Le Peintre et la Critique Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un peintre, dans un paysage
Aride, effrayant et sauvage,
Avait mis un très beau lion
Dévorant un pauvre mouton.
Un critique vient, il admire
Le talent, mais il plaint l’innocent animal,
Tant qu’au peintre il se prend à dire :
- Votre tableau n’est pas moral.
Quoi toujours du plus fort retracer l’injustice ?
Toujours le triomphe du vice !
Du faible toujours le supplice !
Je voudrais voir votre lion
Ramassant l’herbe des prairies,
Et les tiges les mieux fleuries
Les offrire au petit mouton ;
Près d’eux de l’amitié vous ouvririez le temple :
Ce serait un meilleur exemple.
- Oui, répondit l’artiste, en effet,
Cet exemple serait parfait,
Mais ma peinture, peu fidèle,
Serait un fort mauvais modèle.
Il nous est permis d’inventer
Les ornements d’une figure,
Mais dans le vrai l’on doit rester
Lorsqu’on veut peindre la nature.

Monsieur Prud’homme un jour lisait
Une fable de la Fontaine,
Et d’une voix grave il disait :
- Je veux la corriger, elle en vaut bien la peine.
J’aurais tourné la chose ainsi,
Si j’eusse été le grand bonhomme.
- Eh parbleu ! la Fontaine aussi,
S’il eût été monsieur Prud’homme !

Livre I, fable 12


Symbole 12 :

Il n’y a d’immoral que le mensonge ; le vrai est toujours moral. Ceci peut sembler un paradoxe et c’est un axiome incontestable de la plus haute philosophie.

Nous ne prétendons pas que la peinture vraie du vice ou du crime puisse être présentée sans danger ; mais nous affirmons que le mal qui pourrait en résulter porte avec lui son remède, puisque le vice et le mal, lorsqu’ils sont fidèlement représentés, ne peuvent avoir qu’un attrait fortement combattu par l’épouvante et l’horreur.

Nous ne pensons pas que personne soit jamais tenté d’imiter Néron tuant sa mère. Les Césars de Suétone sont les damnés du plaisir, impuissants qui se tordent dans l’enfer du monde romain, et si quelque chose nous fait adorer et même envier les douleurs du Christ sur le calvaire, ce sont les voluptés de Tibère dans son exil de Caprée.


Commentaires