Halé, langoureux, courbatu,
Nourri dans mauvaise cuisine,
Un auteur, mal vêtu,
Gravissait une colline
Le soleil dardait ses feux
Sur le chemin sablonneux;
Point de feuillage
Dont l'ombragé
Vint rafraîchir le jeune aventureux.
Il chancelle... L'esprit use
Certaines gens
Avant le temps;
Et l'amant d'une muse
S'abuse
S'il se promet honneurs et de longs ans.
Pour vivre heureux soyez dans la finance ;
L'homme d'esprit, et plus souvent le sot
Bravera l'indigence
Dès qu'il tiendra la balance
Où l'usurier met le lingot
Chut ! car j'entends qu'on appelle :
C'est le cri du voyageur,
C'est l'auteur,
Qui sa misère et son malheur
Aux échos d'alentour révèle.
— Qu'ai-je donc fait aux dieux!
Chaque jour, sur ma lyre,
Mon âme soupire
En leur honneur des chants mélodieux.
A mes efforts Phébus daigna sourire...
Mais pour les siens, las! qu'il est oublieux !
Dans ma misère,
Sur la terre
Je n'ai pas où poser le front;
Loin de mes amis, de ma mère ,
Vais-je expirer sur ce mont!!!
Il dit; et sa tête retombe
Sur son sein.....
Ciel ! je crois qu'il succombe
Au chagrin !
Heureusement dans la vallée
Ses cris avaient excité
L'attention, la curiosité:
Peut-être nymphe désolée
Envoya ce secours
Au chantre des amours :
Bonne fille du Parnasse,
Pour mettre sur la trace
D'un amant,
Trouve quelque complaisant.
Je ne sais pas médire ;
En tel cas, cela m'irait bien !
Je me hâte de dire
Que près du pauvre auteur vole un comédien ,
Garçon sensible, en ducats pas trop mince,
Jeune premier de troupe de province.
Pour ceux d'ailleurs je ne dis rien :
A Londres, à Paris, tel ou tel fait le prince.....
Et messieurs les auteurs
Doivent rester ses petits serviteurs.
Mais mon comédien, aimable et galant homme,
Apercevant le malheureux
Qui fixait vers la terre un regard langoureux,
Ne s'enquiert point comment l'infortuné se nomme,
S'il est vilain ou gentilhomme;
Il offre de bon cœur
Les provisions de sa route
A l'auteur;
Puis ajoute
Quelques mots bienveillants qui calment la douleur.
Après un moment de halte,
Cheminent nos amis, car ils le sont déjà.
(Peut-on ne pas aimer celui qui soulagea
Notre cœur !) Le poète exalte,
Chemin faisant,
L'étranger compatissant.
Viennent dès lors ces confidences
Qu'amènent telles circonstances.
Avant de nous quitter, dit le comédien,
Je veux finir votre misère ;
Pour vivre à l'aise, écoutez bien:
Suivez route vulgaire :
Je m'explique; un auteur
Cherche, invente et compose
Avec labeur ;
Quelques bravos, pas autre chose ,
Lui reviendront : au contraire un acteur,
Sans de grands frais, par son jeu, par ses mines,
Ses poses graves ou badines,
Fait son chemin.
Plus il est sot, plus, souvent, il sait plaire...
Et quelle riche affaire
Sut obtenir mons de Scapin!
Laissez de côté la gloire :
Si vous voulez entrer au temple de Mémoire,
Ami, vous mourrez demain....
Mais une cabriole
Peut vous conduire, au Capitole.

C'est vrai : l'on siffle Zénophon
Pour applaudir un bouffon
Arlequin et sa marotte;
Un singe, une marmotte,
Que sais-je ! un rogaton
Chez bien des grands sont de bon ton.

Livre III, fable 13




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