Lorsqu'Athènes brillait de l'éclat des beaux arts,
Un Peintre, séparé de la tourbe commune,
Travaillant pour la gloire et non pour la fortune,
Fit un grand tableau du dieu Mars.
Dans l'atelier du noble Artiste
Les curieux font leur devoir :
Tel qui sait tout au plus que le blanc n'est pas noir,
Lui démontre à lui-même en quoi son art consiste :
Tel qui chaque matin fait son esprit du soir,
Pour dire seulement je l'ai vu, va le voir.
Un Connaisseur y vint : l'Artiste l'interroge,
Veut qu'il parle sincèrement :
Il n'a point, on le sait, l'orgueil impertinent
Qui croit que le talent déroge
À suivre les avis du goût, du sentiment.
Le Connaisseur modestement
D'une saine critique assaisonne l'éloge ;
Enfin dans ce tableau, tout compliment à part,
Trouve à l'art un défaut, c'est qu'on y voit trop l'art.
Le Peintre qui d'esprit abonde,
Se défend, argumente, explique du moral,
De ce Beau qu'on nomme idéal
La doctrine vague et profonde.
Le Connaisseur insiste, et sur le même point,
Habile à manier ces questions savantes
Il dit des choses excellentes,
Mais qui ne persuadent point.
Un jeune Fat survient : il regarde, il s'écrie :
Quel chef-d'œuvre ! grands dieux ! quel suave pinceau !
Vous compteriez, je le parie,
Les cheveux de la tête et les trous de la peau.
Que cette jambe est fine ! et par quel art nouveau,
Sous ces ongles divins, la chair paraît rougie
D'un sang pur et céleste ! Oui, c'est un Mars vivant.
Le casque ciselé, la cuirasse d'argent,
L'élégant bouclier, tout respire la vie :
Tout est d'un fini surprenant.
À ce bruyant caquet, l'Artiste loin de compte,
Baisse les yeux, rougit de honte,
Et dit au Connaisseur : vous me voyez confus ;
Vous aviez trop raison : je ne me défends plus.
Dès que mon jeune Fat eut levé la séance,
Pour aller faire au loin briller son éloquence,
Sans appel, sans délai, d'implacables ciseaux
Mirent le dieu Mars en lambeaux.
Si le Goût éclairé refuse
Ses suffrages à nos travaux,
Apprenons à douter des fruits de notre Muse ;
Mais plus d'illusion, de retard, ni d'excuse,
S'ils sont applaudis par les sots.