Les deux Ruisseaux et le Rocher Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Deux ruisseaux, sortis d’une même source,
 S’en allaient gaîment à travers les prés.
Nul obstacle, d’abord, ne dérangea leur course :
Ils arrosèrent loin et les trèfles pourprés
 Et les blés et le pâturage,
 Tout en causant dans ce charmant langage
Qu’on appelle murmure et qu’on ne comprend pas.
Tout à coup devant eux un fier rocher se dresse
Et leur dit rudement :

 — Par quelle maladresse
S’égarent donc ici vos pas ?
 Prenez une autre route
Si vous voulez encor marcher
Et ne pas voir goutte après goutte
Votre onde ici se dessécher.

L’un des ruisseaux partit, décrivant mille courbes
 Pour éviter le colosse ombrageux ;
Il se perdit bientôt sous les joncs et les tourbes
 D’un marais fangeux ;
L’autre resta ; puis lentement ses ondes
Couvrirent le flanc du rocher.
Il devint un beau lac où les étoiles blondes,
 Où la barque du nocher
Se berçaient mollement. Puis, un jour, de la cime
 Il bondit de l’autre côté,
 Jetant un voile sublime
 Sur l’obstacle dompté.

Or, voici la morale, elle n’est pas bien neuve :
Celui-là devient grand qui surmonte l’épreuve.

Livre I, fable 2




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