De qui veux-je parler ? d'un monseigneur Renard,
Personnage connu, mais trop connu, peut-être,
Grand ami du séjour champêtre;
Ce serait bien si le pendard
De la cité n'eût aimé disparaître
Pour se faire usurier Or, le hideux vieillard,
Au visage creux et blême,
Avait monts d'or amassé.
- Pour son fils ?—Point du tout.—Pour qui donc ?—Pour lui-même.
Vous le verrez. Le fiancé
De l'une de ses filles
Eut tourments et castilles
Avec maître Renard. — Oui ! Quand donc ? — L'an passé,
Plus tôt, plus lard; je n'ai mémoire
Des dates : pour l'histoire
Ou le fait,
En mon esprit je l'ai tracé d'un trait.
Mais reprenons la chose
De plus haut.
La fille était gentille et bonne virtuose ;
Et son cœur ne pouvait accepter un rustaud
Pour époux ; lors, certain grand personnage,
Comme font les amans, rôde autour du village
(C'était, je crois, un léopard ;
Beaucoup d'honneur pour monsieur le renard).
Sûr du terrain, il exhibe ses titres,
Sans oublier fraîches épitres
Pour demoiselle Isabeau.
Style d'amour n'est pas nouveau,
C'est impromptu de convenance...
Je passe donc tout cela sous silence.
Quand notre avare eut bien lu, bien relu
Codes et droits, se sentant résolu
A marier sa fille,
Autant de gain, dit-il, pour ma famille;
Point de dot et
Le compte est net.
— Au mariage
Je donnerai les mains; mais sur mon héritage,
Monsieur l'amant, ne comptez pas;
Demoiselle Isabeau, du reste, a des appas
Je suis pauvre; un douaire
Que l'un de mes aïeux
Fit à dame Yolande, a rendu malheureux
Ses petits-fils — Quoi ! vous, millionnaire,
Vous voulez me donner votre fille sans dot!
— Sans dot, monsieur — Je ne suis pas un sot.,..
Et sur l'heure,
Notre gaillard
Déserte la demeure
Du renard.
Pauvre Isabeau soupire et se désole :
Que devenir? pas une obole !
C'est bien mauvais commencement
Pour acclimater autre amant.
Ce n'est pas tout; la demoiselle
Avait sur le cœur la querelle
De l'avare son père; et le dur argument
Que léopard contre richesses
Et prouesses
Du vieillard avait lancé....
— Le mariage est-il plus avancé ?
— Non : mais par-là j'explique
Les douleurs
Et les pleurs
De la pauvrette. Or, au sol britannique,
Ou bien ailleurs,
Renard fait un voyage,
Ou par message
De blaireaux ses ambassadeurs,
Découvre un prolétaire
C'était, je crois, un ourson,
Je me trompe : un hérisson.
— Isabeau, voulez-vous me plaire ?
Je vous offre aimable époux,
Bien fait, digne de vous;
Il vaut de l'or : passons chez le notaire.
Pauvre enfant vit bâcler l'affaire,
Et ne dit mot:
Sans le savoir, elle prenait un sot
Qui de l'avare a palpé les pistoles.
Entendons-nous, le renard, fin matois,
N'a pas déboursé dix oboles:
Mais sur les fonds du bon peuple putois
Il a fait grasse curée.
Vous savez tout cela : ce que l'on ne dit lias
C'est que l'époux, nui, malgré dot, appas.
Pique, égratigne Cythérée...
Voyez bien que je parle bas!
A vous, bonnes jeunes filles,
Je puis dire tout haut:
Mourez avant d'entrer dans les familles
De hérissons, singes, autre maraud.

Livre III, fable 14




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