Un jour, un Bohémien
Se promenant dans des bois encor vierges,
Aperçut un Indien,
Un nègre, déjà vieux, déchiré sous les verges;
Son sang coulait à flots...
« Je tremble ! se dit-il : pour i« j gens indévots
C'est mauvaise contrée.
Mon médecin m'ordonne chaud climat;
Esculape est un fat.
Oh! que ne suis-je encore au pays de Borée!
J'y trouverais la mort...
Pouvais-je éviter mon sort?
Mon col, et je l'avoue, attendait la potence;
Car mes aïeux,
Malgré leur innocence,
Moururent suspendus entre terre et les cieux.
Que ne vois-je un navire!
Je m'embarquerais sans mot dire. »
Mons le Bohémien
Était loin du rivage ;
Ses vœux et son verbiage
Ne le mènent à rien
De bien.
Un brave se résigne
A son sort ;
Bohémien est digne
De passer pour esprit fort.
A la fin, les bourreaux laissent le pauvre nègre
Respirer... Le patron
Se retourne, aperçoit le résigné larron :
Que fait donc celui-là? demande d'un ton aigre
Le petit-fils d'Aaron.
Il parait étranger. — Holà ! venez, beau sire;
Qu'attendez-vous ici ? — Rien, monseigneur; j'admire,
Ces gigantesques forêts,
Celte belle verdure,
Ce luxe de la nature :
Devant ce grand tableau, mon Dieu! que je me plais !
— Point de plaisanterie,
Seigneur de la tromperie ;
Vous êtes mon vassal ;
Vous avez mérité le pal...
Mais je suis doux, j'ai l'âme bonne ;
Suivez, je vous l'ordonne,
Mes esclaves : leurs travaux
Sont salutaires...
Allez donc labourer mes terres,
Et traîner mes tombereaux. .
—Mais, monseigneur, je suis un honnête homme,
Libre, de noble sang, je respecte les dieux;
Si je n'ai pas suivi de Genève ou de Rome
Les décrets mystérieux,
J'ai ma croyance,
Et j'en appelle à votre tolérance.,.
— Rien de mieux :
Pauvre garçon, tu me fais rire !
Et que m'importe ta foi!
Obscur sujet de mon empire,
Tu dois accepter ma loi.
— Seigneur, l'Afrique ou l'Amérique
Ne m'a point donné le jour ;
Sur le sol britannique,
D'autres m'ont dit dans Edimbourg,
Je naquis. Esculape
Et ses suppôts
M'ont conseillé les climats chauds.
— Esclaves! les fers et la trappe
Pour ce menteur ;
Il est nègre, et sa couleur
Prouve qu'il est déserteur
De mon empire :
Au chevalet, marchez, beau sire!
Je ne défendrai pas peuple bohémien,
Mais je dirai : sur l'apparence
Juger quelqu'un c'est démence :
Serait-ce la couleur qui fait l'homme de bien ?
Vous méprisez haillons du plébéien...
Sous ces haillons respire âme brûlante,
Ou noble cœur.
Oh! que jamais votre mépris n'augmente
La misère et le malheur.