L'Âne, le Meunier et son Fils Edmé Boursault (1638 - 1701)

Pour mieux vendre un Baudet qu'on menait à la foire
Un meunier et son fils le portait à leu cou :
Jamais, dit un passant, vit-on rien de plus fou ?
Porter une bourrique ! hé qui le pourrait croire ?
Mes bonnes gens vous radotez
De vous fatiguer de la sorte,
Mettez à bas l'âne que vous portez ;
C'est bien au moins qu'à son tour il vous porte.
Ils crûrent cet avis et montèrent tous deux
Sur Messire Baudet, qui pliait sous la charge ;
Comment, leur dit un autre en fulminant contre eux,
Croyez-vous que cet âne ait l'échine assez large
Pour porter deux nigauds qui sont si vigoureux.
Il faut que de sa peau vous ayez l'âme avide :
Le traiter si rudement
C'est commettre un fratricide
Qui mérite châtiment.
Effrayé de cette harangue
Le meunier à l'instant fait descendre son fils ;
Et lui sur le Roussin tranquillement assis
Se croyait à couvert de tous les coups de langue,
Mais à peine eût-il fait vingt pas
Que des Filles qui l'aperçurent
(Je crois qu'on ne l'ignore pas
Que jamais Filles ne se turent) :
Celles-ci pour le Fils ayant plus de pitié
Qu'elles n'en avaient pour le Père,
Il faut que ce vieillard n'ait guère d'amitié,
Dirent-elles d'un ton sévère,
De faire aller son fils à pied
Pendant que sur son âne il est comme un compère
Hé bien, leur répondit-il,
Je vais lui céder ma place ;
Il n'est rien que je ne fasse pour empêcher le babil,
Ce qui fut dit fut fait. L'un descend, l'autre monte,
Persuadés tous deux qu'on ne dirait plus rien.
Les pauvres gens se trompaient bien !
Hé quoi, jeune étourneau, n'avez-vous point de honte ?
Dit une vieille qui survint ?
Respectez des vieux ans la vigueur chancelante :
Votre père en a soixante et vous n'en avez que vingt
Oh, ma foi, c'en est trop et je perds patience
Dit le meunier en courroux ;
Il n'est aucune science
Où l'on puisse plaire à tous.
C'est le mettre en la tête une grand sottise
Que de vouloir du monde empêcher le discours :
Quoi qu'on fasse et quoi qu'on dise
On en parlera toujours.



Note de l'auteur : Je m'attends à voir autant d'opinions différentes sur ces Lettres que le meunier et son fils en trouvèrent quant ils conduirent leur âne à la foire et je m'en consolerai facilement.

Commentaires