Le Meunier, son Fils et l'Âne Charles Beaulieu (19ème)

Le meunier Mathurin, vieillard des plus têtus,
Était le plus ignare et le plus imbécile
De tous les entêtés qu'on ait jamais connus ;
Et son âne, Martin, quoique fort difficile,
Était, au prix de lui, l'enfant le plus docile.
Ce travers lui venait, dit-on,
D'exagérer le sens de ce dicton :
Qu'on ne saurait jamais, quoique l'on puisse faire,
Prétendre contenter tout le monde et son père.
C'était ainsi de tout,
Et pour le dire en somme :
Jamais pour le convaincre on n'eût su par quel bout,
Prendre notre homme.
Un jour que Mathurin,
Au village voisin,
S'en allait rendre la monture,
Il menait avec lui sa seule géniture,
Uu sien fils de quinze ans, puis son âne, Martin,
Qui voiturait sur sa tranchante échine,
En ployant sous le faix, le son et la farine.
Un passant qui les vit, jugeant que le grison
Succomberait avant que d'être à la maison,
En voulut, au meunier, faire la remontrance,
Alléguant que du son l'on pouvait l'alléger.
Nous avons le temps d'y songer,
Et d'aviser en cas d'urgence,
Répond le gars, qui vit où tendait l'obligeance.
Dans la chaude saison,
L'on se trouvait alors. Bientôt à l'horizon,
On vit poindre maint gros nuage ;
Un de ces savants du village,
Grands interprètes d'almanachs,
Leur présagea qu'un pareil cas
Était de mauvais temps une preuve assurée,
Pour le courant de la journée,
D'autant que le tonnerre au loin avait grondé ;
Pour éviter d'être inondé,
Il était encor temps de se mettre en mesure ;
D'un hameau l'on était voisin.
Ne craignant l'eau que dans son vin,
De cet abri, notre meunier n'a cure.
Cependant,
Du savant,
Voici que l'orage et la pluie,
Accomplissent la prophétie,
A tel point, que notre trio,
Crut que sur lui tombait un déluge nouveau.
Mais ce ne fut pas tout qu'une semblable averse,
Comme nous l'allons voir.
Pour arriver plutôt, Mathurin crut devoir
Prendre le chemin de traverse,
Qui s'offrait devant lui, mais il ne tarda pas
A trouver nouvel embarras.
Au bout de quelque pas, un ruisseau se rencontre ;
Sur une planche étroite on pouvait le passer,
Mais un vieux pâtre leur remontre
Que ce pont, que les eaux viennent de déranger,
Offre plus d'un danger,
Du moins en cette occurrence ;
Il est prudent, dit- il, je crois,
De ne passer qu'un à la fois.
Merci, dit le meunier, de votre prévenance,
Mais je n'en ferai rien,
Bon homme croyez-le bien ;
Ces craintes ne sont pas les nôtres,
Car depuis cinquante ans qu'il est ici placé,
Il en a vu bien d'autres.
C'est justement qu'étant vieux et cassé,
Une chute est des plus à craindre,
Et c'est toujours ce but que finit par atteindre
Age, ou caducité. Mais en digne insensé,
Loin de mettre à profit ce conseil salutaire,
Notre meunier têtu, comme à son ordinaire,
Voulut faire à sa tête, il le fit et fit mal :
La planche en se rompant donna raison au pâtre.
Il périt, lui, son fils, et leur pauvre animal.

Mépriser un avis est bien souvent fatal,
Cette erreur a perdu plus d'un opiniâtre.

Livre III, fable 1




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