Le Coq et l'Oison Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

Un Oison tout le jour nasillait dans la fange ;
Voisin, dit un vieux Coq, ton ramage est étrange ;
Il a je ne sais quoi qui tient peut-être au sol ;
Vole aux bois, vas t'instruire au chant du Rossignol.
Bien pensé, fit l'Oison à qui l'aile démange ;
Vers un certain taillis il dirige son vol.
C'était l'heure où de son ramage
Le Chantre harmonieux charmait le voisinage.
Le Nasard s'abattit dans un étang prochain,
Écouta, comme on croit, de toutes les oreilles ;
Répéta de son mieux, croyant faire merveilles :
Mais au bout de trois jours tourmenté par la faim,
Maigre, défait, mélancolique,
Il regagne enfin son bourbier.
Eh bien ! lui dit le Coq, comment va la musique ?
As-tu poli ton chant, adouci ton gosier ?
Oison d ouvrir le bec… c'est assez, tu nasilles ;
C'est en vain que tu t'égosilles ;
Songe à vivre, crois-moi : barbotte et te nourris ;
Car de réformer la Nature,
C'est abus d'y penser ; bien des gens y sont pris ;
Mais puisqu'il faut te dire une vérité dure :
Quiconque en naissant nasilla,
Jusqu'à la mort nasillera.

Livre I, fable 23




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