Deux ruisseaux, maigres fils d'un mont du voisinage,
Côte à côte fuyant l'orgueil de leur berceau,
Parmi les joncs d'un marécage
Traînaient en gémissant leur mince filet d'eau.
L'un d'eux s'échappe à gauche : et voici qu'à sa vue
Un champ de verdure et de fleurs
A déployé soudain son immense étendue,
Et sa robe aux mille couleurs.
« Adieu, mon frère, adieu ; cette route nouvelle
Me sourit, et je cours où sa beauté m'appelle. »
Il dit, et ses flots amoureux
Descendent mollement vers l'aimable prairie,
Tant d'attraits variés tentent sa douce envie :
Pour les caresser tous, en détours sinueux,
Il va, vient, fuit, revient, s'étend ou se replie,
Ne peut quitter des lieux si beaux,
Et, liquide Protée, en vingt petits ruisseaux
Se divise et se multiplie.
Mais imprudent, qui suit la pente des désirs !
Bientôt le sol avide a bu l'onde épuisée.
Ruisseau se plaint, trop tard, à la plaine arrosée ;
Il meurt, hélas ! au sein des fleurs et des plaisirs !

Cependant l'autre, plus sage,
Allait sans bruit son chemin,
S'en tenant au lit sauvage
Où le hasard, un matin,
Lui dit : « Cours, et bon voyage ! »
Sur sa route, à la vérité,
Peu d'aimables métamorphoses :
Roseaux fangeux, roc mal planté,
Bien plus d'épines que de roses.
Mais du petit trésor de ses modestes flots
Rien nese perd. C'estpeu : descôteauxquil'entourent,
Les eaux, en descendant, viennent grossir ses eaux ;
Bientôt même à la fois mille ruisseaux accourent,
Dans son sein élargi, verser en murmurant
Le tribut passager de leur limpide argent ;
Et, de ruisseau qu'il fut lui-même,
Fleuve immense, aujourd'hui roulant majestueux,
Il porte sans péril aux vastes champs qu'il aime
L'espoir, l'abondance, et les jeux.

La Volupté nous caresse,
Mais son sourire est trompeur ;
La Raison parfois nous blesse,
Mais sous l'épine est la fleur.

Fable 2




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