Le Peintre qui ne contentait personne et qui contenta tout le monde John Gay (1685 - 1732)

Voulez-vous empaumer le Public et son père ?
Ayez toujours pour vous les probabilités,
De ce point de départ lancez vos vérités ;
Ce sera bien, vous serez sûr de plaire.
Celui qui de sa langue enfonce un escadron
Ne gagne à ce haut fait que le nom d'un poltron.
Mais c'est bien différent de cette effronterie
Que dans le monde on nomme flatterie ;
La gent flattée, elle vous prend au mot,
Elle endosse à crédit la louange d'un sot,
En son honneur et gloire enflez donc l'hyperbole,
Elle aura soin de n'en perdre une obole.

Il existait un peintre. Est-ce à Londre, à Paris ?
Ne vous le dirai pas ; n'importe, je poursuis,
Qui faisait des portraits, si parfaits, si fidèles,
Que chacun à l'instant eut nommé les modèles.
Il vous rendait le teint, l'air de tête, les traits
Tellement justes que la vie y vivait ; -Mais
Mêlée à ses couleurs aucune flatterie
- Ne venait raviver vieille fille flétrie :
A chaque muscle il donnait sa vigueur,
A chaque bouche il donnait sa largeur.
Son honnête pinceau faisait loucher les louches,
Il indiquait du nez et longueur et grosseur,
Du seul vrai sa palette osant donner les touches,
Disait en dépit des cancans,
La qualité des gens, le nombre de leurs ans.

Or, toute vérité n'est pas bonne à portraire ;
Il avait le talent, mais non le savoir faire.
Il perdit ses clients, et ses fameux portraits
Restèrent impayés, il en fut pour ses frais.
Pour réparer cette avarie,
Notre peintre soudain changea de batterie.
A la place d'honneur il mit dans son salon
Deux bustes sans défaut, la Vénus, l'Apollon,
Puis cette fois bien résolu de plaire
Il dessina d'après ces bustes le client,
Arrangeant, corrigeant toujours falsifiant,
Mais de manière à satisfaire .

La mise en scène est faite . On frappe. C'est Milord,
On le reçoit avec un gracieux abord,
Puis on le fait asseoir dans un jour favorable.
Le peintre fait l'esquisse... "Admirable! Admirable!"
Dit-il en jouant du pinceau,
"Votre profil est grec, Milord, il est fort beau !
Titien eut voulu vous avoir pour modèle,
Quel merveilleux portrait eut fait de vous Apelle !
Vous avez là des mains dignes d'un Raphael,
Et vous avez un regard tel
Qu'au Jupiter Tonnant l'eut donné Michel- Ange,
Pourtant votre sourire est tout-à-fait d'un ange.
Ces traits pleins de bon sens, et surtout pleins d'esprit
C'est, vous en conviendrez, à toucher difficile,
Mais avec la couleur on arrive au zénith
Et poser aussi bien rend ma tâche facile.

66 Regardez mon travail ? " Milord de s'écrier :
"Jusqu'ici j'avais cru que ma bouche était large ;
Puis mon nez est trop long, il dégénère en charge ;
Vous m'avez fait trop jeune."... "Ah ! j'ose vous prier
Milord, d'être un peu moins modeste,"
Dit l'artiste à son tour. . . "Milord, en tout l'excès
Est un défaut. -Ce portrait, je l'atteste,
Très ressemblant, aura le plus grand des succès."
De nouveau Milord examine,
Et finit par trouver qu'il a fort bonne mine."

Vint une Dame. Il prit de sa Vénus
Les plus charmants attraits, en dota sa figure,
L'amant survint qui broda, par dessus,
On ne pouvait, dit-il, mieux rendre la nature.
Bref à chaque âge il donna quelque attrait,
Fit la beauté plus belle, et rendit beau le laid.

On goûta fort son art à la cour, à la ville,
La foule arriva vite, et son prix s'augmenta :
Il acquit du renom, plus un beau domicile
Qu'il n'eut certe pas eu... sans son meâ culpâ.


Livre I, fable 18




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