Une nuit deux maîtres voleurs,
Mais point assassins ………. par prudence,
Et qui n'en étaient pas meilleurs,
Arrêtent une diligence
Et détroussent les voyageurs.
Leur aubaine était assez bonne :
Ils avaient capturé des bijoux et de l'or,
Et même une jeune personne
Qui valait au moins un trésor ;
Elle était douce, aimable et belle,
Elle avait autre chose encor ;
Enfin l'on rencontrait en elle
Touchante modestie et novices appas,
Ce que bien des femmes n'ont pas.
Nos deux voleurs la convoitent ensemble ;
Nos deux voleurs veulent la posséder ;
Aucun d'eux n'entend la céder
A son rival ; las ! elle tremble
De perdre le trésor qu'elle avait su garder ;
En effet, ce serait dommage ;
A des voleurs donner...... Non, le trépas
Est préférable à ce honteux partage.
Mais comment se tirer d'un aussi mauvais pas ?
Le hasard fit toute l'affaire.
Tandis qu'elle se désespère,
Eux cherchent un moyen pour pouvair réussir
Dans leur entreprise coupable.
Ils n'eurent pas long-tems à réfléchir ;
La chose est assez vraisemblable ;
Gens de cette prosession
Ne manquent pas d'imagination :
La leur est bien digne du diable ;
On en verra bientôt la preuve indubitable.
L'un va charger un pistolet,.
Et veut sur le champ se défaire
D'un audacieux adversaire,
Qui le choque et qui lui déplaît.
L'autre en même tems empoisonne
Une liqueur que son rival aimait,
Et chacun, sûr de son projet,
Possède en espoir la personne
Qui d'effroi déjà se mourait.
Mais sa douleur, hélas ! la rendait plus charmante :
Ainsi Junie interdite et tremblante
Aux regards de Néron s'offrait,
Et par malheur lui paraissait
Et plus aimable et plus touchante.
Le poison est tout prêt, le pistolet chargé ;
Les deux rivaux sont en présence ;
Tous deux font bonne contenance
Et disent dans leur cœur : je vais être vengé.
Je le serai, quoi qu'il arrive ;
Cette beauté si douce, si naïve,
Je l'aurai seul ; mon plan est fort bien concerté ;
Il faut soudain qu'il soit exécuté.
Buvons, disait le bon apôtre
Qui tenait le poison qu'il avait préparé ;
Je le veux bien, répondit l'autre ;
Donnez cette liqueur, d'un trait je la boirai.
Je veux être un peu gai pour certaine entreprise
Que je vous communiquerai.
Il prend le flacon, il l'épuise ;
Le voilà fort bien restauré.
Le poison dans son sein à peine a pénétré, ·
Qu'il en sent l'atteinte mortelle.
Déjà sur ses pieds il chancelle :
Oh ! oh ! dit-il, me serais-je enivré ?
L'aventure n'est pas nouvelle...
Mais quel feu dans mon sein ! serait- ce du poison
Qu'on aurait mis dans ce flacon ?
-Je puis te l'assurer ; ce n'est pas autre chose :
J'en ai même triplé la dose ;
Dans un moment tu seras chez Pluton ;
Moi je consolerai la belle.
-Non, non, de ton succès tu ne jouiras pas ;
Aux enfers avant moi, traître, tu descendras.
Il dit ; lui brûle la cervelle,
Et tous deux s'en vont chez les morts
Expier leurs forfaits sans crainte et sans remords.
La jeune fille prend la fuite.
Du funeste accident sa famille est instruite :
Elle se garde bien de raconter le cas ;
En vérité, l'on ne le croirait pas.
Les pervers quelquefois se nuisent ;
Quelquefois même ils se détruisent.
Malgré leurs ruses, leurs détours,
Leurs triomphes sont toujours courts.
L'auteur nomme cet écrit Conte moral ; la différence avec une fable n'est pas sensible.