 1812)

D'un ton qu'animait la colère
À la Sangsue un jour disait dame Vipère :
Nous piquons toutes deux ; et l'homme cependant
De vous à moi fait différence.
D'où peut venir la préférence ?
Cela me semble surprenant.
Quoi ! cela vous surprend, répondit la Sangsue ?
S'il me préfère à vous, non, ce n'est pas à tort :
Il craint votre piqûre ; et c'est qu'elle le tue,
Par la mienne, au contraire, il évite la mort.

Ne faisons point de mortelles blessures ;
Et que toujours l'utilité
Soit le seul but de nos censures :
Evitons la malignité.

Note de l'auteur : Je dois le sujet de cette fable et de celles qui suivent, jusqu'à la vingt-unième inclusivement, à DON THOMAS DE YRIAUTE, poète estimable, que j'ai beaucoup connu, et dont j'ai pleuré la mort prématurée avec tous les amateurs de la bonne littérature. II réunissait à un goût sûr, une érudition non commune ; et sans parler de ses autres ouvrages , il a dans ses Fables LITTÉRAIRES le mérite si rare de l'invention.