« Las ! que le temps est dur! que le ciel est pesant!
Amis, puis ennemis, et la paix et la guerre,
L'or et la pauvreté, le passé, le présent
Nous font tomber sous la serre
Du puissant !
N'ai-je pas vu, dès mes jeunes années,
Nos pères massacrés, et nos sœurs entraînées
Par l'implacable vautour !
Le tyran défendait de pleurer sur leur tombe :
Malgré moi j'obéis... Aujourd'hui je succombe
A mon tour...»
Un bonhomme de coq, bon époux et bon père,
Près de son poulailler ainsi se lamentait.
« Qu'avez-vous donc, mon frère ?
DU un plongeon qui l'écoutait.
Vous vous plaignez de la vieillesse !
C'est tout simple; et j'en dis autant.
— Puis-je regretter ma jeunesse,
Répond le coq en sanglotant ?
— Mais quel est donc le sujet de vos larmes ?
— Les horreurs du destin !
— Confiez-moi vos nouvelles alarmes,
— Ecoutez ; ce matin
Je chantais : un hibou trouva que mon ramage
Était un outrage
Pour le roi vautour.
Vous avez, m'a-t-il dit, pour le dernier monarque
( Et depuis bien longtemps j'ai fait cette remarque}
Manifesté vos vœux et votre amour.
Je vous dénonce,
Et je m'annonce
L'accusateur
D'un insigne conspirateur.
Il part en vain je le rappelle...
Tais-toi rebelle !
Me répond-il du haut des airs.
J'attends ma sentence,
Car mon innocence
Est un crime aux yeux d'un pervers.
11 est vrai, j'ai servi notre roi légitime,
Et j'ai versé des larmes sur son sort:
Il emporta mon estime;
Chérir son bienfaiteur, serait-ce donc un crime?
Non : l'oublier serait un tort....
Assez, dit le plongeon; je connais votre affaire,
Mais recevez un avis salutaire
Pour l'avenir
(Si toutefois vous évitez la gêne) :
Dès que je vois les partis dans l'arène,
(Gardez-vous bien de me trahir !)
A petit bruit, je disparais sous l'onde;
Tant qu'on se bat, dans ma grotte profonde
Je fais le mort
Mais au signal de la victoire,
Je reparais et dis : Honneur et gloire
Au plus fort !
Trois fois déjà j'ai changé de bannière,
Car j'ai vu sur le trône aigle, buse et vautour:
Pour être riche, heureux, titré, c'est la manière
Qu'adoptent les oiseaux de cour.