La Pie et l'Hirondelle Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Margot la pie et Progné l'hirondelle
Devisaient dans un pré, par un jour de printemps.
Dame Margot s'étonnait, disait- elle,
Que l'autre ainsi s'éloignât tous les ans.
« Comment peut-on quitter, sans une peine amère,
Les lieux où l'on reçut le jour ?
Où notre cœur brûla des premiers feux d'amour ?
Où l'on devint épouse et mère ?
A tous les cœurs bien nés que la patrie est chère ! »
Cette heureuse citation
Termina dignement ce morceau d'éloquence,
Que notre voyageuse écoutait en silence,
Et qui sur son esprit fit quelqu'impression.
« Chacun, répondit-elle, a sa vocation,
Et le Ciel mit en moi cette ardeur vagabonde.
Si vous pouviez, ainsi que moi, juger
Du plaisir que l'on goûte à parcourir le monde,
Peut-être on vous verrait vous-même voyager. »
Puis, elle raconta mille faits incroyables
Dont elle avait été témoin ;
Des peuples inconnus, des sites admirables.
Abeau mentir qui vient de loin ;
Le voyageur ailé le sait comme le nôtre.
Bref, lorsque l'on se sépara,
Chacune à son avis avait ramené l'autre.
A dater de ce jour, dame Margot chanta :
Ah ! quel plaisir d'être en voyage !
Et l'hirondelle répéta,
Croyant prendre un parti plus sage :
Ma foi, voyage qui voudra.

Septembre arrive enfin, et le froid à sa suite ;
Les oiseaux voyageurs prennent bientôt la fuite ;
L'hirondelle demeure et Margot prend l'essor.
Dieu sait ce qu'il lui faut d'effort !
Avec son aile courte et son énorme queue,
Avec peine, par jour, elle fait une lieue.
Sur le bord de la mer l'oiseau parvient enfin.
Là, l'émigrante république
Vole au-dessus des flots, pour passer en Afrique ;
Elle prend le même chemin.
Pauvre Margot ! tu ne peux, d'une haleine,
Franchir cette onde ; où vas-tu te poser,
T'abriter et te reposer ?
Bientôt exténuée, et respirant à peine,
Un faible vent, du haut de l'air,
La précipite dans la mer,
Et, dans quelques instants, hélas ! c'en est fait d'elle.

Le destin de notre hirondelle
Nefut pas plus heureux. L'hiver et ses frimas
Régnaient alors sur nos climats.
Adieu l'insecte ailé qui fait sa nourriture ;
La neige couvrait la nature ;
Comment, dans ces tristes instants,
Nourrir et réchauffer ses petits grelottants !
Ils expirèrent tous, les enfants et la mère,
De faim, de froid et de misère.

Dieu ne nous donna pas la même mission,
Et chacun, ici-bas, a sa vocation.
L'un est né pour les arts, et l'autre, pour la guerre ;
Pour la cour et l'éclat, pour l'ombre et le mystère ;
Pour voyager au loin, ou garder la maison.
Quel que soit notre sort, subissons-le sans plainte ;
Un vieux proverbe a dit, avec raison,
Que chacun n'est pas né pour aller à Corinthe.

Livre V, fable 11




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