Deux ruisseaux, nés dans la même montagne,
Voulaient tout doucement leurs petits filets d'eau,
Et suivaient au milieu d'une agreste campagne
Des routes qu'ombrageaient le jonc et le roseau.
Lorsqu'une vaste et riante prairie,
Couverte d'un gazon frais et délicieux,
Et d'une herbe toujours fleurie,
Subitement frappa les regards de l'un d'eux.
Adieu, s'écria-t-il, adieu mon tendre frère,
Par un charme enchanteur, d'invincibles attraits,
Je me sens entraîné vers de nouveaux objets,
Et je cours leur porter mon onde tributaire. —
Là, pour mieux se livrer à ses folles amours,
Et suivre les beautés qu'il rencontre et caresse,
Aussitôt l'étourdi s'empresse
De se multiplier, de diviser son cours.
Mais ne pouvant suffire à ce sol trop avide,
Et ses faibles moyens trahissant ses désirs,
On vit ce beau ruisseau, jadis vif et limpide,
S'anéantir au sein des fleurs et des plaisirs.
L'autre ruisseau, plus prudent et plus sage,
Heureux dans son obscurité,
Ne quitta point le modeste rivage,
Où les destins l'avaient jeté ;
Il garda son cours ordinaire,
A travers les roseaux, les sables, les cailloux,
Et sut se garantir des malheurs de son frère
En suivant un chemin moins doux.
Bien plus, pour enrichir ses ondes,
La pluie en longs torrens descendit des coteaux ;
Et fleuve devenu, jusques aux mers profondes,
Il porta, sans orgueil, le tribut de ses eaux.

La pente du plaisir nous séduit, nous entraîne ;
La voix de la raison n'a pas tant de pouvair ;
Mais l'une, bien souvent, nous laisse dans la peine,
L'autre, dans aucun temps, ne trahit notre espoir.

Livre I, fable 1




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