Un vieux renard touchait à son heure dernière,
Et, convoqués par ordre du mourant,
Ses enfants, accourus pour fermer sa paupière,
Entouraient leur père expirant.
Il soulève, avec peine, une tête brûlante,
Et, d'une voix faible et tremblante :
« Mes enfants, leur dit- il, fuyez l'iniquité,
À ses derniers moments croyez-en votre père.
Les maux cruels dont je suis tourmenté,
Et que, dans peu, la mort va terminer, j'espère,
Sont moins cuisants que mes remords.
Je vois autour de moi les sanglantes victimes
Dont je peuplai les sombres bords ;
Le fardeau le plus lourd est celui de mes crimes.
Soyez donc sobres, vertueux,
La vertu seule, ici-bas, rend heureux.
Mes prières du Ciel sont, j'espère, entendues ;
A l'avenir, mes enfants, vous vivrez
Honnêtement, et vous rétablirez
Vos réputations perdues.
- De bon cœur, nous voudrions, tous,
Suivre vos avis salutaires,
Répondit l'un des fils ; mais, hélas ! comme nous,
Vous savez trop ce qu'ont été nos pères ;
(Voleurs, brigands, de père en fils,
Et du nom qu'ils nous ont transmis
Naît la nécessité de marcher sur leur trace ;
Car, eussions-nous la douceur des brebis,
On soutiendrait toujours que nous chassons de race.
Malgré notre vertu, s'il manquait un chapon,
S'il disparaissait un dindon,
A peine la nouvelle en serait répandue,
Qu'on nous accuserait partout de leur trépas ;
Quand une fois elle est perdue,
La réputation ne se retrouve pas. »
De ce renard je blâme le langage ;
Porteur d'un nom flétri, sans doute il vaut bien mieux
Souffrir pour la vertu, lutter avec courage ;
Mais c'est un immense avantage
Que d'être issu d'honorables aïeux ;
Un nom sans tache est un bel héritage,
Dont on ne peut assez remercier les dieux.