L'Âne, la Vache, le Chien et leur Maître Étienne Azéma (1776 - 1851)

L'Âne se plaignait à son Maître.
« Qu'ai-je fait, disait-il, pour qu'on me traite ainsi ?
Je suis vieux, et de moi quelqu'un a-t-il souci ?
À peine j'ai le temps de paître,
Qu'il faut charger mon dos et courir au marché.
Encore, si je tarde, on dit : l'Ane a péché;
Et les coups pleuvent sur ma tête.
Cette Vache est cent fois plus heureuse que moi.
— Heureuse ! répondit la bête.
As-tu perdu l'esprit ? Je le suis moins que toi :
Est-ce un si grand bonheur d'aller au pâturage ?
Que m'en revient-il, s'il vous plaît ?
On me tient attachée, et pour ce peu d'herbage,
Je donne mon labeur, mes enfants et mon lait.
S'il est quelqu'un d'heureux au monde,
C'est le Chien que voilà. Sans cesse caressé
Par Monsieur, par Madame, on est tout empressé
De plaire à ce mignon, S'il fait parfois la ronde,
N'en est-il pas récompensé?
— Diseuse de grands mots, que le ciel te confonde,
Lui réplique à son tour le Chien.
Moi, je mène ici-bas une agréable vie ?
Vois autour de mon cou cet énorme lien ;
C'est cela qui te fait envie ?
Je suis, dis-tu, gâté, paresseux, bon à rien ?
Comme cette Vache babille !
Est-ce toi qui, soir et matin,,
Veille à la cour, veille au jardin,
Donne chasse à celui qui pille ?
Quand.il manque une poule, un vieux coq, un lapin,
Ou bien quelqu'un de ta famille,
Bavarde, est-ce toi qu'on étrille ?
Si Monsieur dort la nuit d'un sommeil calme et plein,
N'est-ce pas encor mon affaire ?
— Que dit cet animal ? Est-il fou ? Moi je dors !
S'écria le Maître en colère.
Oh ! j'en ai bien le temps, Les procès, les recors,
L'impôt, la guerre, la corvée,
Une femme à calmer, d'enfants une couvée
Qu'il faut soigner, nourrir ; puis ceci, puis cela.
Dort-on avec ces soucis-là ?
Paix, Moufflar ; vous n'êtes qu'un drôle.
Je suis seul malheureux, et vous criez à tort. »

Hélas ! nul ici-bas n'est content de son sort !
Mais on se plaint du moins, et la plainte console.

Livre I, Fable 13




Commentaires