Ne craignez pas que j'aille mettre en scène
Quelque saint orateur, digne apôtre du ciel ;
J'honore Bourdaloue, et je hait Diogène...
Laissez-moi donc flétrir l'affreux Machiavel.

Un renard, plein de jactance,
Avec quelque peu d'éloquence
A l'univers annonçait le bonheur.
Ce renard n'était qu'un chercheur :
Y ous savez de ces gens sans foi, sans moeurs, en somme,
Frondant tout ce qui vient et du ciel et de Rome :
Cerveaux illuminés
Appelant Dieu tout ce qu'ils pensent :
Si vous souriez ils vous tancent
Inscrivant votre nom au livre des damnés.
Notre réformateur aborde la tribune :
Force dindons, poulets, serins et tourtereaux
En courant après la fortune,
Tombent d'abord en ses réseaux.
« Je viens, dit l'orateur, régénérer le monde
Plus d'inégalités que chacun me seconde
En retranchant de la société
Les dignités et les litres.
Etablissons-nous les arbitres
De la capacité.
Vous ne connaîtrez plus la terrible indigence ;
Quiconque avecque nous veut former alliance
Se nourrira du fruit qu'il aura moissonné,
N'importe en quel pays, sous quel ciel il soit né.
Cette doctrine est claire ;
C'est le salut du prolétaire.
Mes amis \ dis ce jour, venez mettre en commun
Ce que vous possédez, vos talents et vos femmes
Applaudissez, mesdames,
J'affranchis vos époux de tout soin importun :
Prenez les rênes de l'empire ;
Devenez bureaucrate, avocat, général,
Diplomate, amiral
A vos droits voyez-nous souscrire. »
Beaucoup ne sentaient point tout l'esprit du discours.
Je sais quelques veuves gentilles
Et deux des filles
D'un vieil ours,
Qui, suivant du docteur la sublime morale,
A leur humeur martiale
Laissèrent un libre cours.
Bref, de plus en plus l'on vit grossir la bande
Du célèbre novateur.
Mais un singe, voulant avoir sa propagande,
Se fit aussi prédicateur.
Ce singe, grand bâcleur de chartes,
Fait son jeu, tourne les cartes,
Et persuade à nos dindons
Qu'ils sont le jouet des fripons.
Discours ronflant, preuve mathématique,
Amour du bien, aperçu politique,
Rien n'est omis;
11 fait agir ses amis.
Une voix tendre,
Un regard faux et plissé
Ont fait comprendre
Son plan qui n'est qu'esquissé.
Toutefois écoutons : « Messieurs, pour la patrie
J'ai prodigué mon bras, et mon sang et mon or
(Cela n'était que singerie),
Maintenant au besoin je combattrais encor.
Confiez-moi votre fortune ;
Ou plutôt, sans crainte aucune,
Demandez des emplois, des honneurs; je vous sers....
— Gratis ? — Oh ! non, messieurs; la chose est impossible,
J'ai trop de frais divers ;
Mais je suis incorruptible
Le plus honnête citoyen...
Voilà pour ma morale.
— Et quelle est votre foi? —Je croîs en.,, tout... en rien;
J'approuve les dervis, les Romains, la cabale,
Et tout cela pour votre bien...»
Par le grand talisman, le mot de tolérance,
Le singe réussit à captiver les cœurs.
Pour agents de sa propagande
11 embrigade bateleurs,
Bouffons, êtres tarés, et dont les cabrioles
Amusent le public, moyennant ses pistoles...
Puis le pendard,
Par ses archers, fait traquer le renard.
Pour saisir, notre singe a la main fort agile,
Mais non pas pour lâcher... Vous, peuple volatile,
Vous pouvez nous le dire. O pauvres oisillons!
Ces prédicants, cet bons apôtres
Font leurs affaires, non les vôtres :
Pour eux l'or et la pourpre, et pour vous... les bâillons.
C'est le nord, m'a-t-on dit, qui vous donna ces masques ;
Ils sont venus en croupe avecque les Cosaques.

Livre III, fable 5




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