L'aigle, de son pouvair ayant changé la forme,
Et fait dans ses États une sage réforme,
Le gouvernement personnel
Devint constitutionnel.
Dans l'intérêt de la chose publique,
Sa charte fut mise en musique.
L'oiseau de Jupiter fit de cet art charmant
La base du gouvernement.
Cet aigle était instruit, il avait lu Molière,
Et, raisonnant à la manière
Du maître de monsieur Jourdain,
Qui raisonnait bien, ce me semble,
Il voyait dans cet art le seul moyen certain
D'accorder ses sujets ensemble.
Son cabinet, choisi d'après ce sentiment,
Le secondait parfaitement ;
Tenant en grand honneur la musique vocale,
Il prisait moins l'instrumentale,
Et les oiseaux chanteurs avaient part seulement
Aux faveurs, aux emplois de ce gouvernement.
Qu'un guerrier, rempli de vaillance,
Sollicitât, comme la récompense
De quelque service éclatant,
Certain poste élevé, le ministre, à l'instant,
Répondait : « Général, chantez-vous, je vous prie ? »
« - Non, mais avec honneur j'ai servi ma patrie.
- J'en suis fâché pour vous, mais il nous faut des voix,
Et nous ferons un autre choix. »

Qu'un sujet distingué dans la diplomatie,
Dont la science a fait l'étude de sa vie,
Demandât, comme un droit, non comme une faveur,
La qualité d'ambassadeur,
Unique objet de son envie ;
Le ministre disait : « Vous chantez sûrement ?
- Non, je n'ai pas de voix. - Pas du tout ? - Nullement.
- Comment, sans ce talent, voulez-vous qu'on vous place ?
Aucun autre ne le remplace,
Et vous sollicitez très-inutilement. »

Tous les choix étaient faits d'après cette méthode,
Et c'était tellement la mode
Qu'un oiseau, seulement parce qu'il chantait fort,
Fut nommé ministre à Francfort.
Aussi quel doux concert ! quelle heureuse harmonie !
Lorsque toutes ces voix, prenant un même ton,
Chantaient en chœur : Le ministère est bon.
Un fin merle trouva de la monotonie
Dans ce touchant accord, et les siffla si bien,
Qu'un jour, ces mêmes voix chantèrent, au contraire :
Le ministère ne vaut rien,
Il se retira de colère.
Comment cela se put-il faire ?
Ces chanteurs de prosession
Chantent tout ce qu'on veut, selon l'occasion ;
Il ne s'agit que du salaire.

Gagner les électeurs, corrompre les élus ;
A tout prix, en un mot, rester au ministère,
Des hommes au pouvair c'est là l'unique affaire.
Rien ne marche, tout souffre, on n'administre plus ;
Un ministre a, ma foi, bien autre chose à faire !
Ainsi que chez mon aigle, il songe peu, je crois,
Aux titres, aux talents, mais il lui faut des voix.

Livre V, fable 4




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