Je n'irai point, du savant Arago
Usurpant la couronne,
Voyager dans les cieux : jeune Icare me donne
Forte leçon ; je crains le quiproquo.
Si par hasard Pégase
Paraît de bonne foi
Cheminer avec moi,
A petit bruit je rase
Les vallons ;
Je ne quitte point la terre,
Car l'aspect seul des monts
Me fait craindre le tonnerre.
Vous le savez ; j'aime près du hameau,
Ou sur le bord d'un ruisseau
Rencontrer mon personnage :
Or, bonnes gens du village
Sont simples, adorant les Dieux,
Et ne forment jamais le projet téméraire
(C'est penser salutaire)
D'escalader les cieux.
Je reviens donc sous la feuillée
Préférez-vous à la veillée ?
Serait-ce mieux ?
Je le veux bien; je puis vous satisfaire.
Dites donc une fois que je suis débonnaire.

Le rossignol
Loin du hameau prenait son vol ;
Et par son doux ramage
Ne réveillait dans le bocage
Écho :
C'était l'heure où du pacage
Le berger ramenait Io.
Jeunes et vieux, réunis sous le chaume,
Parlaient de pluie et de beau temps,
C'était l'époque des autans.
Point le doyen des prédicants,
Mathieu Laensberg l'astronome,
N'est oublié par bonnes gens
Des champs.
Nostradamus et sa cohorte
Peuvent venir faire escorte
Au prophète éternel ;
Ils feront un plaisir réel
Au cercle de la veillée :
Tout en filant sa quenouillée
L'aïeule suivra des saisons
Le cours; et des fenaisons
Elle apprendra l'époque désirée.
Nous n'en sommes pas là : le terrible Borée
Avec fureur soufflait;
Et l'épais frimas pesait
Sur les campagnes,
Puis argentait
Le sommet des montagnes.
Eh bien! disait Lucas, l'almanacli est menteur;
Nous sommes à la chandeleur,
Et point d'étoiles filantes
Qui devaient flamboyantes
Glisser sur la voûte des cieux.
J'ai, pardi, de bons yeux,
Et je n'ai vu chose pareille :
L'on nous promet merveille ;
Tout cela n'est que jeux
Pour attraper notre obole.
Dis donc, reprend Jeannot, serait-ce parabole
Que nous adressent les savants ?
Car, Lucas, ces grandes gens
Sont ennemis di>. mensonge.
— Ma foi, Jean a raison; je songe
Que dans l'Apocalypse, un vilain animal
Doit amener règne du mal
La lune et le soleil, enfin les autres astres
Nous pronostiquent les désastres
Et les malheurs
Qui nous feront sécher sous le feu des douleurs.
— C'est vrai; dimanche, au prône,
Le curé nous en dit tout aussi long qu'une aune
Sur ce chapitre là :
Nous a parlé De qui ? Je ne sais..., d'Attila
Et des armées
De Lucifer :
Il les a, ma foi, nommées ;
C'est qu'il connaît bien l'enfer.
Finirez-vous! reprit jeune fillette,
Naïve bergerette
Aux yeux bleus:
Vos astres et vos feux
Me font peur; et je tremble:
Il me semble
Entendre les démons,
Les lutins et leurs chaudrons.....
Puis, la pauvrette
S'en va seulette
Se cacher sur le sein
De sa mère. Et soudain
Le ciel étincelle et brille
Sur le front de la jeune fille
Un rapide et vif éclair
Tombe. — C'est Lucifer !
A genoux ! répètent ensemble
Les bons et simples villageois.
Chaque voix
Tremble
C'est bien le cri du cœur,
Le doux accent de l'innocence
Implorant la toute-puissance
Avec sainte frayeur.
Alors le curé du village,
Traversant le voisin pacage,
Entend des soupirs.
Qui ne connaît que les plaisirs
Fuit, avec soin, le lieu des larmes:
Pour un bon cœur, consoler a des charmes;
Et le mortel qui contracta
L'engagement de protéger ses frères
Et de soulager leurs misères,
De la vie accepta
Les mystérieux mélanges.
Le vieillard entre donc ; et que voit-il? les anges
Priant au pied du Golgotha...
Il les relève et les rassure ;
Puis, expliquant de la nature
Et le cours et les lois,
Il dit aux bons villageois:
« Ces feux qui sur l'azur se mêlent et se roulent,
Ces étoiles qui coulent,
Des hommes, des évènements
Sont l'image:
Tout ne luit que quelques instants
A la cité comme au village.
Mes enfants, pour vivre en paix
Avec le ciel et la terre,
Et ne redouter jamais
L'orage et son tonnerre,
Que la douce charité
Et l'austère vérité
Dirigent votre course ;
Et Dieu dans vos malheurs sera voire ressource. »

Livre II, fable 15




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