Le Meunier, l'Âne et le Chien Étienne Azéma (1776 - 1851)

O que le monde est sot l qu'il a de vanité !
Grand, petit, sage ou fou, chacun en a sa dose.
Tout pédant se croit quelque chose ;
Et tout poète rêve à l'immortalité.
Un Ane, à ce que dit la fable,
Eut jadis un grain de ce mal,
Martin-Bâton le rendit raisonnable.
Mais l'homme, cet autre animal,
Ne se corrige pas de sottise semblable.
Or, cet Ane doux et bénin,
Bonne et franche bête de somme,
D'un pas tranquille et lent s'en allait au moulin,
Courbé sous son fardeau. De Paris jusqu'à Rome
On l'aurait mené de ce train,
Tant il était courtois, pacifique et bonhomme.
Près de lut cheminait un Chien, son compagnon.
Grand causeur, qui parlait du vent et de la pluie,
Pour désennuyer le grison.
Meunier, à quelques pas, suivait la compagnie.
Voici qu'un superbe coursier,
Portant riche harnais et crinière flottante,
Ayant en croupe un cuirassier,
Devant nos pèlerins aussitôt se présente,
Tout chamarré d'or et d'acier.
Maître Baudet, à cette vue,
S'arrête comme un terme. Il ouvre deux gros yeux,
Il regarde, ébahi, l'animal belliqueux.
Voilà que tout à coup une ardeur inconnue
S'empare du pauvret, qui, lier et glorieux,
Dresse l'oreille et s'évertue,
Se pavanant, courant, ruant, caracolant,
Et faisant mainte pétarade.
Il mord son frein, et va jetant
Sa farine et son bât qu'il met en marmelade.
D'un si grand changement le Chien tout ébaubi,
Lui dit : — Holà, cher camarade,
Quelle mouche vous pique ? où courez-vous ainsi ?
Je ne vous vis jamais piaffer de la sorte.
A quoi bon, s'il vous plaît, le feu qui vous emporte ?
Le beau désordre où vous voici !
— La belle question que tu viens ici faire !
Imbécile de Chien,
Dit l'Ane d'un ton de colère ;
A mon air martial, à mon noble maintien,
Idiot, vois-tu pas que je vas à la guerre ?
Le Meunier, qui de loin voyait l'Aliboron
Prendre le large et se donner carrière,
Arrive, et maint coup d'étrivière
Bientôt à mon héros vient rendre la raison.
— Adieu la gloire, adieu fumée !
Plus de combats, dit-il. Prenons mon petit train,
Comme à l'accoutumée.
Guerroyer n'est pas mon destin,
Et devrais-je servir de trompette à l'armée,
J'aime encor mieux braire au moulin.

Livre II, Fable 4




Commentaires