Le Coq de combat, l'Hirondelle et le Pigeon Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Un vieux coq de combat, brave autant qu'on peut l'être,
Par cent exploits fameux jadis,
Et l'objet de nombreux paris,
Qui tous enrichirent son maître,
Était criblé de coups reçus au champ d'honneur ;
Et, comme un maréchal célèbre dans l'histoire,
Il n'avait conservé rien d'entier que le cœur.
Aussi, ne parlant que de gloire,
Que de lauriers et de victoire,
L'invalide guerrier regardait en pitié
Ses compagnons doux et tranquilles,
Ces pacifiques volatiles
Qui, brillants de santé, de jeunesse et d'amour,
Autour de lui s'ébattaient tout le jour.

Un beau matin, à sa jactance
Était en butte un modeste pigeon :
« L'ami, lui disait-il, va manger ta pitance
Un peu moins près de moi, là-haut, dans ton donjon.
Souviens-toi qu'entre nous il est quelque distance ;
Te faut-il rappeler qu'un guerrier tel que moi
N'est pas le commensal d'un pékin comme toi ? »
Du haut d'un toit du voisinage
Une vieille hirondelle, entendant ses propos,
Se chargea de répondre au prétendu héros :
« Cessez de prodiguer l'outrage
À qui vaut mieux que vous cent fois,
Dit-elle ; aimable amant, époux tendre et fidèle,
Bon père, ce pigeon peut servir de modèle
Aux oiseaux de nos champs, comme à ceux de nos bois.
Chaque jour l'industrie a recours à son zèle ;
Que d'utiles secrets confiés à son aile !
« À ce vol rapide et léger
Qui des humains en fait le messager !...
- Est-ce tout ? dit le coq. Vous devriez, ma mie,
Qui donnez votre avis, sans que l'on vous en prie,
Apprendre qu'à la gloire on doit plus de respect.
Ne le voyez-vous pas, rien qu'à mon seul aspect ?
Je suis un brave, moi, la chose est manifeste ;
N'apercevez-vous pas ces blessures ? » « Si fait,
Vous êtes boiteux, borgne et laid ;
Vraiment, cela se voit de reste.
Mais, qui vous a réduit à cet état funeste ?
De l'attaque des ennemis
Avez-vous défendu vos foyers, vos amis ?
Du sang des autres coqs on ne vous vit avide
Que pour flatter la vanité,
Pour amuser l'oisiveté
D'un maître orgueilleux et cupide.
Nous ne tirons nul fruit de vos sanglants travaux ;
De donner le trépas vous fîtes votre étude,
La bravoure est chez vous l'effet de l'habitude ;
Vous êtes un bretteur, et non pas un héros. »
À ces mots, ne pouvant atteindre l'hirondelle,
Le coq sur le pigeon s'élance furieux.
Mais lui, prenant l'essor, s'éloigne à tire d'aile,
Portant au haut des airs son vol audacieux ;
Et, tandis que son adversaire
Peut s'élever à peine à quelques pieds de terre,
Il semble planer dans les cieux.
C'est ainsi que l'intelligence,
Dans les plus hautes régions,
Plane au-dessus de l'ignorance,
De la brutale violence,
Et des grossières passions.

Livre V, fable 10




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