Le Phenix et la Colombe Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Il est un oiseau solitaire
Qui renaît de lui-même et meurt pour rajeunir :
Seul il est son passé, seul tout son avenir ;
Il est son propre enfant, il est son propre père.
C’est le phénix, esclave et roi,
Esclave du destin, roi de la solitude.
Pour lui la mort est sans effroi,
La naissance est une habitude.
Il vieillit sans aimer, il périt sans regrets,
Il est sans mère et sans épouse.
Il est toujours nouveau sans espoir de progrès,
Et du néant qui dort sa tristesse est jalouse.
La colombe d’Anacréon,
Passant un jour à tire d’ailes,
Pour porter des odes nouvelles
Du vieux père de la chanson,
Voit le phénix et le salue.
Comment ? Sans doute à la façon
Des colombes de l’Hellénie.
Mais de son beau plumage il semble trop chargé ;
Il ne lui répond pas, il rêve, il est plongé
Dans une tristesse infinie,
- Sire, lui dit en roucoulant
La toute belle
Colombelle :
Je crains de vous troubler peut-être en vous parlant.
Laissez-moi seulement vous dire
Que je passe à vos pieds et que je vous admire :
Du peuple des oiseux vous êtes le premier.
- J’en suis le premier, le dernier
Et le plus malheureux, dit l’enfant de la tombe ;
Que ne suis-je un simple ramier
Pour vous aimer, douce colombe !
Vivre seul, ne jamais mourir,
Toujours briller, toujours souffrir,
Et traîner dans l’exil sa tristesse immortelle,
Puis, par le soleil consumé,
Renaître sans avoir aimé,
N’est-ce pas la mort éternelle ?

Tous les phénix me font pitié.
La solitude est plus qu’un malheur, c’est un crime.
Il en est un seul que j’estime :
C’est le phénix de l’amitié !

Livre I, fable 11


Symbole 11 :

Le phénix est le dogme philosophique de l’ancien monde ; la colombe est le génie du monde chrétien.

Le phénix est isolé dans l’orgueil de sa beauté, il ne peut aimer que lui-même, il se conçoit et se renouvelle par le suicide. La colombe, au contraire, est l’image du plus candide et du plus sincère amour. Elle est simple et sans orgueil, et Salomon dit à sa compagne dans le Cantique des cantiques : Tes yeux sont doux comme les yeux de la colombe.

Dogme unique, symbolisme philosophique et poétique à la fois, qui s’ensevelit sous les débris des vielles civilisations et renaît avec les sociétés nouvelles, l’occultisme est beau, il est immortel dans sa profonde raison d’être, il représente la nature et ses lois, l’esprit humain et ses aspirations, l’inconnu et ses incertitudes que surmonte une légitime hypothèse ; mais le doux mysticisme chrétien avec ses rêves du ciel, avec ses gémissements vers un idéal de tendresse et de pureté infinie, a fait presque oublier la science colossale d’Eleusis et de Thèbes. Antigone, la vierge antique, n’a pas été mère comme Marie. Nous avons moins de larmes pour la fille innocente d’Œdipe le sacrilège, que pour la mère toujours vierge du Réparateur. Le phénix, toujours renaissant, a je ne sais quoi de fatigant et de terrible qui rappelle le vautour de Prométhée, et la colombe chrétienne portant son bec le rameau l’olivier ne nous annonce que l’amour, la miséricorde et la paix.

Nous ne faisons donc pas revivre le phénix de la philosophie occulte pour l’opposer à la colombe chrétienne, mais nous voulons que le phénix rende hommage à la colombe et que celle-ci console le phénix dans sa solitude. Nous voulons que les dogmes de la science et ceux de la foi s’unissent dans une même auréole comme les rose-croix, nos maîtres, unissaient la gracieuse image de la rose au symbole sévère de la croix.


Commentaires