Le Peintre de portraits Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Un peintre vainement luttait contre le sort,
Et pourtant ses pinceaux fidèles
Retraçaient si bien ses modèles,
Qu'on les reconnaissait d'abord.
Il rendait d'une main si sûre,
Leur port et leur air et leurs traits,
Qu'on croyait voir respirer ses portraits,
Et qu'ils semblaient sortir des mains de la nature.
Il n'avilissait point son art
Aflatter la coquetterie,
Amétamorphoser en jeune homme un vieillard,
Arajeunir le teint d'une beauté flétrie.
Achaque muscle il laissait sa vigueur,
Au nez, comme au menton, conservait sa longueur,
Sans doute il avait tort ; car, de cette manière,
Notre artiste perdit ses clients peu nombreux,
Et chez lui ses portraits, tout couverts de poussière,
Restèrent en monceaux poudreux :

« Il faut sacrifier, je le vois, à la mode, »
Se dit-il. Pour vous contenter,
Mesdames et messieurs, il faut savoir flatter ;
Flattons donc, et changeons, dès ce jour, de méthode. »

Il fait porter dans le salon
Qui lui sert d'atelier, et mettre en évidence,
Le Buste de Vénus et celui d'Apollon.
Qu'un personnage d'importance
A son art ait recours : le portrait, esquissé,
D'après son Apollon est aussitôt tracé ;
Il a du Dieu du jour et l'air et la tournure.
Changeant quelque peu, seulement,
Ala couleur des yeux, ou de la chevelure,
Parfois le blond Phébus devient un brun charmant.
Cependant qu'il copie, il parle avec adresse
Et de Rome moderne et de l'antique Grèce,
Du coloris du Titien,
Ou des airs de tête du Guide ;
Causant beaucoup et causant bien.
Puis, d'une assurance intrépide :
« J'ai cru, d'honneur, dit-il, à la dissiculté
Succomber, monseigneur ; car comment reproduire
Tout l'esprit de votre sourire,
Joint à ce grand air de bonté !
Et ce regard de feu, se peut-il qu'on le rende !
Pourtant j'ai réussi, jugez-en. » Monseigneur
Examine et répond : « J'ai la bouche plus grande ;
Mon nez a, ce me semble, aussi plus de longueur ;
Enfin, si je sais m'y connaître,
Vous m'avez quelque peu rajeuni, mon cher maître. »>
- Non, monseigneur, pardonnez-moi,
Je vous ai peint ainsi que je vous vois ;
Et ce portrait, chacun vous le dira de même,
Est d'une ressemblance extrême. »

Monseigneur examine encor
Et trouve, cette fois, la peinture à sa guise :
« Oui, je conviens, dit-il, de ma méprise ;
C'est bien cela, vraiment, et je tombe d'accord
Qu'auprès de ce portrait mon miroir même a tort. »

Une coquette se présente :
Le peintre retrace Vénus.
La dame, souriant, est à peu près contente,
Et dans ces traits charmants a les siens reconnus.
Cependant, l'amant de la belle
Vante avec feu le portrait et l'auteur :
« On ne peut mieux, dit-il, retracer son modèle,
Et, sur cette toile fidèle,
Je retrouve vos traits, comme ils sont dans mon cœur. »

L'artiste, devenu flatteur,
Atoute la ville sut plaire.
Chacun parla, dans la riche cité,
De sa supériorité,
Et vanta son talent, ainsi que sa manière.
Bientôt de ses portraits le prix fut augmenté,
Et sa fortune crût avec sa renommée.
Si, fidèle à la vérité,
Il eût peint, jusqu'au bout, avec sincérité,
Sa perte eût été consommée.

Quand la louange irait jusqu'à l'absurdité,
Elle est toujours sûre de plaire.
L'encens le plus grossier s'accepte sans colère ;
Plus les termes sont forts, et mieux ils sont reçus.
L'amour-propre est tout prêt à croire, sur parole,
La plus ridicule hyperbole ;
Car, si haut qu'on le place, il se croit au-dessus.

Livre V, fable 3




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