Peintre et Meunier Léon Riffard (1829 - ?)

- Ce moulin est charmant, pittoresque! il me plaît.
L'eau dans la grande roue, en écumant, fait rage,
Retombe avec fracas, puis s'écoule, et se tait ;
Un vieux saule, en pleurant, y traîne son feuillage.
Dans la blanche poussière on voit incessamment
Passer et repasser la charpente noirâtre.
Aux ais disjoints s'accroche une mousse verdâtre
Que le soleil revêt d'une moire d'argent.
Et quel site enchanteur ! Comme cette rivière
Entr'ouvre, dans sa fuite, un lointain vaporeux !
C'est un tableau tout fait, nia foi : bonne lumière,
Premiers plans bien compris, horizon merveilleux...
Essayons. - Ayant dit, notre artiste s'installe :
Chevalet, appui-main, parasol et pliant.
Il tire ses couleurs ; avec soin les étale ;
Choisit quelques pinceaux... le voilà travaillant.
- Pour compléter le pa3'sage,
Pense notre homme, maintenant
Il me faudrait un personnage. -
Et voilà qu'au même moment
Levant le nez en l'air, joyeux, il voit paraître
La tête du meunier, qui passe à la fenêtre.
- Bonjour, meunier, - bonjour. Quoi que vous faites là
Avec tous ces engins ? je n'aimons pas cela,
Ces tubes, ces tuyaux, ces boîtes... qu'est-ce à dire ?
C'est-y que vous voulez (Il prit un air malin)
Faire sauter notre moulin ?
- Allons meunier, vous voulez rire.
Sur quelle herbe avez-vous marché de grand matin?
Venez voir. - Il descend. - Tiens, tiens, mais c'est l'image
De mon moulin. C'est-y qu'on voudrait l'acheter ?
- Et quand cela serait? - Peut-être vous, je gage?
- Peut-être. - Eh bien, pour lors, vous pouvez emporter
Tout ce bel attirail : Beaulieu n'est pas à vendre !
Moi, vendre mon moulin, reprit-il d'un air tendre,
Ah ! monsieur, c'est plaisir de le voir travailler.
- Je ne dirai pas non. - Gardez-vous de railler.
Quelle roue... un trésor : Un filet d'eau la pousse.
- Et quelle eau ! Claire et noire, où surnage la mousse,
Où tremble le feuillage, où se mirent les cieux !...
- Et la belle farine, aussi blanche que douce,
Et qui fleure, Dieu sait ! - Et quel tic-tac joyeux
Scande le grondement de l'onde qui ruisselle !
- C'est ce qui fait, monsieur, que la farine est belle.
- Encore la farine ! - Eh sans doute. Et le son ?
- Le son de la cascade ! - Eh non, quelle chanson !
Le beau son bien doré, que le blutoir tamise.
Ah ! pour le coup, voilà de belle marchandise.
Mais vous ne savez pas ce que c'est qu'un moulin.
- Moi, regardez. - Je vois, mais qu'est-ce que ça prouve?
Vous montrez le dehors, ce n'est pas bien malin.
C'est dedans qu'il faut voir le branle-bas. - Je trouve
Moi, bonhomme, en dépit de ton esprit grossier,
Que l'aspect du moulin, vu d'ici, fait merveille :
De verdure et de fleurs c'est comme une corbeille
Posée au sein des eaux ! - C'est donc votre métier
De brouiller des couleurs ainsi sur du papier ?
- Sans doute. - Alors pourquoi vouloir, ne vous déplaise,
Acheter mon moulin ? - Pour le peindre à mon aise
Je lui ferai l'honneur d'en faire un bon tableau.
- Mon moulin n'est pas fait pour cet emploi nouveau :
Il fait de la farine.
Cet honneur lui suffit, comme à moi, j'imagine.
Si vous étiez jamais maître de ce moulin,
Il ne tournerait plus, et c'est laid, le chômage !.. -
Notre artiste à ce mot laisse tomber sa main
Tout pensif. Puis il dit : ce serait grand dommage !
Que le moulin s'arrête, et tout s'arrête ici :
Et la roue, et la meule... et mes pinceaux aussi !
Dans l'aspect de ce paysage,
Sitôt vu, sitôt entrepris,
Ce n'est pas la beauté des eaux ni de l'ombrage
Qui m'a le plus touché. Je n'avais pas compris,
Ce matin, en mettant le pied sur cette rive,
L'attrait mystérieux qui d'abord vous captive.
Supposons le moulin désert, silencieux,.
Et la roue immobile
Au-dessus du courant bien uni, bien tranquille,
Me serais-je arrêté seulement ? c'est douteux.
Ce n'est pas sans raison que le meunier réclame.
Je le vois : le secret de mon ravissement
C'est que je sentais vaguement
Que ces beaux lieux avaient une âme !
Oui, dans le bruit rhytmé qui sort de ce moulin
Il semble qu'on entend battre un cœur... c'est certain.
Ainsi de la nature on admire l'ouvrage ;
Mais ce qui nous séduit au fond, dans son image,
C'est la nôtre !... C'est l'être humain.


Telle est la leçon d'esthétique
Très profonde, très authentique,
Qu'au bord du Vistre, l'an dernier
Reçut un mien ami, peintre de son métier,
Des lèvres d'un pauvre meunier
Rustique
Et qui n'avait jamais passé pour un critique.
Aamirable leçon,
Mais qui pour vous, poète, est bien hors de saison.
Vos paysages de Provence.
Dessinés avec soin, brossés avec fureur,
Ont tous la ligne pure et la lumière intense.
Ils ont tout : ils font la couleur ;
Ils ont le mouvement, - la vie et la science ! -
Bien mieux encore : ils ont du cœur.

Livre IV, Fable 11




Commentaires