Un putois qui touchait aux limites de l’âge
Et qui n’avait plus une dent,
Mais bon appétit cependant,
Ouït un jeune coq chanter dans un village
Aux premiers rayons du matin.
— Si j’avais, pensa-t-il, ma vigueur de jeunesse
Que je ferais un bon festin !
Puis il se demanda quelle bonne finesse
Pourrait, dans le moment,
Assez facilement
Remplacer la force perdue.
— Ce cher coq je le tiens !
Cria-t-il tout à coup aux siens,
Et l’affaire n’est pas ardue :
Vous allez venir, mes petits,
Je vais vous dire convertis.
Laissez-moi prendre un peu d’avance,
Le coq ne croira point qu’on est de connivence.
Je vais lui faire un beau discours,
Un discours insigne,
Et, sur un signe,
Vous me prêterez du secours.
Tous les jeunes putois jurèrent sur leur tête
Que les poules et les poulets,
Grassets et maigrelets,
Seraient l’objet de leur conquête,
Et l’on se mit en route.
Au village arrivé,
Le vieux putois, d’un air fort tendre,
Dit au coq qui chantait sur un toit élevé
De vouloir bien daigner l’entendre
Ne fut-ce qu’un petit instant,
Et de descendre alors, même tout en chantant.
Le coq savait fort bien que le vieux quadrupède
Ne pouvait lui faire aucun mal,
Il descendit.
— Mon cher, dit le fourbe animal,
À nos longs désaccords j’ai trouvé le remède :
On ne vous mange plus, on mange du fretin.
Si la repentance est tardive
Le ferme propos est certain ;
Et, pour vous rassurer contre la récidive,
En putois prudents,
Nous nous sommes ôtés les dents,
Regarde !…
Il ne m’en reste plus, et j’en avais pourtant !
Tous les miens en ont fait autant,
Et ce sera ta sauvegarde.
Tu vas les voir bientôt ; ils vont venir ici…
— Ils vont venir ? Merci !
Ce sera belle fête :
Je monte sur ce faîte
Pour les voir arriver.
Il vola d’un coup d’aile au sommet de la grange
Et le putois, confus du dénoûment étrange,
Se dépêcha de s’esquiver.
Lorsqu’un homme vous fait des promesses trop belles
Pour vous mettre à l’abri rouvrez vite vos ailes.